Une décision louable mais insuffisante : le Conseil de sécurité crée un médiateur pour examiner le régime des sanctions concernant Al Qaïda et les talibans

DÉCLARATION PUBLIQUE

Index AI : IOR 41/032/2009-
ÉFAI-
17 décembre 2009

« La décision du Conseil de sécurité de créer un médiateur pour examiner les modalités selon lesquelles des personnes soupçonnées de terrorisme peuvent être rayées de la liste de sanctions du Conseil constitue un premier geste opportun qui contribue à remédier aux carences en termes de droits humains ayant marqué jusqu’à présent l’action menée par le Conseil contre le terrorisme », a déclaré Amnesty International ce 17 décembre 2009. Cependant, il faut continuer à améliorer le régime de sanctions concernant Al Qaïda et les talibans pour mieux satisfaire aux garanties d’une procédure régulière.

Le Conseil a adopté à l’unanimité une résolution qui demande la désignation d’un médiateur chargé d’analyser les informations disponibles et de présenter « les principaux arguments avancés pour ou contre la demande de radiation » de ceux qui cherchent à être retirés de la liste des sanctions. Il s’agit là d’une évolution très positive, en comparaison des procédures actuelles, auxquelles les requérants ne peuvent nullement avoir accès. Mais ce dispositif reste encore très éloigné d’un mécanisme de révision indépendant et effectif, mandaté pour examiner les demandes de radiation et pour assurer un recours (à savoir l’annulation des mesures imposées) aux personnes figurant sur la liste de manière infondée. Les groupes de défense des droits humains, le précédent secrétaire général de l’ONU et certains États sensibles à cette question ont réclamé avec persistance ce type de changements. Le nouveau médiateur n’est même pas mandaté spécifiquement pour faire des recommandations.

Amnesty International exhorte le secrétaire général, en consultation avec le Comité 1267 (le comité du Conseil de Sécurité chargé d’établir ces listes), à nommer un médiateur ou une médiatrice reconnu-e pour sa haute qualité morale et son indépendance, ayant une compétence solide en matière juridique et de droits humains. L’organisation exhorte le Comité 1267 à engager le nouveau médiateur à lui faire des recommandations ; elle demande aussi au Comité d’assurer une transparence complète, notamment en rendant publics la totalité de l’analyse et les principaux arguments formulés au sujet des demandes de radiation, qu’elles soient acceptées ou rejetées. Le droit des personnes concernées à être représentées par un avocat doit être garanti, pour qu’une contestation effective des décisions d’inscription sur une liste prises par le Comité soit possible.

À la suite de dizaines de procédures judiciaires dans de nombreux pays ainsi que devant des tribunaux régionaux et des organes des Nations unies chargés du suivi des traités – entre autres la Cour de justice de l’Union européenne et le Comité des droits de l’homme – le Conseil de sécurité s’est efforcé de répondre à des inquiétudes sérieuses inspirées par le régime de sanctions relatif à Al Qaïda et aux talibans. Ces préoccupations portent sur le fait que le processus suivi aujourd’hui par les Nations unies pour recenser des personnes soupçonnées de terrorisme, dont les avoirs sont alors gelés et qui font l’objet d’interdictions de voyager, ne respecte pas les normes minimales d’équité et de transparence. L’Assemblée générale des Nations unies a elle-même demandé à maintes reprises l’adoption de « procédures équitables et transparentes » pour l’inscription de personnes et d’entités sur les listes donnant lieu à des sanctions et pour leur radiation de ces listes. Des décisions judiciaires ont souligné que le droit de se faire entendre et le droit à une révision judiciaire n’avaient pas toujours été garantis.

La résolution adoptée à l’unanimité ce 17 décembre 2009, présentée par les États-Unis, est issue des efforts persistants d’un petit groupe de pays convaincus, au sein du Conseil de sécurité et au dehors, ainsi que d’ONG, qui n’ont cessé d’affirmer que des garanties de procédure devaient être intégrées au processus d’inscription et de radiation du Conseil de sécurité. Amnesty International salue les efforts de ces États et les invite, ainsi que tous les autres membres du Conseil de sécurité, à maintenir une observation suivie du système afin de renforcer les garanties fondamentales et de s’acheminer vers la création d’un mécanisme indépendant capable d’apporter un recours efficace, notamment en annulant la mesure et, si nécessaire, en ordonnant des réparations, qui peuvent inclure une indemnisation.

Même si la résolution affirme que le régime de sanctions a « un caractère préventif », Amnesty International estime que ce régime qui vise Al Qaïda et les talibans a un caractère punitif. Il permet la mise en place durable de mesures qui empiètent fortement sur l’espace privé, comme le gel des avoirs et l’interdiction de voyager, sans accorder le droit de se faire entendre et sans prévoir de mécanisme d’appel ou de recours. L’organisation s’est également inquiétée à plusieurs reprises de ce que des personnes décédées figurent toujours sur la liste récapitulative, et a insisté pour que les décisions de radiation soient prises à la majorité (et non par consensus).

Les aspects positifs des nouvelles procédures sont les suivants :

• le contact direct entre le médiateur et les personnes qui demandent à être radiées de la liste ;

• l’obligation où se trouve le médiateur d’informer la personne concernée du déroulement de la radiation, de répondre aux questions et de donner des détails au cas où la demande serait rejetée ;

• l’existence d’un contact direct aux fins de recherche d’informations entre le médiateur et les États, dont le pays de résidence et le pays de nationalité de la personne concernée ;

• la définition d’un échéancier strict pour la recherche d’informations, le dialogue et la prise de décision, pour que le processus entier soit limité à six mois, et l’obligation faite au Comité 1267 de fournir des raisons en cas de rejet d’une demande de radiation ;

• certaines mesures destinées à accélérer la suppression de la liste des individus décédés.

Amnesty International engage de surcroît d’autres régimes de sanctions du Conseil de sécurité, qui sont eux aussi insuffisamment pourvus de garanties en matière de procédure régulière, à examiner attentivement l’activité et la progression du nouveau mécanisme de médiation.


Informations générales

Le régime de sanctions imposé à Al Qaïda et aux talibans a été établi par le Conseil de sécurité aux termes de la résolution 1267 (1999) et développé par toute une série de résolutions ultérieures, presque toutes dotées d’un caractère contraignant en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations unies. Il oblige tous les États à prendre des mesures ciblées, comme le gel des avoirs, contre tous les individus ou entités que le Comité 1267 décide de placer sur la liste récapitulative.

Amnesty International a constaté que nombre de personnes inscrites sur la liste récapitulative – où figurent des centaines de noms – ne savaient pas qu’elles y étaient inscrites, n’avaient pas d’information sur les raisons pour lesquelles elles s’y trouvaient, n’avaient pas la possibilité de se faire entendre et voyaient leur volonté d’être radiées de la liste se heurter à des obstacles difficiles à surmonter, puisque la radiation implique une décision par consensus de tous les membres du Conseil de sécurité. Ceux qui figurent sur cette liste peuvent y rester pendant des années sans que leur situation soit réexaminée, puisque la présence dans la liste ne comporte aucune date limite. La résolution 1822 du Conseil de sécurité (2008) a apporté des améliorations minimes en affirmant la nécessité, pour l’État qui propose au Comité l’inscription de noms, de « fournir un exposé détaillé des motifs » et en demandant que le Comité lui-même mette à jour les noms inscrits sur la liste récapitulative. Cependant, les noms de personnes décédées étaient toujours sur la liste.

En vertu de la résolution adoptée le 17 décembre 2009, parrainée par l’Autriche, le Burkina Faso, la Croatie, la France, le Japon, le Mexique, le Royaume-Uni et la Turquie, le Comité 1267 du Conseil de sécurité continue à prendre la décision d’inscrire des personnes sur la liste relative aux sanctions ou de les radier, mais sera assisté par un médiateur lorsqu’il s’agit de radiations. Le médiateur, nommé pour dix-huit mois, sera épaulé par l’Équipe de surveillance mise en place par le Conseil de sécurité en 2004 pour assister le Comité 1267 dans son travail et dont le mandat a été prolongé de dix-huit mois.

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