La bombe, fabriquée par la compagnie américaine Raytheon et utilisée dans le cadre de cette attaque, est un nouvel élément prouvant que les États-Unis vendent des armes que la coalition dirigée par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis utilisent dans des attaques constituant de graves violations du droit international humanitaire au Yémen.
« Malgré les crimes de guerre commis sur le terrain yéménite, plusieurs pays exportateurs d’armes, comme les États-Unis, la France, le Royaume-Uni, mais aussi la Belgique via la Région wallonne, continuent de fournir du matériel militaire à l’Arabie saoudite et/ou aux Émirats arabes unis, se rendant complices des horreurs perpétrées contre la population », explique Philippe Hensmans, directeur de la section belge francophone d’Amnesty International.
Parmi les six civils tués dans l’attaque, qui s’est déroulée dans le village de Warzan, dans le directorat de Khadir, figuraient une femme de 52 ans et trois enfants, âgés de 12, neuf et six ans.
« Dans ce contexte, nous appelons le nouveau ministre-président wallon, Elio Di Rupo, à dissiper toutes les ambiguïtés de la déclaration de politique régionale. En plus des manquements en termes de transparence, aucune clarté n’a été faite sur les exportations déjà autorisées – mais contraires à l’esprit du décret relatif au commerce des armes de 2012 –, ainsi que sur les nouvelles licences concernant des contrats existants. De ce fait, des armes wallonnes pourraient encore parvenir à l’Arabie saoudite », explique encore Philippe Hensmans.
Une famille déchirée
La cible militaire la plus proche au moment de l’attaque était la salle des opérations houthies à la ferme Hayel Saeed – à environ un kilomètre. Toutefois, elle a cessé de fonctionner il y a plus de deux ans après avoir été touchée par plusieurs frappes aériennes de la coalition en 2016 et 2017. Selon des témoins, il n’y avait ni combattants ni objectifs militaires à proximité de la maison au moment de l’attaque.
Une deuxième frappe aérienne s’est déroulée au même endroit environ 15 minutes après la première, indiquant que le pilote voulait s’assurer de la destruction de la maison de la famille al Kindi. Cette habitation a de nouveau été frappée cinq jours plus tard, alors que les membres de la famille étaient sur place, en train d’inspecter le site. Personne n’a été blessé ni tué lors de cette dernière frappe.
Amnesty International s’est entretenue avec deux proches des victimes et deux habitants du secteur, dont deux témoins de l’attaque. Elle a aussi analysé des images satellite et des photos et des vidéos prises après l’attaque afin de corroborer les déclarations des témoins.
Un membre de la famille a déclaré à Amnesty International : « Nous les avons enterrés le jour même, parce qu’ils étaient réduits à des membres mutilés. Il n’y avait pas de cadavres à examiner. La chair de telle personne était mélangée à celle de telle autre. Ils ont été enveloppés [dans des couvertures] et emmenés. »
Un témoin a déclaré à Amnesty International : « Je travaillais dans une ferme voisine, à environ trois minutes de marche de là. J’ai entendu l’avion planer et j’ai vu la bombe, qui tombait vers la maison. J’étais près de la maison lorsque la seconde bombe a été larguée… et je me suis jeté à terre. »
Un embargo exhaustif est nécessaire
L’expert en armement de l’organisation a analysé les photos des débris de l’arme déterrés sur le site de la frappe par des membres de la famille et a pu, grâce à des données inscrites sur l’ailette de la bombe, déterminer avec certitude qu’il s’agissait d’une bombe GBU-12 Paveway II, pesant 225 kilos, fabriquée aux États-Unis.
« Cette attaque souligne à quel point il est urgent d’instaurer un embargo exhaustif sur toutes les armes susceptibles d’être utilisées par l’une des parties au conflit au Yémen, a déclaré Rasha Mohamed, chercheuse sur le Yémen à Amnesty International.
« De graves violations continuent d’être commises sous notre surveillance et il est plus crucial que jamais que les organes chargés d’enquêter, à savoir le Groupe d’éminents experts mandaté par l’ONU, aient les pleins pouvoirs pour les recenser et en rendre compte.
« Les États exportateurs d’armes ne peuvent pas pratiquer la politique de l’autruche en prétendant qu’ils ne connaissent pas les risques associés aux transferts d’armes vers des parties à ce conflit, qui violent systématiquement le droit international humanitaire. Diriger intentionnellement des attaques contre des civils ou des biens civils, mener des attaques disproportionnées et aveugles qui tuent ou blessent des civils, ce sont des crimes de guerre.
Depuis mars 2015, les chercheurs d’Amnesty International ont enquêté sur des dizaines de frappes aériennes et ont trouvé et identifié de nombreux fragments de munitions de fabrication américaine.
Complément d’information
Comme le précise l’Observatoire des armes wallonnes, la Région wallonne a octroyé, entre 2013 et 2017, des licences d’exportation pour un montant de 1 256 822 947 € d’armes et de matériel militaire à destination de l’Arabie saoudite. Pour l’année 2018 et le premier trimestre de 2019, le montant des exportations s’élève déjà à 228 377 280 €. [1]
À ces chiffres, il convient d’ajouter le contrat de sous-traitance remporté en août 2014 par CMI (récemment devenu John Cockerill Defence) avec le constructeur de véhicules canadien General Dynamics Land Systems (GDLS) et portant sur la livraison de 928 véhicules blindés légers. S’élevant à 3,2 milliards d’euros sur 15 ans, il vise à équiper des véhicules blindés destinés à la Garde nationale saoudienne.
Un récent rapport du Groupe d’éminents experts sur le Yémen, créé par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, a conclu que la persistance des frappes aériennes menées par la coalition jette « un doute sérieux sur la conformité du processus de ciblage adopté par la coalition avec les principes fondamentaux du droit international humanitaire ».
Ce rapport dévoile aussi toute une série de graves atteintes aux droits humains commises par toutes les parties au conflit au Yémen, un conflit qui, selon l’ONU, aura tué plus de 233 000 Yéménites d’ici à la fin de l’année, en raison des combats et de la crise humanitaire. Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU doit voter le renouvellement du Groupe d’éminents experts le 26 ou le 27 septembre.
D’après la Defence Security Cooperation Agency (DSCA) – agence du ministère américain de la Défense chargée de la coopération en matière de sécurité – en 2015, le gouvernement américain a autorisé la vente de 6 120 bombes à guidage de type Paveway à l’Arabie saoudite. En mai 2019, le président Donald Trump a passé outre le Congrès pour autoriser la vente de bombes à guidage de type Paveway à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis.