Union européenne / Asie centrale. Le volet de la stratégie consacré aux droits humains doit être pleinement mis en œuvre

Déclaration publique

EUR 04/002/2008

À l’occasion du sommet Union européenne / Asie centrale qui débute ce mercredi 9 avril 2008, Amnesty International exhorte les deux parties à faire preuve d’une réelle détermination – malheureusement inexistante jusqu’à présent – en vue de mettre en œuvre sans plus attendre le volet droits humains de la stratégie.

Neuf mois après avoir mis sur pied la stratégie entre l’Union européenne (UE) et l’Asie centrale, les ministres des Affaires étrangères de cinq républiques d’Asie centrale – le Kazakhstan, le Kirghizistan, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan et le Turkménistan – se réunissent les 9 et 10 avril à Achgabat, au Turkménistan, avec le ministre des Affaires étrangères de Slovénie, qui détient actuellement la présidence de l’UE renouvelée tous les six mois, et d’autres hauts responsables de l’UE, afin de débattre de sa mise en œuvre.

Toutefois, Amnesty International déplore que les deux parties ne se soient pas réellement engagées en vue d’appliquer avec vigueur les facettes relatives aux droits fondamentaux de la stratégie. Cette stratégie prévoit des dialogues sur les droits de l’homme structurés, réguliers et privilégiant les résultats. Pourtant, aucun n’a encore eu lieu depuis l’accord conclu entre l’UE et les cinq républiques d’Asie centrale en juin 2007. En dépit de dialogues avec l’Ouzbékistan et le Turkménistan, ces pays n’ont pas appliqué les règles de bonne pratique qu’exposent les Lignes directrices de l’UE en matière de dialogue sur les droits de l’homme.

En adoptant cette stratégie, les deux parties se sont publiquement engagées à donner une dimension empreinte de droits humains à leurs échanges – et il est grand temps qu’elles se décident à honorer leurs engagements. Elles doivent sans ambiguïté faire la preuve que les droits humains font partie intégrante de ces relations et ne représentent pas un paravent derrière lequel chacun est libre de privilégier la coopération économique au détriment de la promotion et de la protection des droits fondamentaux. L’UE doit insister pour que les dispositions relatives aux droits humains de cette stratégie soient pleinement et systématiquement mises en œuvre. D’autre part, les cinq États d’Asie centrale doivent coopérer pleinement et complètement à ce processus.

Complément d’information

À la veille de la première réunion de la troïka en mars 2007, Amnesty International avait incité l’UE à faire des droits humains et de l’état de droit les piliers de sa stratégie et de son engagement politique avec les gouvernements d’Asie centrale. Elle avait exhorté l’UE à bien leur faire comprendre qu’ils se devaient de prendre des mesures concrètes afin d’adopter et de faire appliquer des dispositions législatives à même d’apporter des garanties effectives et durables en matière de protection des droits humains et de dignité de tous les habitants d’Asie centrale.

Toutefois, Amnesty International demeure préoccupée : en dépit des efforts déclarés des gouvernements des républiques d’Asie centrale pour s’acquitter de leurs obligations en matière de droits humains – et des efforts réels consentis par certains pour remédier aux violations les plus terribles – de graves atteintes aux droits humains continuent d’être couramment commises dans un climat d’impunité presque totale. Parmi les évolutions positives saluées par Amnesty International, citons l’introduction de l’habeas corpus (procédure permettant la comparution immédiate d’un détenu devant une autorité judiciaire, afin de contester la légalité de la détention, et de permettre ainsi une éventuelle remise en liberté) en Ouzbékistan, au Kazakhstan et au Kirghizistan, ainsi que la signature par le Kazakhstan du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. L’organisation se félicite également de l’abolition de la peine de mort au Kirghizistan et en Ouzbékistan, et des initiatives visant à réduire son champ d’application au Kazakhstan. Cependant, Amnesty International continue de suivre de près l’application dans les faits de ces réformes. Elle publie ce 9 avril 2008 un résumé de ses préoccupations les plus pressantes en Asie centrale (index AI : EUR 04/001/2008).

Tandis que de hauts responsables de l’UE et les ministres des Affaires étrangères d’Asie centrale se réunissent à Achgabat, plusieurs dizaines de prisonniers condamnés au terme de procès iniques sont détenus au secret au Turkménistan. On ignore combien sont morts en détention ces dernières années en raison de la torture, de soins médicaux insuffisants et de conditions carcérales très dures. Dans ce pays qui accueille le sommet UE /Asie centrale, deux défenseurs des droits humains purgent leur deuxième année derrière les barreaux parce qu’ils ont coopéré avec des journalistes étrangers et milité en faveur des libertés fondamentales. D’innombrables citoyens perçus comme des opposants au régime ou des croyants religieux, ainsi que leurs proches, figurent sur une « liste noire » et il leur est interdit de quitter le pays. Les défenseurs des droits humains et autres militants indépendants de la société civile ne peuvent travailler au grand jour dans une société exempte de partis d’opposition. Les communautés religieuses sont très strictement contrôlées par l’État et les objecteurs de conscience s’exposent à l’emprisonnement. Tous les médias sont contrôlés par l’État. Exerçant une surveillance étroite sur Internet, les autorités bloquent les sites qui les critiquent.

Dans toute l’Asie centrale, les passages à tabac imputables aux responsables de l’application des lois, notamment dans les centres de détention provisoire et dans les rues, demeurent monnaie courante. La torture et d’autres mauvais traitements en détention sont toujours généralisés en Asie centrale, et systématiques et systémiques en Ouzbékistan. Lorsqu’il a examiné la situation des droits humains en Ouzbékistan, le Comité contre la torture des Nations unies a conclu en novembre 2007 que la torture demeurait généralisée et systématique.

Il est très rare que des agents des forces de l’ordre soient traduits en justice et aient à répondre des violations qu’ils ont commises, alors que des milliers de personnes dans les cinq républiques dénoncent régulièrement les détentions arbitraires, les actes de torture et les mauvais traitements infligés en détention en vue de leurs extorquer des « aveux ». Les preuves ainsi obtenues sont couramment retenues par les tribunaux. La corruption de la police et de la justice contribue grandement à un climat d’impunité, qui mine la confiance de la population dans le système judiciaire. Les victimes ne déposent que rarement plainte, persuadées qu’elles n’obtiendront pas justice, ni réparation. Beaucoup se refusent à témoigner contre des policiers, par peur des représailles contre elles-mêmes, leurs proches et leurs associés.

Les gouvernements d’Asie centrale qualifient fréquemment la lutte contre le terrorisme et les menaces à la sûreté nationale de cruciales pour assurer la stabilité, cet objectif ne servant trop souvent qu’à occulter la répression contre la dissidence, à renforcer le pouvoir et à cibler les groupes vulnérables ou perçus comme une menace à la sécurité nationale ou régionale, à l’instar des groupes islamiques interdits et des groupes d’opposition politique. Dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et des accords antiterroristes, des réfugiés et des demandeurs d’asile sont extradés vers la Chine et l’Ouzbékistan, pays dans lesquels ils risquent fortement d’être victimes d’actes de torture et d’autres atteintes graves à leurs droits fondamentaux en violation flagrante des obligations des États au regard du droit international relatif aux réfugiés et aux droits humains. Bien que la présomption d’innocence soit inscrite dans la loi, elle est régulièrement bafouée, notamment sur fond de sécurité nationale et de lutte contre le terrorisme, les suspects étant publiquement qualifiés de coupables avant même l’ouverture de leur procès.

Bien que prévue par la loi, dans la pratique la liberté de parole et de la presse est sévèrement restreinte en Asie centrale ; seuls quelques médias indépendants travaillent librement et les gouvernements contrôlent l’accès à Internet. La diffamation écrite et orale demeure une infraction pénale et les agents de l’État, au niveau national et local, utilisent les procédures pour diffamation afin de réduire les critiques et museler la liberté d’expression. La liberté d’association et de réunion demeure limitée, les militants politiques, des droits humains et de la société civile étant harcelés, battus et incarcérés lorsqu’ils organisent des manifestations pacifiques ou y participent. En Ouzbékistan, les défenseurs des droits humains continuent de purger de lourdes peines d’emprisonnement.

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