Communiqué de presse

Yémen. Le dialogue national devrait être l’occasion de prendre des mesures pour que les victimes obtiennent réparation

Alors que le Yémen entame lundi 18 mars un dialogue national ambitieux qui va durer six mois, Amnesty International appelle les autorités à faire savoir clairement que des progrès rapides seront accomplis sur des revendications fondamentales de la société civile en débloquant deux éléments essentiels du processus de transition : la loi sur la justice et la mise en place d’une commission d’enquête.

La nécessité urgente d’arriver à une conclusion satisfaisante pour ces deux initiatives visant à accorder réparation aux victimes d’atteintes aux droits humains est soulignée par le fait que le 18 mars marque le deuxième anniversaire du « Vendredi de la dignité », jour où une cinquantaine de protestataires et de personnes qui se trouvaient sur les lieux ont été tués sur la « place du Changement » à Sanaa. À l’instar de centaines d’autres personnes tuées durant le soulèvement de 2011, les victimes du 18 mars 2011 sont toujours privées de leur droit à la vérité, à la justice et à des réparations.

Alors que le dialogue national va aborder toute une série d’enjeux nationaux de première importance, notamment la refonte des institutions politiques du pays et la rédaction d’une nouvelle Constitution, Amnesty International estime que son succès dépendra, au moins en partie, de la promotion de l’obligation de rendre des comptes de manière à garantir que l’une des principales revendications qui ont amené les Yéménites à descendre dans la rue en 2011 reçoive l’importance qu’elle mérite.

S’il était adopté, le projet de loi sur la justice de transition et la réconciliation nationale accorderait aux victimes une certaine forme de réparation. Toutefois, ce texte qui insiste sur le pardon comme élément de réconciliation ne rendrait pas justice aux victimes d’atteintes aux droits humains commises dans le passé. Des versions précédentes indiquaient que la loi s’appliquerait à la période postérieure à l’unification du Yémen en 1990, tout en reconnaissant que les atteintes aux droits humains commises avant 1990 devaient faire l’objet d’enquêtes si leurs conséquences persistaient.

L’organisation déplore que la dernière version du projet de loi limite les investigations à la période comprise entre janvier 2011 et février 2012. Elle demande aux autorités d amender l’avant-projet de loi de manière à garantir que justice soit rendue en prévoyant que les auteurs de tels agissements seront tenus pour pénalement responsables de leurs actes et en accordant aux victimes et à leur famille un accès à des réparations complètes et à toute la vérité sur les crimes commis par le passé.

La mise en place d’une commission chargée d’enquêter sur les violations des droits humains commises en 2011 avait été annoncée officiellement le 22 septembre 2012 par le décret présidentiel 140. Aucune initiative ne semble toutefois avoir été prise depuis cette date pour former la commission, ce qui est source de profonde préoccupation quant à la volonté des autorités de respecter leurs engagements initiaux. Amnesty International réclame la désignation d’une commission d’enquête internationale, indépendante et impartiale, sur les violations des droits humains qui ont eu lieu durant les événements de 2011.

L’obstacle le plus grave à l’obligation de rendre des comptes reste cependant la loi n°1 de 2012 sur l’immunité contre les poursuites légales et judiciaires. Cette loi adoptée le 21 janvier 2012 accorde à l’ancien président Saleh « une immunité totale contre toute poursuite légale ou judiciaire » et elle prévoit que toutes les personnes qui ont travaillé sous son autorité – dans les domaines civil, militaire ou sécuritaire – bénéficient de cette même immunité pour les « actes politiquement motivés » accomplis dans l’exercice de leurs fonctions officielles.

Amnesty International estime que ce texte est contraire aux obligations qui incombent au Yémen, en vertu du droit international, d’enquêter sur les violations des droits humains et d’en poursuivre les auteurs présumés. Au regard du droit international, et notamment de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, à laquelle le Yémen est partie, le pays est tenu d’enquêter sur toute personne soupçonnée d’avoir commis de telles violations et, lorsqu’il existe des preuves recevables suffisantes, d’engager des poursuites à son encontre. L’organisation demande aux autorités d’abroger cette loi sur l’immunité.

En dépit de ces sujets de profonde préoccupation, Amnesty International reconnaît les résultats satisfaisants des autorités de transition dans de nombreux domaines compte tenu des défis persistants à relever. Les autorités ont fait des efforts pour promouvoir la représentation dans le dialogue national des femmes, des jeunes et des groupes qui ont des griefs particuliers envers le pouvoir central, par exemple les habitants du sud du pays. Elles ont reconnu les problèmes auxquels des groupes minoritaires sont confrontés ainsi que la nécessité de protéger et de promouvoir leurs droits. Elles ont pris des initiatives potentiellement encourageantes en vue de restructurer l’armée et les forces de sécurité et de garantir l’incorporation de mécanismes de responsabilisation dans le fonctionnement de ces institutions. Enfin, elles ont entamé un certain nombre de réformes législatives en vue de mettre les lois yéménites en conformité avec les normes internationales et ont amorcé la création d’une commission nationale des droits humains.

Pour sa part, Amnesty International a formulé une série de recommandations qu’elle engage les autorités de transition à mettre en œuvre pour améliorer la situation des droits humains au Yémen, en espérant que ces recommandations contribueront au débat engagé dans le cadre du processus de dialogue national.

Les autorités devraient notamment prendre immédiatement des mesures pour mettre fin aux homicides illégaux et aux violations des droits humains perpétrés dans les régions du pays en proie au conflit armé. Elles doivent cesser sans délai de recourir à la peine de mort et aux exécutions, y compris de mineurs délinquants. Elles doivent prendre de nouvelles mesures en vue de promouvoir les droits des femmes et des filles, de traiter de manière satisfaisante les personnes déplacées, de traiter humainement les réfugiés et les demandeurs d’asile, de mettre fin aux mauvais traitements infligés par les membres des forces de sécurité au moment de l’arrestation et en détention - notamment en renforçant le contrôle des autorités judiciaires sur ces forces - et enfin de garantir l’indépendance de la justice. Pour de plus amples détails sur les recommandations et les sujets de préoccupation qui y sont liés, consulter le document publié en septembre 2012 et intitulé Yemen : Human rights agenda for change (index AI : MDE 31/012/2012).

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