COMMUNIQUÉ DE PRESSE

Une Caravane de l’espoir dénonce la passivité des autorités mexicaines par Mariano Machain, de l’équipe Mexique d’Amnesty International.

Mercredi 18 décembre 2013 — Ce mois-ci, 44 mères d’Amérique centrale ont formé une caravane et fait le tour du Mexique à la recherche de leurs enfants disparus. Elles ont parcouru 4 000 kilomètres et se sont rendues dans un maximum de villes situées sur la « route des migrants », celle qui mène vers les États-Unis.

C’est la neuvième fois qu’une caravane de mères d’Amérique centrale traverse le Mexique. Elle s’arrête ce 18 décembre, Journée internationale des migrants.

J’ai rencontré ces mères lors d’une conférence de presse dans l’arrière-cour d’une ONG locale, dans le centre de Mexico. Tout est un peu fouillis, mais les mères parviennent à faire passer leur message.

Chacune de ces femmes tient une grande photo de l’être aimé, avec son nom et un numéro de téléphone. J’ai rencontré beaucoup de parents de personnes qui ont disparu au Mexique et dont on est sans nouvelles, mais je ne peux m’empêcher d’avoir froid dans le dos que je les vois porter ce signe distinctif.

L’une d’elles est Carmen Cuarezma, originaire du Nicaragua mais actuellement résidente au Costa Rica. Son fils, Álvaro Guadamuz Cuarezma, est parti en direction des États-Unis le 21 mars 2010. Il a disparu en 2011 et la dernière fois qu’il a téléphoné il se trouvait au Mexique.

Au tout début de notre conversation, Carmen me dit : « Avant que nous commencions à parler, regardez la photo de mon fils et notez mon numéro de portable. Si jamais vous le voyez, appelez-moi tout de suite. »

Enlevé pour une rançon

« Álvaro venait d’avoir 27 ans et il faisait des études scientifiques à l’université, me dit Carmen. Mais son job à l’usine ne suffisait pas pour financer ses études. Il m’a dit qu’il voulait partir aux États-Unis, y trouver un travail et terminer ses études là-bas. C’était la première fois qu’il se lançait dans ce voyage.

« Il m’appelait toutes les semaines – du Nicaragua, du Guatemala, du sud du Mexique. En janvier 2011, il a appelé de Medias Aguas, dans l’État de Veracruz, et m’a dit qu’il avait été enlevé. Je devais transférer une rançon de 2 000 dollars à ses ravisseurs pour qu’ils le relâchent. J’ai fondu en larmes, car je n’avais aucun moyen de réunir cette somme. Je n’ai pu que prier pour lui. »

« J’ai eu le plus grand soulagement de ma vie deux mois plus tard, quand il m’a appelée et m’a dit : ‘‘Maman, je me suis échappé de mes ravisseurs, je suis parti en courant, je n’avais même pas de chemise’’. Mais notre joie a été de courte durée. C’était son dernier coup de fil à ce jour. Depuis, nous n’avons plus aucune nouvelle. »

Ce jour-là, Álvaro appelait de Tierra Blanca, aussi dans l’État de Veracruz. C’est l’un des tronçons les plus dangereux du trajet pour les milliers de personnes qui, tous les ans, quittent leur pays d’Amérique centrale et risquent tout pour se rendre aux États-Unis.

Les enlèvements, un phénomène de grande ampleur

L’enlèvement d’Álvaro est loin d’être un cas isolé. Trois mères guatémaltèques me racontent plus tard qu’elles aussi ont été sollicitées pour verser des rançons, ce qu’elles ont fait sans jamais avoir de nouvelles de leurs enfants pour autant. Les enlèvements de migrants qui traversent le Mexique prennent une telle ampleur qu’on pourrait les comparer à une épidémie. Pourtant, pratiquement rien n’est fait pour y mettre un terme.

Les coups, les arrestations arbitraires, le travail forcé, les sévices sexuels et les meurtres sont eux aussi monnaie courante. Comme dans le cas d’Álvaro, la grande majorité des agressions ne font l’objet d’aucune enquête et personne n’est tenu de rendre des comptes.

Elles sont en général commises par des bandes de criminels, mais souvent, aussi, avec la connivence de représentants des autorités. Ceux-ci ferment les yeux sur les activités de ces bandes, ou arrêtent des migrants pour les leur remettre.

Comme dans le cas d’Álvaro, en raison de l’absence d’enquête et de la passivité des autorités, il est rare que la vérité sur les faits soit établie et que les familles des migrants disparus obtiennent justice.

Les personnes qui protègent les migrants sur leur chemin ou qui leur donnent logis et couvert risquent elles aussi de subir des menaces et des actes d’intimidation, souvent de la part de ceux-là mêmes qui attaquent les migrants. Ces actes font rarement l’objet d’enquêtes, et ceux qui défendent les droits humains des migrants sont de ce fait réellement en danger.

Des espoirs brisés

Carmen hausse les épaules et regarde le mur quand je lui demande si Álvaro pourrait avoir eu une raison de ne pas l’avoir contactée depuis 2011. « Non, aucune », dit-elle sans croiser mon regard.

Je me rends compte que ses espoirs viennent de se briser car elle a compris que, n’ayant aucune nouvelle depuis si longtemps, il est peu probable qu’Álvaro soit encore en vie. C’est un moment triste et émouvant, très douloureux pour Carmen.

« Nous voulons que le gouvernement mexicain nous aide à retrouver nos enfants, dit-elle, mais il ne nous a encore jamais reçues. Cela ne l’intéresse pas, bien que de nombreux Mexicains aient également disparu. »

Mais la situation n’est pas complètement noire. Quelques mères me disent que lorsque la caravane a démarré il y a neuf ans, les personnes qui s’intéressaient à leur histoire étaient rares, tout comme les journalistes qui venaient écouter leurs récits. Elles étaient reçues avec hostilité dans les communautés où se trouvaient des centres d’accueil pour migrants.

Aujourd’hui, les choses ont changé. Les mères sont bien accueillies partout où elles vont, on leur offre des cadeaux et on les écoute, tandis que les journalistes se serrent dans la petite arrière-cour de l’ONG pour les interviewer avec leur équipe de tournage, leurs câbles et leurs microphones.

Les autorités, quant à elles, font toujours la sourde oreille.

Il incombe aux autorités mexicaines d’établir la vérité sur ce qui est arrivé à tous les migrants dont on est sans nouvelles, et d’obliger les auteurs des attaques à assumer leurs responsabilités. L’État devrait aussi arrêter et traduire en justice tout représentant des pouvoirs publics qui se rend complice de violences contre des migrants.

Ce serait le meilleur moyen de protéger les nombreuses personnes vulnérables qui font la dangereuse traversée du Mexique dans l’espoir d’une vie meilleure.

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