YOUGOSLAVIE : Alors que le Conseil de l’Europe envisage d’accueillir en son sein la République fédérale de Yougoslavie, Amnesty International demeure préoccupée par la situation des droits humains dans ce pays

Index AI : EUR 70/011/02

Amnesty International demeure préoccupée à plus d’un titre par la situation des droits humains en République fédérale de Yougoslavie (1). Elle s’inquiète tout particulièrement de l’impunité persistante dont bénéficient les responsables présumés des atteintes aux droits humains, notamment des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, qui ont eu lieu tout au long des années 90 dans le cadre des conflits armés consécutifs à l’éclatement de l’ancienne Yougoslavie. L’organisation déplore le manque de coopération avec le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (dénommé ci-après le Tribunal), dont le siège se trouve à La Haye, ainsi que la rareté des poursuites judiciaires engagées pour crimes de guerre dans le pays même.

Aux yeux d’Amnesty International, pour que soient réunies les conditions nécessaires au respect et à la protection des droits humains en République fédérale de Yougoslavie, il est impératif que les responsables présumés de ces agissements soient déférés à la justice dans le cadre de procédures conformes aux normes internationales d’équité, et que toutes les victimes de ces crimes bénéficient de réparations adéquates. Il est notamment crucial de faire la lumière sur les centaines de cas de « disparitions » et d’enlèvements (2) non élucidés, qui constituent pour la plupart des crimes contre l’humanité.

Amnesty International estime que les souffrances endurées par les familles de personnes « disparues » ou enlevées, tandis qu’elles tentent de découvrir ce qui est arrivé à leurs proches, s’apparentent à une violation de leur droit de ne pas être soumis à la torture ni à des traitements inhumains ou dégradants. L’organisation exhorte les autorités yougoslaves à veiller à ce que les proches de personnes victimes de « disparitions » ou d’enlèvements obtiennent réparation.

Par ailleurs, l’organisation est préoccupée par la persistance de nombreuses allégations faisant état d’actes de torture et d’autres formes de mauvais traitements infligés dans tout le pays par des policiers, et par la réticence manifeste des autorités à traiter ce problème. L’absence d’enquêtes et de poursuites judiciaires dignes de ce nom perpétue un climat d’impunité similaire à celui qui prévaut pour les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité.

Amnesty International déplore également que les autorités yougoslaves ne prennent manifestement pas les mesures qui s’imposent pour protéger les personnes agressées par des agents non gouvernementaux en raison de leur appartenance ethnique ou de leur orientation sexuelle, et pour traduire en justice les auteurs présumés de ces violences. L’organisation est aussi préoccupée par la discrimination persistante dont sont victimes les Rom (Tsiganes), en particulier les Rom originaires du Kosovo déplacés à la suite du conflit de 1999.

L’absence d’un véritable service civil, ne revêtant pas un caractère punitif, qui puisse être effectué par les objecteurs de conscience en lieu et place du service militaire figure également parmi les sujets d’inquiétude d’Amnesty International.
La demande d’adhésion de la République fédérale de Yougoslavie au Conseil de l’Europe offre l’occasion à ce dernier de favoriser le respect par l’État yougoslave de ses engagements internationaux en matière de droits humains, et de mettre fin au climat d’impunité qui prévaut tant pour les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité que pour les actes de torture et les mauvais traitements dont la police continue à se rendre coupable.

Amnesty International appelle le Conseil de l’Europe à veiller à ce que la République fédérale de Yougoslavie :
– s’acquitte pleinement de ses obligations internationales en ce qui concerne les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis par le passé, en traduisant en justice les responsables présumés de ces agissements dans le cadre de procédures conformes aux normes internationales d’équité ;
– annule les dispositions de l’article 39 de la Loi sur la coopération avec le Tribunal selon lesquelles seuls les suspects déjà mis en accusation avant l’entrée en vigueur de cette loi, en avril 2002, doivent être remis au Tribunal ;
– mette fin à l’impunité manifeste dont bénéficient les policiers qui se livrent à la torture ou à d’autres formes de mauvais traitements, en faisant en sorte que des enquêtes exhaustives, indépendantes et impartiales soient ouvertes rapidement sur toutes les allégations faisant état de tels actes commis par des policiers, que les auteurs présumés soient traduits en justice, et que les victimes obtiennent réparation ;
– adopte les dispositions législatives et autres mesures nécessaires pour mettre un terme au racisme institutionnalisé et à la discrimination généralisée dont sont victimes les Rom ;
– veille à ce que les objecteurs de conscience puissent effectuer en lieu et place du service militaire un véritable service civil, ne revêtant pas un caractère punitif, sous le contrôle des autorités civiles.

Le 26 juin 2002, la Commission des questions politiques de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a approuvé une liste d’engagements devant être honorés par la République fédérale de Yougoslavie à la suite de son adhésion au Conseil de l’Europe, après que cette liste eut été modifiée par la Commission des questions juridiques et des droits de l’homme. Ce document a ensuite été remis aux autorités yougoslaves par le président de l’Assemblée parlementaire, Peter Scheider. Les récentes pratiques des autorités, tant au niveau fédéral qu’au niveau des deux Républiques qui composent la Yougoslavie (Serbie et Monténégro), conduisent néanmoins à s’interroger sur la tenue de ces engagements.

Ainsi, en décembre 2001, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), le Conseil de l’Europe et le Haut Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies ont formulé conjointement des commentaires constructifs détaillés, article par article, sur le projet de loi portant création d’un bureau du médiateur en Serbie. Ces commentaires mettaient en avant de nombreux points préoccupants dans ce projet de loi et encourageaient les autorités serbes à se conformer aux Principes concernant le statut des institutions nationales, connus sous le nom de Principes de Paris, adoptés unanimement par l’Assemblée générale des Nations unies (cf. annexe de la résolution 48/134 du 20 décembre 1993). Or, ces observations ont été ignorées par le gouvernement serbe. Amnesty International juge cela extrêmement regrettable étant donné l’importance du rôle que devra jouer le bureau du médiateur en matière de protection des droits humains en Yougoslavie, où l’impunité héritée de l’époque de l’ancien président Slobodan Milosevic prévaut toujours.

Amnesty International relève par ailleurs l’absence d’engagements précis en matière de prévention et d’interdiction de la torture. De tels engagements pourraient être inclus dans la liste évoquée plus haut sous le titre « Droits humains », et requérir notamment :
– l’ouverture rapide d’enquêtes exhaustives, indépendantes et impartiales sur toutes les allégations faisant état d’actes de torture et d’autres formes de mauvais traitements infligés par la police ;
– la traduction en justice des auteurs présumés de ces agissements dans le cadre de procédures conformes aux normes internationales ;
– l’octroi de réparations adéquates aux victimes.

Faute d’engagements précis en la matière formulés par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe à l’intention de la République fédérale de Yougoslavie, Amnesty International espère que cette question sera examinée par l’Assemblée en vertu du paragraphe iii-c de la liste d’engagements, aux termes duquel les autorités yougoslaves doivent mettre en œuvre le Code européen d’éthique de la police. Amnesty International rappelle en effet que l’article 36 de ce Code dispose : « La police ne doit infliger, encourager ou tolérer aucun acte de torture, aucun traitement ou peine inhumain ou dégradant, dans quelque circonstance que ce soit. »

En outre, Amnesty International exhorte le Conseil de l’Europe à faire comprendre aux autorités yougoslaves à quel point il est important de veiller à ce que les comptes rendus des visites en Yougoslavie du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants soient publiés rapidement, et à ce que ses recommandations soient pleinement appliquées.


Notes :
1. Le présent bulletin d’information ne traite pas du Kosovo, qui est placé depuis juillet 1999 sous le contrôle de la Mission d’administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo (MINUK).
2. Amnesty International établit une distinction entre les « disparitions », qui sont imputables à des représentants de l’État, et les enlèvements, qui sont le fait d’agents non gouvernementaux.

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