Yémen : attaque aérienne à l’encontre de civils à Sanaa

La bombe qui a détruit un bâtiment résidentiel dans la capitale yéménite au mois d’août, faisant 16 morts et 17 blessés civils, parmi lesquels Buthaina, une fillette de cinq ans dont la photo a fait le tour du monde au lendemain de l’attaque, était de fabrication américaine, a révélé Amnesty International vendredi 22 septembre.

En analysant les débris du projectile, l’expert en armement de l’organisation a découvert qu’ils portaient des inscriptions clairement visibles correspondant à des éléments utilisés couramment dans la production de bombes aéroportées à guidage laser aux États-Unis.

Le raid aérien du 25 août a frappé un ensemble de logements à Sanaa, dont trois ont été fortement endommagés, et a tué sept enfants, notamment les cinq frères et sœurs de Buthaina. Huit autres enfants ont été blessés, parmi lesquels Sam Bassim al Hamdani, un garçonnet de deux ans qui a perdu ses deux parents.

« On peut désormais affirmer de manière définitive que la bombe qui a tué les parents et les frères et sœurs de Buthaina, ainsi que d’autres civils, a été fabriquée aux États-Unis, a déclaré Lynn Maalouf, directrice des recherches pour le Moyen-Orient à Amnesty International.

« Rien ne saurait justifier que les États-Unis et d’autres pays, comme le Royaume-Uni et la France, continuent de fournir des armes à la coalition dirigée par l’Arabie saoudite dans le cadre du conflit au Yémen. Celle-ci a commis à maintes reprises de graves violations du droit international, notamment des crimes de guerre, au cours des 30 derniers mois, ce qui a des conséquences dévastatrices sur la population civile. »

Après avoir examiné les photographies fournies par un journaliste local qui a déterré les fragments du projectile, l’expert en armement d’Amnesty International a pu identifier avec certitude la plaque signalétique d’un groupe de contrôle informatique de type MAU-169L/B, produit aux États-Unis. Cette pièce entre dans la fabrication de plusieurs types de bombes aéroportées à guidage laser.

La Defence Security Cooperation Agency (DSCA) – agence du ministère américain de la Défense chargée de la coopération en matière de sécurité – a indiqué que les États-Unis avaient autorisé en 2015 la vente à l’Arabie saoudite de 2 800 bombes à guidage (notamment de modèles GBU-48, GBU-54 et GBU-56) équipées d’un groupe de contrôle informatique MAU-169L/B.

Amnesty International appelle à instaurer immédiatement un embargo total afin de veiller à ce qu’aucune des parties au conflit yéménite ne soit approvisionnée en armes, en munitions, en matériel militaire ou en outils technologiques susceptibles d’être utilisés dans ce contexte. Il faut diligenter de toute urgence une enquête indépendante et impartiale sur les violations signalées et faire en sorte que les responsables présumés d’infractions au regard du droit international soient traduits en justice dans le respect des normes d’équité des procès.

Des vies détruites

« Elle avait cinq frères et sœurs pour jouer. Maintenant, elle n’en a plus aucun. » Ali al Raymi

La coalition a lancé l’attaque dévastatrice vers 2 heures du matin sur Faj Attan, un quartier résidentiel de Sanaa.

Ali al Raymi (32 ans) a perdu son frère Mohamed, sa belle-sœur et cinq neveux et nièces âgés de deux à 10 ans. Sa nièce Buthaina (cinq ans) est la seule survivante.

Il a déclaré à Amnesty International :
« Quand on lui demande ce qu’elle veut, elle dit qu’elle veut rentrer chez elle... Elle pense qu’elle les y trouvera [les membres de sa famille]... Elle avait cinq frères et sœurs pour jouer. Maintenant, elle n’en a plus aucun. Quelle tristesse et quelle douleur peut-elle ressentir dans son cœur ? »

La coalition a admis avoir mené le raid mais soutient que les victimes civiles sont la conséquence d’une « erreur technique ». Elle affirme qu’elle visait un « objectif militaire légitime », qui appartenait aux forces Houthi/Saleh.

Selon des habitants, l’un des bâtiments du quartier était fréquenté par un partisan des Houthis. Amnesty International n’a pas pu confirmer l’identité, le rôle ni la présence éventuelle de cet homme au moment de la frappe.

Cependant, même s’il existe des objectifs militaires à proximité, le droit international humanitaire interdit toute attaque menée de façon disproportionnée, à plus forte raison lorsqu’elle risque de blesser ou tuer des civils.

Par ailleurs, le porte-parole de la coalition a déclaré que l’Équipe mixte d’évaluation des incidents (JIAT) avait été saisie afin de mener des investigations plus approfondies. À la connaissance d’Amnesty International, aucun membre de la coalition n’a pris, à ce jour, de mesures concrètes, qui pourraient se matérialiser par une enquête, des mesures disciplinaires à l’égard des militaires soupçonnés de porter une responsabilité pénale dans des crimes de guerre ou des poursuites engagées à l’encontre de ces personnes.

« Le mépris total de la coalition à l’égard de la vie des civils et le manque d’engagement à diligenter des investigations efficaces montrent combien il est nécessaire d’ouvrir une enquête internationale indépendante sur les violations présumées du droit international, a déclaré Lynn Maalouf.

« Il est honteux que les principaux alliés, notamment les États-Unis et le Royaume-Uni, continuent de fournir des armes à la coalition en grande quantité, au lieu de l’amener à rendre des comptes sur les actions menées au Yémen. »

COMPLÉMENT D’INFORMATION

Depuis février 2016, Amnesty International exhorte tous les États à veiller à ce qu’aucune des parties au conflit yéménite ne soit approvisionnée, directement ou indirectement, en armes susceptibles d’être utilisées dans ce contexte. L’organisation a aussi appelé à maintes reprises à ouvrir une enquête internationale indépendante sur toutes les violations présumées du droit international par les différentes parties, sans exception. À cet égard, la section belge francophone d’Amnesty International demande à la Région wallonne de suspendre ses ventes d’armes, entre autres, à l’Arabie saoudite, qui est l’un de ses plus gros clients. À l’occasion des Fêtes de Wallonie à Namur le 16 septembre dernier, des militants de l’organisation ont mené une série d’actions dénonçant la politique d’armement menée par la Région wallonne depuis des années. Une pétition à l’attention du Ministre-Président Willy Borsus a également été lancée le même jour.

Dans son rapport annuel sur le Yémen, le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH) indique que 1 120 enfants ont été tués et 1 541 ont été blessés depuis le début du conflit, en mars 2015. Pendant l’année écoulée, plus de la moitié de ces victimes mineures ont été imputées à des frappes aériennes de la coalition.

Les forces Houthi/Saleh, ainsi que les forces anti-Houthis présentes sur le terrain, ont aussi commis des violations du droit international humanitaire et des atteintes aux droits humains. Selon le HCDH, ce sont les forces Houthi/Saleh qui ont fait la majorité des victimes mineures tuées ou blessées par des combats au sol, des opérations de pilonnage et des mines antipersonnel, pourtant interdites.

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