Le 21 avril, Reuters a relaté [1] que Facebook intensifiait nettement sa censure des publications « hostiles à l’État » dans le pays. Cette décision fait suite aux pressions exercées par les autorités, notamment au moyen de ce que l’entreprise identifie comme étant des limitations délibérées de ses serveurs locaux par des entreprises de télécommunications appartenant à l’État, qui ont rendu Facebook inutilisable pendant certains laps de temps.
« Les révélations selon lesquelles Facebook cède aux exigences excessives du Viêt-Nam en matière de censure marquent un tournant dévastateur pour la liberté d’expression au Viêt-Nam et ailleurs dans le monde, a déclaré William Nee, conseiller sur les droits humains à Amnesty International.
« La répression sévère qu’exercent les autorités vietnamiennes sur la liberté d’expression n’a rien de nouveau, mais en changeant sa politique, Facebook s’en rend complice »
« La répression sévère qu’exercent les autorités vietnamiennes sur la liberté d’expression n’a rien de nouveau, mais en changeant sa politique, Facebook s’en rend complice.
« Facebook doit fonder sa règlementation des contenus sur les normes internationales relatives aux droits humains en matière de liberté d’expression, et non sur les tocades arbitraires d’un gouvernement qui bafoue les droits. Il incombe à l’entreprise de respecter la liberté d’expression en refusant de faire droit à ces requêtes indéfendables. »
Les autorités vietnamiennes ont pour habitude de qualifier d’« hostile à l’État » toute critique légitime et de poursuivre les défenseur·e·s des droits humains pour « propagande contre l’État ». Depuis quelques semaines, elles suppriment activement les publications en ligne qui concernent la pandémie de COVID-19 et durcissent la répression.
« Il est choquant de constater qu’elles resserrent l’étau quant à l’accès de la population à l’information, en pleine pandémie. Elles sont connues pour harceler les détracteurs pacifiques et les lanceurs et lanceuses d’alerte, et le monde ignore ce qui se passe réellement au Viêt-Nam », a déclaré William Nee.
Facebook cède aux pressions du gouvernement vietnamien
La décision de Facebook fait suite à des années d’efforts mis en œuvre par les autorités pour saper en profondeur la liberté d’expression en ligne : elles ont poursuivi en justice un nombre croissant de détracteurs pacifiques du gouvernement en raison de leurs activités sur Internet et adopté une loi répressive relative à la cybersécurité qui contraint les entreprises de haute technologie à livrer de vastes quantités de données, dont des informations personnelles, et à censurer des publications d’utilisateurs.
« Que Facebook se plie à ces exigences établit un dangereux précédent. Les gouvernements de par le monde verront cela comme une invitation à faire appel aux services de Facebook pour la censure d’État. Cela dessert toutes les entreprises de haute technologie, susceptibles de faire l’objet du même type de pressions et de harcèlements de la part de gouvernements répressifs, a déclaré William Nee.
« S’il est vrai que les réseaux sociaux transforment positivement le paysage de la liberté d’expression au Viêt-Nam, c’est uniquement parce que les internautes se servent de ces plateformes pour exprimer des opinions critiques et révéler des atteintes aux droits humains. C’est bien le droit fondamental à la liberté d’expression, et non le profit et l’" accès au marché ", qu’il faut protéger coûte que coûte. »
Dans un rapport publié l’an dernier, Amnesty International a conclu qu’environ 10 % des prisonnières et prisonniers d’opinion au Viêt-Nam – des personnes incarcérées uniquement pour avoir exercé sans violence leurs droits humains – étaient détenus en lien avec leur activité sur Facebook.
Récente flambée de censure et d’intimidation
En janvier 2020, les autorités vietnamiennes ont initié une répression sans précédent sur les réseaux sociaux, notamment Facebook et YouTube, dans le but de museler le débat public au sujet d’un conflit foncier très médiatisé dans le village de Dong Tam, sur fond d’allégations appuyées de corruption et d’affrontements meurtriers entre les forces de sécurité et les villageois.
La répression s’est durcie depuis l’arrivée du COVID-19. Entre janvier et mi-mars, 654 personnes au total ont été convoquées dans les postes de police à travers le Viêt-Nam afin d’assister à des « sessions de travail » avec la police en lien avec leurs publications concernant le virus sur Facebook ; 146 ont écopé d’amendes et les autres ont dû supprimer leurs publications.
Le 15 avril, les autorités ont adopté le décret 15/2020, de grande portée, qui impose de nouvelles sanctions pour des contenus sur les réseaux sociaux tombant sous le coup de restrictions vagues et arbitraires. Ce décret renforce les pouvoirs du gouvernement s’agissant de contraindre les entreprises de haute technologie à se plier à la censure arbitraire et aux mesures de surveillance.
Le 18 avril, les autorités de la province de Hau Giang ont arrêté Dinh Thi Thu Thuy, 38 ans, pour « propagande contre le régime » au titre de l’article 117 du Code pénal de 2015. La police l’a accusé d’avoir « publié et partagé des centaines de contenus hostiles à l’État sur Facebook », un chef d’accusation passible d’une peine maximale de 20 ans d’emprisonnement.
Le 12 avril, la police de la ville de Can Tho a arrêté et détenu Ma Phung Ngoc Tu, 28 ans, pour avoir « abusé de la liberté démocratique », au titre de l’article 331 du Code pénal de 2015. La police l’a accusé d’avoir « publié et partagé 14 contenus sur le coronavirus qui dénigraient le régime », un chef d’accusation passible d’une peine pouvant aller jusqu’à sept ans d’emprisonnement. Ma Phung Ngoc Tu est maintenu en détention provisoire.
Le 10 avril, les autorités de la province du Lam Dong ont convoqué Dinh Vinh Son, 27 ans, pour diffusion de « fausses informations » sur le COVID-19. Il est le premier citoyen au Viêt-Nam à être poursuivi pour avoir diffusé des informations sur la pandémie. Il est inculpé au titre de l’article 288 du Code pénal de 2015, de « diffusion ou utilisation illégale d’informations sur les réseaux informatiques ou les réseaux de télécommunications », un chef d’accusation passible d’une peine maximale de sept ans de prison.