Yémen : Les civils restent pris au piège dans le conflit

En septembre 2017, lors de sa 36e session, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a adopté une résolution déterminante, chargeant un groupe d’experts éminents d’enquêter sur les violations et les exactions commises par toutes les parties au conflit qui affecte le Yémen et d’identifier, dans la mesure du possible, les responsables de ces actes. Cette résolution représente un premier pas vers la justice pour les victimes d’atteintes aux droits humains et de graves violations du droit international, y compris de crimes de guerre. Elle adresse en outre un message sans équivoque à toutes les parties au conflit : leur conduite sera passée au crible et les atteintes aux droits dont elles sont responsables ne resteront pas impunies. Malgré l’importance de cette résolution, les Yéménites continuent de souffrir aux mains de tous les belligérants, qui ne respectent toujours pas les obligations qui sont les leurs aux termes du droit international humanitaire et relatif aux droits humains.

SIGNEZ notre pétition demandant à la Région wallonne de cesser de vendre des armes à l’Arabie saoudite.

Selon le haut-commissaire aux droits de l’homme des Nations unies, le conflit au Yémen aurait fait au moins 5 144 morts dans la population civile et 2 014 026 personnes déplacées (chiffres du mois de septembre 2017).

Depuis septembre 2017, Amnesty International a recueilli des informations faisant état d’atteintes au droit international humanitaire et relatif aux droits humains commises par toutes les parties au conflit. À Sanaa comme à Aden, les affrontements entre les différentes forces en présence mettent régulièrement la vie des civils en danger. Des civils ont vu leur vie détruite par des bombardements aveugles, des détentions arbitraires, des disparitions forcées et une crise humanitaire qui ne fait qu’empirer, sachant que plus de 22 millions de personnes sont déjà dans l’incapacité de survivre sans aide.

Il est à la fois possible et indispensable de prendre des mesures supplémentaires pour protéger les civils pris au piège dans le conflit et pour mettre un terme aux violations et aux exactions.

La coalition dirigée par l’Arabie saoudite

La coalition dirigée par l’Arabie saoudite continue de commettre des violations graves du droit international humanitaire et relatif aux droits humains, en toute impunité. Elle se livre à des frappes aériennes sur des régions contrôlées ou revendiquées par les Houthis et leurs alliés, tout particulièrement dans les gouvernorats de Sanaa, d’Hajjah, d’Hodeida et de Saada. Bon nombre de ces actions ont été menées de manière aveugle et disproportionnée, voire ont visé directement des civils et des biens à caractère civil. Une attaque menée en août 2017 contre un quartier résidentiel du sud de Sanaa a fait 16 morts et 17 blessés, tous civils. La majorité des victimes étaient des enfants. Amnesty International a pu établir que la bombe utilisée lors de cette attaque avait été fabriquée aux États-Unis. Les États-Unis, le Royaume-Uni, la France et un certain nombre d’autres pays continuent d’autoriser depuis le début du conflit, en mars 2015, l’exportation ou le transfert d’armes qui sont utilisées ou risquent de l’être pour commettre ou faciliter de graves atteintes aux droits au Yémen.

À Aden, les forces yéménites soutenues par les Émirats arabes unis mènent une campagne de détentions arbitraires et de disparitions forcées. Amnesty International a recueilli des informations sur 13 cas de personnes placées en détention arbitraire par ces forces au cours de l’année passée ; certaines de ces personnes ont été placées au secret ou ont été victimes d’une disparition forcée.

Pendant ce temps, la coalition emmenée par l’Arabie saoudite et le gouvernement du Yémen empêche les journalistes et les organisations de défense des droits humains de se rendre sur place à bord d’avions affrétés par l’ONU, limitant ainsi la couverture du conflit et imposant de fait un véritable couvre-feu médiatique.

Les groupes armés : les Houthis et les forces qui leur sont opposées

Les Houthis et les forces qui leur sont opposées, y compris des unités de l’armée restées fidèles à l’ancien président Ali Abdullah Saleh, continuent de recourir à des tactiques violant l’interdiction des attaques menées sans discrimination. Ils utilisent sans discernement des munitions explosives à large champ d’action, dont des obus de mortier et d’artillerie, en direction de zones habitées contrôlées ou revendiquées par leurs adversaires, tuant et blessant des civils. La ville de Taizz a été particulièrement touchée. Elle a encore tout récemment été la cible de violentes attaques, en janvier et février 2018. Les Houthis et leurs alliés continuent également de poser des mines terrestres antipersonnel interdites au niveau international, qui ont provoqué des pertes civiles, et d’enrôler et d’utiliser des enfants soldats. À Sanaa, les affrontements qui opposent les Houthis et les forces fidèles à l’ancien président Saleh mettent régulièrement la vie des civils en danger.

Dans la capitale comme dans d’autres secteurs sous leur contrôle, les Houthis et leurs alliés se livrent toujours à des arrestations et à des détentions arbitraires. Ils se sont rendus responsables de dizaines de disparitions forcées et ils n’hésitent pas à imposer la peine de mort à l’issue de procès totalement inéquitables. Ces exactions visent notamment des personnes dont le seul « crime » est d’avoir exercé leur liberté d’expression (journalistes, personnes critiques à l’égard de la politique menée, membres de la minorité baha’ie, etc.). Cinq hommes appartenant à la minorité baha’ie sont actuellement en détention arbitraire. Plusieurs d’entre eux ont été arrêtés uniquement en raison de leurs convictions et de leurs activités pacifiques en tant qu’adeptes de la foi baha’ie. Hamid Haydara, membre de la communauté baha’ie du Yémen, a été condamné à mort en janvier par la Cour pénale spécialisée de Sanaa, qui a prêté allégeance aux Houthis. Il avait été reconnu coupable de collaboration avec Israël et de falsification de documents officiels à l’issue d’un procès totalement inéquitable (il avait notamment passé beaucoup trop de temps en détention provisoire et avait été torturé et, plus généralement, maltraité). Hamid Haydara a été jugé en raison de ses convictions et des activités pacifiques qu’il menait en tant que membre de la communauté baha’ie. Toujours au mois de janvier, trois autres membres de cette communauté, dont une femme, ont été condamnés à mort par cette même cour à l’issue d’un procès inéquitable pour avoir, selon l’accusation, aidé un pays ennemi.

Aggravation de la situation humanitaire

Le Yémen est actuellement le théâtre de la pire crise humanitaire de la planète. Au moins 22,2 millions de personnes y ont un besoin urgent d’assistance humanitaire et plus d’un million de cas de choléra y auraient été recensés. Cette crise a été déclenchée par l’homme. La guerre aggrave et exacerbe la situation humanitaire et toutes les parties en présence empêchent l’aide humanitaire d’arriver.

Après le lancement par les forces houthies, fin novembre, d’un missile visant des quartiers civils de Riyadh, la coalition emmenée par l’Arabie saoudite a illégalement renforcé son blocus maritime et aérien.

En dépit des mesures annoncées par la coalition, censées atténuer les effets de cette politique, comme le Programme global d’opérations humanitaires au Yémen, la coalition continue d’imposer des restrictions à l’aide et aux importations commerciales de produits de première nécessité, sous prétexte de faire appliquer l’embargo approuvé par l’ONU sur les armes à destination des Houthis. Ces restrictions ne font qu’aggraver la crise humanitaire engendrée par le conflit et contribuer aux violations du droit à la santé et à un niveau de vie suffisant, et notamment du droit à disposer d’une alimentation suffisante.

Dans un tel contexte de non-droit, d’impunité et d’atteintes aux libertés fondamentales, il est urgent que l’obligation de rendre des comptes soit respectée, en commençant par enquêter de manière indépendante, impartiale et transparente sur les violations présumées. Les personnes soupçonnées d’être les auteurs de ces violations doivent être traduites en justice et les victimes et leurs familles doivent bénéficier de réparations complètes et effectives. Il est par conséquent impératif que le groupe d’experts éminents dispose des moyens nécessaires à sa mission et puisse compter sur l’entière coopération de toutes les parties au conflit.

Amnesty International appelle par conséquent l’ensemble des parties au conflit qui déchire le Yémen à prendre les mesures suivantes :

  • Coopérer entièrement avec le groupe d’experts éminents dans le cadre de leur enquête sur les atteintes aux droits présumées commises par les différents belligérants au Yémen, celle-ci visant à établir les faits et à identifier les responsables, afin que ceux-ci soient traduits en justice.
  • Respecter pleinement les dispositions applicables du droit international humanitaire lors de la planification et de l’exécution de toute opération militaire. Veiller en particulier à ce que les civils et les biens de caractère civil ne soient pas pris pour cible, en prenant les précautions nécessaires pour faire la distinction entre les civils et les combattants et entre les biens à caractère civil et les objectifs militaires, et en mettant fin aux attaques menées de façon aveugle et disproportionnée.
  • Veiller à ce que tous les travailleurs humanitaires puissent se déplacer librement, et à ce qu’une aide humanitaire impartiale soit apportée rapidement et sans entrave aux civils qui en ont besoin, en autorisant les importations de produits de première nécessité.
  • Veiller à ce que des réparations intégrales soient accordées dans les meilleurs délais aux victimes et aux familles de victimes d’attaques illégales, notamment sous forme de mesures d’indemnisation, de restitution, de réadaptation et de réhabilitation leur donnant satisfaction, assorties de garanties de non-répétition.
  • Mettre immédiatement un terme au recours à des armes dont l’action est par nature indiscriminée ou qui font l’objet de manière générale d’une interdiction internationale, notamment les armes à sous-munitions et les mines antipersonnel ; et cesser d’utiliser des engins explosifs susceptibles de causer des dommages sur un large périmètre, comme les obus d’artillerie ou de mortier, près des lieux où se concentre la population civile.

Amnesty International appelle en outre tous les pays qui fournissent des armes à l’une quelconque des parties au conflit au Yémen à suspendre immédiatement ces transferts d’armes jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de risque sérieux qu’elles soient utilisées pour commettre ou faciliter des atteintes graves au droit international humanitaire ou relatif aux droits humains. Les transferts d’armes à toute partie au conflit au Yémen doivent être assortis d’une garantie stricte et juridiquement contraignante, assurant que l’utilisation finale sera conforme au droit international humanitaire et relatif aux droits humains, et que les armes transférées ne seront pas utilisées au Yémen.

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