DÉCLARATION PUBLIQUE
27 novembre 2009
Amnesty International a exhorté le gouvernement du Yémen ce vendredi 27 novembre 2009 à annoncer publiquement qu’il s’engage à mettre en œuvre les recommandations formulées la semaine dernière par le Comité contre la torture des Nations unies, tout en déplorant que ce gouvernement ne se soit pas présenté au début du mois de novembre à l’examen du Comité qui se penchait sur « la pratique généralisée de la torture et des mauvais traitements » au Yémen.
Le 20 novembre, le Comité a publié ses conclusions et recommandations provisoires sur le deuxième rapport périodique du Yémen concernant l’application de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Il avait examiné ce rapport le 3 novembre, en l’absence d’une délégation du gouvernement yéménite – ce qui est tout à fait inhabituel.
Les autorités yéménites ont la possibilité de répondre aux conclusions et recommandations du Comité avant sa prochaine session en avril et mai 2010.
Amnesty International les invite à envoyer leurs commentaires, mais aussi à mettre en œuvre sans délai et en priorité une recommandation fondamentale du Comité, a savoir « annoncer le lancement d’une politique d’éradication de la torture et des mauvais traitements ». Cette mesure démontrerait clairement leur volonté – actuellement mise en doute – de remédier à l’une des principales préoccupations relatives aux droits humains dans le pays.
Constituant une pratique généralisée au Yémen, la torture et les mauvais traitements sont infligés, la plupart du temps en toute impunité, à des prisonniers de droit commun et à des détenus incarcérés en raison d’actions ou de manifestations à caractère politique.
Selon certaines informations, les prisonniers sont notamment roués de coups sur tout le corps à l’aide de bâtons et de crosses de fusils, frappés à coups de pieds et de poings, suspendus de manière prolongée par les poignets ou les chevilles, brûlés à l’aide de cigarettes, entièrement déshabillés, privés de nourriture et d’un accès rapide à une aide médicale, et menacés de violences sexuelles.
Ces actes visent bien souvent à obtenir des « aveux » durant les interrogatoires. Ces « aveux » sont généralement retenus à titre de preuve par les tribunaux sans faire l’objet d’investigations adéquates. Pourtant, au titre des garanties et provisions constitutionnelles du Code de procédure pénale, la recevabilité de telles preuves est prohibée.
La plupart des actes de torture et autres mauvais traitements sont perpétrés par les forces de sécurité au début de la détention, lorsque les détenus, dans leur grande majorité, ne sont pas autorisés à entrer en contact avec leur famille ni à consulter un avocat.
Par ailleurs, des sanctions pénales bafouant l’interdiction absolue de tout acte de torture et autre peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant, telles que « le fouet, les coups ou encore l’amputation des membres », sont encore prévues par la loi et pratiquées au Yémen, comme l’a noté le Comité avec préoccupation.
D’après les informations parvenues à Amnesty International, les autorités carcérales recourent à la torture et à d’autres mauvais traitements à titre de sanction non judiciaire contre les prisonniers politiques.
Des dizaines de détenus ont été arrêtés en mai 2009 à la suite d’une manifestation pacifique réclamant la libération de prisonniers politiques incarcérés en lien avec le Mouvement du sud, coalition de groupes politiques qui, selon le gouvernement du Yémen, appelle à l’indépendance de la partie sud du pays.
Ils auraient depuis été soumis à des actes de torture et autres mauvais traitements à la prison centrale d’al Mukalla, dans le sud-est du Yémen. Sept hommes soupçonnés d’avoir organisé cette manifestation, dont Salim Ali Bashawayh, ont eu les poignets et les chevilles menottés à des barres fixes auxquelles ils étaient suspendus pendant des heures.
D’autres auraient été aspergés de gaz lacrymogène, battus à l’aide de bâtons, frappés à coups de pieds et de poings, alors qu’ils scandaient des slogans en faveur de l’indépendance du sud du pays et de la libération des prisonniers.
La torture et les mauvais traitements sont favorisés, selon le Comité, par la pratique généralisée des arrestations massives sans mandat et de la détention arbitraire et prolongée sans inculpation ni jugement. D’après ce que sait Amnesty International, les détenus sont rarement autorisés à informer un proche ou un avocat de leur lieu de détention, alors que le Code de procédure pénale dispose qu’ils doivent bénéficier de ce droit « immédiatement ».
Dans certains cas, les autorités nient pendant des semaines détenir un prisonnier en réponse aux demandes de la famille désireuse de savoir où il se trouve.
Il s’agit alors d’une disparition forcée. Amnesty International a recensé des dizaines de cas semblables au cours des dernières années.
Il s’agit souvent de personnes arrêtées en lien avec le conflit qui fait rage de manière intermittente depuis 2004 et oppose l’armée aux partisans de feu Hussain Badr al Din al Huthi, dignitaire chiite zaïdite, dans la région de Saada, dans le nord du Yémen.
Nombre de prisonniers ont également été interpellés dans le cadre des récentes manifestations antigouvernementales dans le sud du pays protestant contre la discrimination qu’infligeraient les autorités à la population locale.
Parmi les personnes toujours disparues figure Muhammad al Maqalih, journaliste yéménite et membre du Parti socialiste yéménite (PSY), enlevé dans les rues de la capitale Sanaa le 17 septembre par un groupe d’hommes se déplaçant dans une camionnette blanche banalisée. Personne n’a eu de ses nouvelles depuis lors. Muhammad al Maqalih aurait été arrêté parce qu’il a critiqué publiquement les meurtres de civils imputables à l’armée à Saada.
Il semble qu’il a tout d’abord été détenu par l’organe central de la Sécurité politique à Sanaa. Toutefois, en octobre, le procureur général a fait savoir à la famille de Muhammad al Maqalih que cet organe avait nié le détenir. On pense désormais qu’il est incarcéré à la prison d’al Qala, à Sanaa. Le 21 octobre, Amnesty International a écrit au ministre de la Défense du Yémen pour s’enquérir de son lieu de détention et faire part de ses craintes quant aux risques de torture ou de mauvais traitements. Elle n’a reçu aucune réponse à ce jour.
Afin de lutter contre ces pratiques, le gouvernement yéménite doit annoncer le lancement d’une « politique d’éradication des actes de torture et de mauvais traitements », puis appliquer sans délai une recommandation clé du Comité contre la torture, à savoir « prendre des mesures immédiates pour prévenir les actes de torture et les mauvais traitements dans tout le pays ».
Comme l’a recommandé le Comité, le gouvernement doit plus particulièrement s’assurer que toutes les personnes privées de liberté bénéficient, dans la pratique, de toutes les garanties juridiques fondamentales, dès le tout début de leur détention.
Elles doivent notamment jouir du « droit d’avoir rapidement accès à un avocat et à un examen médical indépendant », du droit de faire savoir à un proche qu’elles sont détenues et d’être informées de leurs droits au moment de leur détention, y compris des charges retenues contre elles, et du « droit de comparaître devant un juge dans un délai conforme aux normes internationales ».
Le Yémen est également prié « d’établir un système de surveillance et d’inspection de tous les lieux de détention » et d’assurer le suivi des conclusions de cette surveillance systématique.
Complément d’information
Le Comité contre la torture est l’organe d’experts mis sur pied par la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants des Nations unies afin de veiller à son application par les États parties.
Il se compose de 10 membres indépendants et impartiaux, élus par les États parties au traité. Les gouvernements doivent soumettre des rapports périodiques au Comité, qui émet ensuite des recommandations destinées à les aider à mieux appliquer le traité.