Communiqué de presse

« On se serait vraiment cru en guerre » - Les heurts entre Euromaïdan et les autorités vues par un témoin

Zorian Kis, coordonnateur Campagnes à Amnesty International Ukraine, a passé la nuit sur le Maïdan, la place centrale de Kiev, mercredi 19 février, phase la plus sanglante des récents affrontements ayant opposé Euromaïdan et les autorités. Les violences des 19 et 20 février ont fait plus de 70 morts parmi les manifestants et au moins 20 chez les policiers.

Le mouvement de protestation ukrainien Euromaïdan est né il y a exactement trois mois. Jamais le pays n’a été témoin de mon vivant d’une telle négligence à l’égard de la dignité et des droits humains, d’une incapacité aussi consternante du gouvernement à écouter le peuple, ni d’un courage aussi incroyable de la part de personnes ordinaires revendiquant leurs droits.

À la fin de l’année dernière, lorsque nous avons lancé notre première pétition contre les violences policières et l’impunité en la matière, nous n’aurions pas pu imaginer l’ampleur des violations dont nous serions victimes aux mains de responsables des forces de l’ordre en janvier et février 2014.

Quand de violents affrontements avec la police ont encore une fois éclaté mercredi 19 février, l’insécurité ambiante nous a forcés à fermer le bureau de Kiev. J’ai passé la nuit sur le Maïdan – la place de l’Indépendance, dans le centre de Kiev, et l’épicentre des manifestations –, puis la police est arrivée et a tenté pour la troisième fois de « nettoyer » la zone. Plus tôt ce jour-là, plus de 30 manifestants avaient été tués par balle dans le centre de Kiev. Les policiers ont utilisé des balles réelles, de nouvelles grenades russes incapacitantes, du gaz lacrymogène, des balles en caoutchouc, trois canons à eau et deux véhicules de transport de troupes contre les manifestants. On se serait vraiment cru en guerre […] Tandis que les policiers commençaient à démanteler les barricades, les manifestants ont créé un mur de feu tout autour d’eux, brûlant des pneus et toutes sortes d’objets inflammables, y compris des vêtements.

Il y avait environ 5 000 personnes sur la place, et chacune d’entre elles a joué un rôle. Certaines ont formé des files pour acheminer pierres et pneus jusqu’aux jeunes gens se trouvant en première ligne, qui risquaient leur vie pour sauver la nôtre. J’ai vu des milliers de personnes incroyablement concentrées, dignes et courageuses. Étudiants, retraités, branchés, russophones et ukrainophones, intellectuels et mineurs, ils étaient venus du pays tout entier. Je me sentais fier d’eux.

Je me tenais près de la scène principale quand une balle en caoutchouc m’a atteint à la jambe. Comme elle avait été tirée de loin, je n’ai pas été blessé, et la douleur n’a duré que cinq minutes environ. Quand j’ai crié « aïe », les gens autour de moi se sont retournés, prêts à aider. Ils n’avaient pas peur du tout. Je leur ai dit que ça allait, et nous avons tous ri ensemble. Deux minutes plus tard un des dirigeants de l’opposition a été blessé par une balle en caoutchouc, alors qu’il s’exprimait sur la scène principale. Le tireur avait pris son visage pour cible.

Le lendemain, jeudi 20 février, de nouvelles violences ont eu lieu sur le Maïdan. Plus de 60 personnes auraient été abattues par des tireurs embusqués lors de ces affrontements. Les manifestants ont repris le contrôle d’une partie de la place qui leur avait échappée, et ont repoussé les policiers. L’équipe d’Amnesty International Ukraine a voulu donner son sang, compte tenu du grand nombre de blessés – nous avons appelé cinq centres différents, mais ils étaient déjà pleins de personnes ayant eu la même idée que nous et ils n’avaient pas suffisamment de place. Nos noms ont été ajoutés à la liste pour le lendemain.

Le métro avait été fermé mercredi 19 février, et de nombreuses personnes avaient quitté la ville ou décidé de ne pas sortir de chez elles. Cependant, le nombre de manifestants du Maïdan augmentait constamment, alimenté par les bus et les voitures arrivant à Kiev après avoir contourné les postes de contrôle, en provenance du pays tout entier. J’ai rencontré de gens de Jitomir qui avaient marché dans les bois pendant trois heures avant d’atteindre la ville.

La plupart des personnes touchées par des balles à Maïdan ont été blessées au cou. J’ai parlé à l’un des médecins, qui m’a dit qu’elles n’avaient aucune chance de survivre à leurs blessures et qu’elles avaient manifestement été visées par des professionnels qui tiraient pour tuer.

Des dizaines de corps ont été déposés sur le Maïdan et devant le bâtiment de l’administration municipale. J’ai vu des hommes prier et pleurer à côté de leurs amis décédés. On ne sait pas encore combien de personnes ont perdu la vie, mais le chiffre dépasse de loin les 70. J’ai parcouru la liste des morts, espérant ne pas y lire le nom de quelqu’un que je connaissais […] Je n’y ai vu personne, mais nombreux sont ceux qui n’ont pas eu cette chance.

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