À l’issue de plusieurs jours de négociations prolongées et opaques à Bakou, la conférence s’est achevée hier sur un accord conclu par les pays à revenu élevé visant à mobiliser 300 milliards de dollars par an d’ici à 2035, afin d’aider les pays à faible revenu à faire face à l’escalade de la crise climatique.
Cette somme représente moins d’un quart du montant minimum demandé par de nombreux pays à faible revenu et militant·e·s.
« Les pays les plus riches du monde ont passé la conférence sur le climat 2024 à faire pression sur les pays à faible revenu pour qu’ils acceptent un accord financier mesquin qui pourrait les accabler de dettes énormes. Les pays à revenu élevé et la présidence azerbaïdjanaise affichent haut et fort leur satisfaction, mais aucune pirouette ne saurait cacher le fait que cet accord est catastrophique pour les droits fondamentaux des personnes et des communautés qui se trouvent en première ligne des impacts croissants du bouleversement climatique, a déclaré Ann Harrison, conseillère pour la justice climatique à Amnesty International.
« Aucun discours ne peut cacher le fait que cet accord est un désastre pour les droits humains des personnes et des communautés qui se trouvent en première ligne face à la prolifération des impacts climatiques » Ann Harrison
« Loin d’évoluer vers un monde où les droits humains de tous sont protégés contre les effets néfastes du changement climatique, les résultats de la COP29 donnent le feu vert à la poursuite des activités habituelles à but lucratif – ce qui perpétuera les préjudices découlant du colonialisme, tout en exacerbant les souffrances causées par le changement climatique. Les pays à revenu élevé manquent à leurs obligations au titre de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) et de l’Accord de Paris. L’industrie des combustibles fossiles pourra continuer de sacrifier les droits de beaucoup sur l’autel de sa quête insatiable de profits. »
De nombreux pays à faible revenu avaient demandé au moins 1 300 milliards de dollars de
financement annuel équivalent à des subventions publiques, pour les aider à s’adapter au changement climatique et à remédier aux pertes et dommages. L’accord conclu lors de la COP29 ne permettra ni l’un ni l’autre. Au contraire, il risque de piéger les pays à faible revenu dans un cycle d’endettement à un moment où ils cherchent à prendre des mesures urgentes pour faire face au changement climatique.
L’éléphant dans la pièce : les combustibles fossiles
La COP29 n’a pas non plus progressé sur la question cruciale de l’élimination progressive des combustibles fossiles.
« Nous ne pourrons pas faire face au dérèglement climatique massif et à ses effets néfastes sur les droits humains – notamment le droit à la vie – sans une élimination progressive, complète, rapide, équitable et financée des combustibles fossiles, a déclaré Carine Thibaut, directrice de la section belge francophone d’Amnesty International.
« Cela défie l’entendement que des pays lancent de nouveaux projets d’extraction de combustibles fossiles. Il est urgent que tous les pays s’engagent à les éliminer rapidement, dans le respect des droits humains : cette question doit figurer en bonne place à l’ordre du jour de la COP30. »
« Il est urgent que tous les pays s’engagent à éliminer rapidement les combustibles fossiles, dans le respect des droits humains : cette question doit figurer en bonne place à l’ordre du jour de la COP30 » Carine Thibaut
Par ailleurs, Amnesty International a souligné que de nouvelles réglementations sur les marchés du carbone, dépourvues de protections solides des droits humains, ont été adoptées le premier jour de la COP29, avant que les parties n’aient eu le temps de les examiner correctement. Autre élément inquiétant, certaines parties ont déployé des efforts concertés en vue de supprimer les références au genre et à l’intersectionnalité dans de nombreux projets de décisions.
Un espace civique toujours plus restreint et malmené
Par ailleurs, certains aspects des négociations elles-mêmes n’ont pas respecté les principes
fondamentaux des droits humains en matière de participation et de transparence.
De nombreux militant·e·s locaux pour le climat ont décidé de ne pas assister à la COP29 en raison des coûts élevés et des problèmes de sécurité. La surveillance intense exercée par les autorités azerbaïdjanaises fut synonyme de forte autocensure au sein de la société civile, de nombreux délégué·e·s hésitant même à mentionner le nom du pays hôte par crainte de représailles. Les voix azerbaïdjanaises indépendantes étaient absentes de la conférence, de nombreux militant·e·s et journalistes se trouvant derrière les barreaux ou en exil. Les rares ayant été autorisés à entrer officiellement à la COP29 ont déclaré à Amnesty International qu’ils n’osaient pas s’exprimer sur le site de la conférence par crainte de représailles. En revanche, plus de 1 770 lobbyistes du secteur des énergies fossiles [1] étaient présents et disposaient souvent d’un accès beaucoup plus large aux équipes de négociation. Les décisions prises lors de la COP reflètent cette inégalité d’accès.
Amnesty International a demandé, mais n’a pas obtenu, l’accès aux militants et journalistes emprisonnés pendant que ses délégués se trouvaient en Azerbaïdjan.
Les délégués ont également été confrontés à des restrictions concernant les manifestations pacifiques dans la « zone bleue » contrôlée par les Nations unies, restrictions qui ont été exacerbées par les limites du lieu de réunion.
« Malgré tout, à la fin de la COP29, l’humeur des militants était au défi. Les résultats ont été écrasants, mais l’abandon n’est tout simplement pas une option », a déclaré Ann Harrison.
« En 2024, tous les continents ont ressenti les effets brutaux du changement climatique. Alors que les négociateurs ergotaient à Bakou, aux Philippines, une série de puissants cyclones tropicaux contraignait des milliers de personnes à quitter leur foyer, tandis qu’en Équateur, des incendies de forêt d’une ampleur inédite ravageaient de vastes étendues de terre. Face à ces souffrances croissantes, les dirigeants des États à haut revenu ont manqué à leur obligation de fournir un soutien financier à ceux qui en ont besoin : nous poursuivrons la lutte et leur demanderons de rendre des comptes. »