Viêt-Nam, Arrestations injustifiées et censure des réseaux sociaux

« Les autorités vietnamiennes instrumentalisent de plus en plus les réseaux sociaux, particulièrement Facebook, pour s’en prendre à ceux qui expriment leurs opinons sans violence. » - Nicholas Bequelin

Les autorités vietnamiennes durcissent la répression menée à travers tout le pays, marquée par des arrestations et la censure des réseaux sociaux, dans le but de museler le débat public au sujet d’un conflit foncier meurtrier.

L’offensive soutenue contre les critiques pacifiques fait suite à des affrontements la semaine dernière entre la police et les habitants d’un village au cœur d’un conflit foncier très médiatisé, affrontements qui ont fait quatre morts et suscité l’indignation de tout le pays. Au Viêt-Nam, la collusion des autorités dans les transactions foncières est une source majeure de mécontentement.

« Les manœuvres autoritaires du gouvernement vietnamien visant à censurer tout débat sur ce conflit foncier illustrent la campagne qu’il mène pour resserrer son contrôle sur les publications en ligne, a déclaré Nicholas Bequelin, directeur régional à Amnesty International.

« Les autorités vietnamiennes instrumentalisent de plus en plus les réseaux sociaux, particulièrement Facebook, pour s’en prendre à ceux qui expriment leurs opinions sans violence. Il s’agit d’une attaque inacceptable contre la liberté d’expression et d’une volonté manifeste d’écraser la dissidence. »

La semaine dernière, trois militants ont été arrêtés en lien avec des publications sur les réseaux sociaux portant sur le conflit dans le village de Dong Tam, tandis que des dizaines d’utilisateurs de Facebook affirment que leur activité connaît des restrictions.

Un conflit foncier meurtrier

Le 9 janvier à 4 heures du matin, la police a lancé une opération dans le village de Dong Tam, à 40 kilomètres de Hanoï, la capitale du Viêt-Nam. Les habitants de Dong Tam protestent contre la location des terres à une entreprise de télécommunications appartenant à l’armée depuis plusieurs années.

D’après les autorités, les villageois ont fait usage de violence et les affrontements ont coûté la vie à quatre personnes : trois policiers et le leader du village, Le Dinh Kinh, âgé de 85 ans. La police a arrêté 30 personnes pour « trouble à l’ordre public ». Le 14 janvier, les autorités ont annoncé qu’elles inculpaient 22 personnes de meurtre et de « résistance à un responsable de l’application des lois ».

La situation à Dong Tam est très suivie par les cybercitoyens vietnamiens ; les villageois et leurs proches qui habitent à Hanoï partagent des retransmissions en direct sur Facebook et des mises à jour régulières sur cette saga.

Si le village de Dong Tam est bouclé par les forces de sécurité depuis le 9 janvier, un témoignage vidéo de Du Thi Thanh, l’épouse de Le Dinh Kinh, a été publié sur Facebook le 13 janvier. Dans cette vidéo, elle affirme que les forces de sécurité l’ont rouée de coups pour lui faire « avouer » son rôle dans les événements du 9 janvier.

Du Thi Thanh a été libérée, mais des dizaines de personnes sont toujours détenues au secret et exposées au risque de subir des actes de torture et des mauvais traitements. Dans son témoignage, elle affirme que quatre membres de sa famille sont en détention.

Amnesty International a constaté les conditions de détention déplorables au Viêt-Nam, des éléments prouvant que les prisonniers sont torturés et soumis à d’autres formes de mauvais traitements, régulièrement détenus au secret et à l’isolement, incarcérés dans des conditions sordides et privés de soins médicaux, d’eau potable et de sortie à l’air libre.

« Les autorités doivent de toute urgence désamorcer cette situation choquante, a déclaré Nicholas Bequelin. Elles doivent établir clairement ce qui s’est passé le 9 janvier, notamment à la lumière des allégations d’une femme âgée qui affirme avoir été rouée de coups. Toute personne soupçonnée d’avoir recouru à la violence, que ce soit un policier ou un habitant de Dong Tam, doit comparaître en justice dans le cadre d’un procès équitable. »

Le conflit foncier à Dong Tam a déjà attiré l’attention au niveau national et international en avril 2017, lorsque des villageois ont retenu captifs 38 représentants locaux et policiers pendant plusieurs jours, après l’interpellation de quatre villageois pour leur rôle présumé dans un blocus.

Durcissement de la censure sur les réseaux sociaux

Amnesty International a été informée d’un net durcissement de la censure sur les réseaux sociaux au lendemain des événements dans le village de Dong Tam.

Des utilisateurs de Facebook ont déclaré avoir reçu ce message : « En raison d’exigences juridiques dans votre pays, nous avons restreint l’accès à votre profil Facebook. Cela signifie que d’autres personnes dans votre pays ne peuvent pas voir votre profil et ne pourront peut-être pas communiquer avec vous via Messenger. »

À l’origine de ces restrictions, probablement le déploiement de capacités en termes de cybersécurité pour inonder Facebook de publications se plaignant de l’activité sur les réseaux sociaux d’utilisateurs individuels. On estime qu’au Viêt-Nam, 10 000 agents sont chargés des questions de cybersécurité.

Le service vietnamien de la chaîne YouTube Radio Free Asia (RFA), qui compte un-demi million d’abonnés, a également été sanctionné par YouTube au prétexte qu’il a enfreint la charte de la communauté, sans autre explication. Ce média d’informations n’a pas pu mettre en ligne de vidéos ni diffuser en direct pendant sept jours, lors même que la restriction avait été levée au 13 janvier, Radio Free Asia ayant fait appel.

Samedi 11 janvier, le media d’État Hanoi Moi a relayé les commentaires d’un représentant du ministère vietnamien de l’Information et des Communications, félicitant [1] Google et YouTube pour leur réaction rapide aux requêtes des autorités après les affrontements à Dong Tam. Cette même personne a étrillé Facebook pour avoir réagi « très lentement et de manière bureaucratique ».

« Les autorités souhaitent museler toute discussion sur ce qui s’est passé à Dong Tam et éviter que cela ne devienne un sujet sensible de mécontentement populaire. La Silicon Valley ne saurait se rendre complice de cette manœuvre visant à maintenir les citoyens vietnamiens dans l’ignorance quant à des violations des droits humains », a déclaré Nicholas Bequelin.

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