Jeudi 16 août, cela fera deux ans qu’Abdul Ilah Haydar Shayi, journaliste d’enquête spécialisé dans les affaires de lutte contre le terrorisme, a été arrêté chez lui, dans la capitale Sanaa, en raison de ses liens présumés avec Al Qaïda. Depuis, il se trouve derrière les barreaux.
Le 18 janvier 2011, il a été condamné à une peine de cinq ans de prison. Le 1er février 2011, l’ancien président du Yémen Ali Abdullah Saleh a émis un décret ordonnant sa remise en liberté, mais celui-ci n’a pas été appliqué, le président américain Barack Obama ayant fait part de son inquiétude au sujet de sa libération.
Selon les avocats d’Abdul Ilah Haydar Shayi et des militants yéménites, les charges retenues contre lui ont été forgées de toutes pièces, en raison de son travail de journaliste d’investigation.
« Depuis son arrestation et son procès, des éléments sérieux laissent à penser qu’il a été pris pour cible parce qu’il a dévoilé des informations sur le rôle des États-Unis dans une attaque impliquant des bombes à sous-munitions qui a causé la mort de dizaines de civils, a indiqué Hassiba Hadj-Sahraoui, directrice adjointe du programme Afrique du Nord et Moyen-Orient d’Amnesty International.
« Depuis deux ans, il est incarcéré. Il semble que les charges pour lesquelles il a été condamné mettent en cause ses activités légitimes en tant que journaliste. Aussi les autorités doivent-elles annuler sa condamnation et libérer Abdul Ilah Haydar Shayi. »
En janvier 2011, Abdul Ilah Haydar Shayi a été déclaré coupable par le tribunal pénal spécial de plusieurs chefs d’accusation ; il lui était notamment reproché d’avoir communiqué avec des « hommes recherchés », d’avoir rejoint un groupe armé et d’avoir conseillé Al Qaïda en matière de communication. Lorsqu’il aura purgé sa peine de cinq ans d’emprisonnement, il sera sous le coup d’une interdiction de voyager pendant deux années supplémentaires.
Le fait d’avoir communiqué avec des « hommes recherchés » serait lié à son travail en tant que journaliste d’investigation. Lui-même ne nie pas avoir eu des contacts avec des membres d’Al Qaïda, mais affirme que c’est en lien avec son travail d’enquête. Selon ses avocats, l’accusation n’a présenté aucun élément prouvant que leur client avait travaillé avec Al Qaïda ou l’avait soutenue.
Amnesty International n’a eu connaissance d’aucun élément venant étayer les charges retenues contre lui.
Abdul Ilah Haydar Shayi et ses avocats ont refusé de faire appel de sa condamnation, invoquant les doutes quant à la légitimité du tribunal et l’équité du procès.
Depuis le moment de son arrestation jusqu’au 11 septembre 2010, il a été détenu au secret. Il a affirmé à ses avocats et à d’autres personnes présentes lors d’une audience au tribunal qu’il avait été battu durant cette période. Il présentait des lésions au thorax, des contusions sur tout le corps et une dent cassée.
Étant donné l’absence d’éléments probants venant étayer les chefs d’accusation, les allégations de torture et d’autres mauvais traitements, et les préoccupations relatives à l’équité des procès qui se déroulent devant le tribunal pénal spécial et à son absence d’indépendance, Amnesty International estime que sa détention est arbitraire, que sa condamnation doit être annulée et qu’Abdul Ilah Haydar Shayi doit être libéré.
Si les autorités détiennent des preuves contre lui, elles doivent l’inculper d’une infraction dûment reconnue par la loi et le traduire en justice dans le cadre d’une procédure conforme aux normes internationales d’équité.
Abdul Ilah Haydar Shayi a été le premier journaliste yéménite à parler d’une implication des États-Unis dans un tir de missiles effectué en décembre 2009 contre al Maajala, dans le gouvernorat d’Abyan, dans le sud du Yémen. Selon le gouvernement, ce site abritait un camp d’entraînement d’Al Qaïda.
Peu après l’attaque, qui a tué 41 civils, dont 14 femmes et 21 enfants, Abdul Ilah Haydar Shayi a parlé de cet événement dans des articles parus dans la presse et accordé des interviews à la chaîne d’informations Al Jazira et à des journaux. En outre, 14 membres présumés d’Al Qaïda auraient également été tués lors de cette attaque.
Le gouvernement du Yémen a tout d’abord assumé l’entière responsabilité de l’attaque contre al Maajala. Toutefois, peu de temps après, des médias américains ont relayé des déclarations qui émaneraient de sources anonymes au sein du gouvernement des États-Unis, selon lesquelles des missiles américains avaient été tirés sur ordre du président Barack Obama contre deux sites présumés d’Al Qaïda au Yémen.
En juin 2010, Amnesty International a diffusé des photographies d’un missile de croisière Tomahawk de fabrication américaine qui transportait des bombes à sous-munitions, prises semble-t-il non loin du village d’al Maajala après la frappe aérienne de décembre 2009. À la connaissance d’Amnesty International, seules les forces américaines détenaient ces missiles au moment des faits et il est peu probable que les forces armées du Yémen soient en mesure d’en utiliser.
Un câble diplomatique divulgué plus tard par Wikileaks a corroboré ces conclusions, confirmant que c’était l’armée américaine qui avait procédé à ce tir de missile.
Amnesty International a réclamé au Pentagone des informations sur l’implication des forces américaines dans cette attaque, sans obtenir de réponse.
« Les autorités du Yémen et des États-Unis n’ont pas rendu de comptes pour les attaques qui ont tué des dizaines de civils yéménites, tandis que le journaliste qui a dénoncé l’implication des États-Unis est incarcéré depuis deux ans », a indiqué Hassiba Hadj-Sahraoui.
Les bombes à sous-munitions ont des effets non discriminants et les minibombes qui n’ont pas explosé sont une menace pendant des années pour la vie et les moyens de subsistance des populations.
Un traité mondial visant à interdire l’utilisation, la production, le stockage et le transfert de ces armes, entré en vigueur le 1er août 2010, compte à ce jour 75 États parties. Ni le Yémen ni les États-Unis ne l’ont encore signé.