Dans un nouveau rapport rendu public lundi 26 septembre, Amnesty International demande aux autorités uruguayennes d’éliminer tous les obstacles juridiques aux enquêtes sur les responsables présumés de violations commises sous les gouvernements militaires et civils des années 70 et 80, et aux éventuelles poursuites ouvertes contre ceux-ci.
En mai dernier, la Cour suprême uruguayenne a estimé que deux anciens gradés militaires ne pouvaient être tenus pour responsables de disparitions forcées car celles-ci n’ont été érigées en infraction dans le pays qu’en 2006 et la loi correspondante n’est pas rétroactive.
Ces anciens militaires ont été déclarés coupables d’« homicide avec circonstances particulièrement aggravantes » - un crime de droit commun - pour le meurtre de 28 personnes, et condamnés à une peine de 25 ans de réclusion.
Dans les faits, considérer que les graves violations des droits humains perpétrées sous le régime militaire - telles que la disparition forcée - sont des crimes de droit commun et non pas des crimes contre l’humanité signifie que la prescription s’applique.
Ces affaires risquent par conséquent d’être classées le 1er novembre 2011 car le délai de prescription pour un homicide avec circonstances aggravantes est fixé à 26 ans et huit mois aux termes du Code pénal. Le début de ce délai de prescription correspond à la date du retour au pouvoir d’un gouvernement civil, le 1er mars 1985.
« L’arrêt rendu par la Cour suprême est un affront aux victimes de disparitions forcées et à leurs proches », a déclaré Hugo Relva, conseiller juridique d’Amnesty International.
« Cela est totalement contraire au droit international, qui dispose clairement qu’en tant que crimes contre l’humanité les disparitions forcées ne sont pas sujettes à la prescription. »
Les efforts déployés par l’Uruguay pour traduire en justice les responsables présumés de violations des droits humains commises sous le dernier gouvernement militaire sont inégaux et, parfois, contradictoires.
En mai 2011, une proposition visant à rendre la Loi de prescription de nul effet a été rejetée par le Congrès à quelques voix près.
Cette loi interdit de poursuivre en justice les policiers et les militaires pour des crimes contre l’humanité commis jusqu’en 1985, ce qui couvre les onze années de régime militaro-civil durant lesquelles des actes de torture, des meurtres, des disparitions forcées et d’autres violations des droits humains ont été recensés. La Loi de prescription avait précédemment été plébiscitée lors de deux consultations populaires, en 1989 et en 2009.
En février 2011, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a établi que l’Uruguay était responsable de la disparition, en 1976, de Claudia García Iruretagoyena de Gelman et de la dissimulation de l’identité de sa fille, María Macarena Gelman García.
La Cour a ordonné à l’État d’enquêter sur les disparitions forcées de ce type et d’ouvrir des poursuites si nécessaire, étant donné qu’il s’agit d’infractions permanentes et que l’application de la loi de 2006 dans ces cas n’est donc pas rétroactive.
La Cour interaméricaine a par ailleurs souligné que l’Uruguay doit veiller à ce que la Loi de prescription ne représente pas un obstacle dans le cadre de l’enquête et des mises en accusation relatives à ce cas et à d’autres, et a demandé à l’État de n’appliquer aucune autre norme, y compris la prescription, limitant la responsabilité pénale et pouvant entraver l’instruction de ces affaires.
« Les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire doivent veiller à ce qu’aucune atteinte aux droits humains ne reste impunie », a ajouté Hugo Relva.
Au moins 34 personnes ont été victimes de disparition forcée sous les divers gouvernements militaires et civils au pouvoir en Uruguay entre 1973 et 1975, et au moins 100 autres Uruguayens ont disparu en Argentine au cours de la même période. Parmi ces personnes figuraient 12 mineurs, dont quatre nés en captivité. Des milliers de personnes ont connu la torture et les mauvais traitements.
Une disparition forcée est une arrestation, un enlèvement ou une autre privation de liberté similaire imputée à l’État ou à des intermédiaires agissant en son nom, qui nient ensuite que la personne concernée se trouve en détention ou refusent de révéler où elle se trouve.