Une répression sans précédent cible les ONG

Ces dernières semaines, les autorités égyptiennes ont convoqué des travailleurs des droits humains pour interrogatoire, leur ont interdit de voyager et ont tenté de geler leurs fonds personnels et les avoirs de leurs familles. Ces mesures indiquent que l’enquête menée pendant cinq ans sur le financement et l’enregistrement des organisations indépendantes de défense des droits humains pourrait bientôt se traduire par des inculpations pénales, ont déclaré 13 organisations mercredi 23 mars 2016.

Les autorités doivent cesser de persécuter ces organisations et abandonner l’enquête, qui fait planer une menace de 25 ans de prison sur des défenseurs des droits humains.

«  La société civile égyptienne est traitée comme un ennemi de l’État, et non comme un partenaire pour la réforme et le progrès », a déclaré Said Boumedouha, directeur adjoint du programme Afrique du Nord et Moyen-Orient d’Amnesty International.

L’enquête sur le financement d’organisations égyptiennes et étrangères ouverte en juillet 2011, cinq mois après le renversement de l’ancien président Hosni Moubarak, a déjà conduit à des condamnations et à la fermeture des bureaux égyptiens de cinq organisations non gouvernementales (ONG) internationales. Elle est actuellement dirigée par un collège de trois juges nommés par la cour d’appel du Caire, à la demande du ministère de la Justice.

Les lois égyptiennes permettent aux procureurs d’inculper des défenseurs des droits humains de premier plan au motif qu’ils travaillent sans être officiellement enregistrés ou acceptent des fonds provenant de l’étranger sans autorisation. Pour ce chef d’inculpation, la modification du Code pénal adoptée en septembre 2014 par le président Abdel Fattah al Sissi prévoit une peine pouvant aller jusqu’à la détention à perpétuité (ce qui équivaut à 25 ans de prison en Égypte).

« Les autorités égyptiennes sont passées à la vitesse supérieure et prennent désormais des mesures concrètes pour faire taire les dernières voix critiques au sein de la communauté égyptienne de défense des droits », a déclaré Nadim Houry, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch.

Les gels d’avoirs et les interdictions de voyager sont utilisés pour museler la dissidence

La répression visant les défenseurs des droits humains en Égypte s’est accentuée ces derniers mois. Le 22 mars, Mozn Hassan, fondatrice et directrice de Nazra pour les études féministes, a été citée à comparaître devant les juges d’instruction en tant qu’accusée dans le cadre de l’affaire des financements étrangers. Elle est convoquée le 29 mars.

Le 19 mars, le tribunal pénal du Caire a examiné la requête déposée par les juges d’instruction concernant le gel des avoirs de Hossam Bahgat, journaliste et fondateur de l’Initiative égyptienne pour les droits personnels (EIPR), qui écrit des articles pour le site d’informations en ligne Mada Masr, et de Gamal Eid, avocat qui dirige le Réseau arabe pour l’information sur les droits humains. La requête des juges portait également sur les avoirs de l’épouse de Gamal Eid et de leur fille de 11 ans. Le tribunal a reporté l’audience au 24 mars, et le 21 mars, les juges d’instruction ont imposé une injonction de silence interdisant aux médias locaux de rendre compte de cette affaire.

Le tribunal pénal du Caire avait déjà prononcé en février, à la demande des juges d’instruction, une interdiction de se rendre à l’étranger visant Hossam Bahgat et Gamal Eid.

Des tribunaux, des procureurs et des organismes de sécurité ont interdit à au moins 10 militants des droits humains de voyager ces dernières semaines – dont Mohamed Lotfy, directeur de la Commission égyptienne pour les droits et les libertés, et quatre employés de l’Académie égyptienne pour la démocratie.

Du 13 au 15 mars, trois employés de Nazra pour les études féministes, deux employés de l’Institut d’études sur les droits humains du Caire, et un employé du Groupe uni, cabinet d’avocats qui publie des informations sur la torture, ont été cités à comparaître devant les juges d’instruction. Parmi eux figuraient des responsables financiers de chaque groupe.

Auparavant, le 3 mars, un juge d’instruction avait interrogé le directeur de Groupe uni, l’avocat Negad al Borei, qui était accusé d’avoir fondé une entité non autorisée et « fait pression » sur le président pour promulguer une loi contre la torture.

En février, à la suite d’une enquête, l’administration fiscale a exigé que certaines organisations indépendantes versent plusieurs millions de livres égyptiennes d’arriérés d’impôts. Le 17 février, des représentants du ministère de la Santé ont publié un décret ordonnant la fermeture du Centre El Nadeem pour la réadaptation des victimes de violences et de torture, qui fait un travail essentiel en Égypte, au motif qu’il n’est pas autorisé. Agréé depuis 1993 en tant que clinique, le Centre a proposé à des centaines de victimes de torture des services essentiels comme un soutien psychologique et une assistance juridique.

Enquête sur les financements étrangers

La première phase de l’enquête sur le financement des organisations indépendantes – l’affaire 173 de 2011 – s’est achevée en juin 2013, avec la condamnation par le tribunal pénal du Caire de 43 employés étrangers et égyptiens de cinq organisations internationales à des peines comprises entre un et cinq ans de prison, pour activité illégale dans le pays et pour avoir reçu des fonds provenant de l’étranger sans autorisation.

Toutes les sentences ont été assorties d’un sursis ou prononcées par contumace, mais la décision a entraîné la fermeture en Égypte de l’Institut démocratique national, de l’Institut républicain international, de Freedom House, du Centre international pour les journalistes et de la Fondation Konrad Adenauer.

Une fois l’enquête sur les organisations internationales achevée, les autorités ont tourné leur attention vers les organisations égyptiennes.

Les trois juges d’instruction ont repris leur travail en 2014, lorsque le ministère de la Solidarité sociale leur a donné un ultimatum pour se faire enregistrer au titre de la loi sur les associations, héritée du régime d’Hosni Moubarak. Cette loi confère au gouvernement le pouvoir de fermer une organisation quasiment au gré de sa volonté, de geler ses avoirs, de saisir ses biens et de refuser des candidats à son conseil d’administration.

Nombre des organisations ciblées sont autorisées sous une forme ou une autre, notamment les organisations à but non lucratif, les cabinets d’avocats et les cliniques médicales. Cependant, certaines ont préféré délocaliser leur personnel hors d’Égypte ou réduire leurs activités, plutôt que de se faire enregistrer au titre de la loi remontant à l’ère Moubarak. Être enregistré ne suffit pas forcément pour échapper aux investigations. L’Académie démocratique égyptienne s’était enregistrée en janvier 2015, tandis que Nazra pour les études féministes l’est depuis 2007.

Le département Sécurité nationale du ministère de l’Intérieur et les services des Renseignements généraux, l’agence chargée de l’espionnage à l’extérieur du territoire national, recueillent depuis quelques temps des informations sur les activités d’organisations locales. Leurs conclusions ont été regroupées dans un rapport d’enquête en septembre 2011, dont des extraits ont été divulgués aux médias. Il nommait 37 organisations faisant l’objet d’investigations, dont toutes celles récemment visées par des convocations ou des interdictions de voyager.

Appels aux autorités égyptiennes

Les autorités égyptiennes doivent annuler l’ordre de fermeture du Centre El Nadeem pour la réadaptation des victimes de violences et de torture, et lever toutes les interdictions de voyager et les gels d’avoirs visant des défenseurs des droits humains, dont les activités sont protégées par la Constitution égyptienne et le droit international, ont déclaré les organisations signataires.

Elles doivent aussi annuler l’injonction de silence, qui interdit aux médias de publier toute information sur l’affaire, à l’exception des déclarations des juges présidant le tribunal, jusqu’à l’achèvement des investigations. Cette mesure bafoue le droit la liberté d’expression, garantie par la Constitution égyptienne et le doit international.

L’Égypte doit respecter l’engagement qu’elle a souscrit en mars 2015 au terme de son Examen périodique universel devant le Conseil des droits de l’homme des Nations unies, à savoir « respecter le libre fonctionnement des associations de défense des droits de l’homme  ». Elle doit notamment autoriser les organisations à s’enregistrer en vertu d’une nouvelle loi sur les associations que le Parlement devrait élaborer à l’issue d’une consultation avec les groupes indépendants, et qui devra respecter l’article 75 de la Constitution, qui protège les organisations de toute ingérence du gouvernement. La loi doit se conformer aux normes internationales relatives à la liberté d’association.

Le Conseil des droits de l’homme et ses États membres doivent condamner la répression actuelle et exiger des mesures concrètes afin d’améliorer le respect des droits fondamentaux.

« Au lieu de s’acharner sur les derniers vestiges de la société civile, l’Égypte doit s’ouvrir à l’examen de son bilan en termes de droits humains et prendre en compte les critiques constructives des ONG locales. Les autorités doivent s’engager dans un dialogue ouvert et sincère avec le mouvement de défense des droits  », a déclaré Michel Tubiana, président d’EuroMed Droits (Réseau euro-méditerranéen des droits humains).

Les organisations exprimant leurs préoccupations sont :
Amnesty International
Article 19
Association pour les droits de la femme et le développement (AWID)
CIVICUS
Comité pour la protection des journalistes
EuroMed Droits
Fédération internationale des Ligues des droits de l’homme (FIDH), dans le cadre de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’homme
Frontline Defenders
Human Rights Watch
IFEX
Service international pour les droits de l’homme
Organisation Mondiale Contre la Torture (OMCT), dans le cadre de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’homme
Institut Tahrir pour la politique au Moyen-Orient
Pour en savoir plus sur les recherches d’Amnesty International sur l’Égypte

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