VIÊT-NAM : Un dissident bouddhiste quitte sa patrie pour un exil à l’étranger

Index AI : ASA 41/010/2004

Mercredi 23 juin 2004

DÉCLARATION PUBLIQUE

(New York et Londres, 23 juin 2004) - Thich Tri Luc, dissident bouddhiste vietnamien, enlevé au Cambodge et rapatrié de force au Viêt-Nam en 2002, a été autorisé à quitter le Viêt-Nam pour un pays scandinave où il est attendu ce mercredi 23 juin, ont déclaré Amnesty International et Human Rights Watch. Thich Tri Luc, dont le nom laïc est Pham Van Tuong, s’était vu accorder le statut de réfugié par le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés ; enlevé au Cambodge par des agents cambodgiens et vietnamiens et emmené au Viêt-Nam, il est resté emprisonné pendant presque deux ans.

« Quand un religieux bouddhiste est forcé de s’exiler pour pouvoir pratiquer sa religion en toute sécurité, il est clair que le Viêt-Nam ne tolère tout simplement aucune opinion ni institution indépendante », a déclaré Sam Zarifi, directeur adjoint de la division Asie de Human Rights Watch. Thich Tri Luc, qui a été interpellé et emprisonné à de nombreuses reprises au Viêt-Nam du fait de ses convictions religieuses, était membre de l’Église bouddhique unifiée du Viêt-nam (EBUV), interdite par le gouvernement vietnamien.

« Au moins cette triste saga est terminée pour Thich Tri Luc, a déclaré un porte-parole d’Amnesty International. Cet homme a été emprisonné à de nombreuses reprises, soumis à une surveillance de tous les instants, enlevé avec la complicité active des autorités cambodgiennes dans ce pays où il avait cherché refuge après des années de persécution et de harcèlement, puis détenu au secret au Viêt-Nam sans que sa famille ne sache s’il était mort ou vivant. Tout cela parce qu’il s’était montré critique de la politique du gouvernement en matière de religion et avait osé le dire à voix haute. »

Complément d’information

Thich Tri Luc, cinquante ans, est un ancien moine bouddhiste, membre pendant trente ans de l’Église bouddhique unifiée du Viêt-Nam (EBUV), non reconnue par l’État. Il avait fui le Viêt-Nam pour le Cambodge début 2002, espérant y trouver asile après des années de persécution par les autorités vietnamiennes. Avant 1975, l’EBUV représentait une force religieuse importante au Sud-Viêt-Nam ; elle était connue dans le monde entier à cause de ses moines, dont plusieurs s’étaient immolés par le feu pour protester contre la guerre et du fait de son activisme social.

En 1992 et 1993, il avait été maintenu en détention sans inculpation ni jugement pendant dix mois au Viêt-Nam pour avoir protesté contre le traitement réservé aux bouddhistes et demandé le respect de la liberté de religion. Il avait été arrêté de nouveau en novembre 1994 avec d’autres moines de l’EBUV et des laïcs, pour avoir participé à une mission non officielle de secours aux victimes d’inondations qui s’étaient produites dans le delta du Mékong. En août 1995, il avait été condamné à une peine de deux ans et demi d’emprisonnement et à cinq ans de résidence surveillée, pour avoir notamment « profité des libertés et des droits démocratiques pour porter préjudice aux intérêts du gouvernement, des organisations sociales et des citoyens ». Entre ses périodes d’incarcération, Thich Tri Luc avait été placé en résidence surveillée, harcelé, détenu pour de courtes périodes et privé de ses droits fondamentaux par la police en raison de son appartenance à l’EBUV et de ses activités religieuses pacifiques.

Après avoir fui au Cambodge, il avait obtenu le statut de réfugié du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) en juin 2002. Le 25 juillet 2002, il était enlevé par des agents cambodgiens et vietnamiens et rapatrié de force au Viêt-Nam.

Thich Tri Luc a été détenu au secret pendant plus d’un an avant que l’on informe enfin sa famille qu’il était toujours en vie et allait être jugé. Sa « disparition » et son enlèvement, en violation des principes les plus élémentaires du droit international, avait soulevé un tollé international.

La façon choquante dont Thich Tri Luc a été traité par les autorités cambodgiennes a démontré l’absence de protection pour les réfugiés et demandeurs d’asile au Cambodge, un problème qui persiste en dépit du fait que ce pays soit partie à la Convention relative au statut des réfugiés.

Le 12 mars 2004, le tribunal populaire d’Ho Chi Minh-Ville a condamné Thich Tri Luc à vingt mois d’emprisonnement pour avoir déformé « la politique d’unité nationale du gouvernement » et contacté « des groupes hostiles dans le but de saper la sécurité interne et les affaires étrangères du gouvernement ». Il a été remis en liberté le 26 mars, après avoir passé vingt mois en détention préventive. Dans une note manuscrite adressée à Human Rights Watch et Amnesty International quatre jours avant sa sortie de prison, Thich Tri Luc avait décrit les circonstances de son enlèvement au Cambodge :

« Il était environ 19h00 ce 25 juillet 2002 et j’étais dans la Rue 185, en face du Russey Market à Phnom Penh au Cambodge ; j’allais acheter mon dîner. Soudain, plusieurs étrangers m’ont accosté ; ils ont fait cercle autour de moi, m’ont enlevé et jeté dans un véhicule qui attendait à proximité. Ils m’ont menotté, puis l’homme assis à côté de moi m’a saisi à la gorge et a serré si fort que je n’ai pas pu crier pour appeler à l’aide. L’homme qui se trouvait derrière moi s’est penché en avant et m’a frappé brutalement au visage et à la tête. Ils ont vidé mes poches et ont confisqué tout ce que j’avais, mon argent et ma carte de réfugié. Certains des hommes qui se trouvaient dans le véhicule étaient vietnamiens .

L’un des hommes m’a interrogé en vietnamien, il parlait couramment, comme un Vietnamien s’exprimant dans sa langue maternelle. Il m’a demandé : « Avais-tu un visa pour venir ici ? » J’ai répondu sans hésitation : « Je suis réfugié politique. J’ai obtenu le statut de réfugié par le HCR. J’ai le droit de vivre au Cambodge sous la protection des Nations unies. Je n’ai jamais enfreint de lois cambodgiennes, pourquoi m’avez-vous enlevé et pourquoi me frappez-vous ainsi ?

Ils n’ont rien répondu et ont continué à me frapper impitoyablement. Il m’est impossible de décrire la panique qui s’est alors emparée de moi !

La voiture a roulé pendant à peu près une demi-heure avant de s’arrêter devant un bâtiment ... Ils m’ont fait monter dans une autre voiture et nous sommes repartis. La voiture avec les hommes qui m’avaient enlevé roulait devant... Nous avons roulé jusqu’à un autre bâtiment près du rond-point qui se trouve au pied de Saigon Bridge à Phnom Penh. Les hommes m’ont enfermé dans une salle de réunion dans laquelle était peint en grand l’insigne des services de sécurité cambodgiens. Je suis resté menotté toute la nuit ; personne n’est venu pour m’interroger, je n’ai donc pas eu l’occasion d’expliquer ma situation et n’ai pas pu contacter le HCR pour demander de l’aide.

Vers 4h00 du matin le lendemain, 26 juillet 2002, on m’a fait monter dans un véhicule qui m’a conduit au point de passage de Moc Bai, dans le district de Ben Cau, province de Tay Ninh. Des responsables vietnamiens des services de sécurité attendaient du côté vietnamien de la frontière. Je les ai vus échanger une poignée de main avec les responsables cambodgiens des services de sécurité, leur sourire et parler avec eux. Après cela, j’ai été emmené au centre de détention B34/A24 des services de sécurité [à Ho Chi Minh-Ville]. Le ministère de la Sécurité publique a délivré un mandat d’arrestation temporaire, m’inculpant au titre de l’article 91 du Code pénal de la République socialiste du Viêt-Nam d’avoir voulu « fuir à l’étranger ou faire défection, en y demeurant, en vue de s’opposer au gouvernement populaire ». Le 12 mars 2004, le tribunal populaire d’Ho Chi Minh-Ville m’a condamné à vingt mois de prison . J’ai été remis en liberté après avoir purgé ma peine le 26 mars 2004. »

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