Amnesty International rend public ce mardi 17 juin les résultats d’un nouveau sondage réalisé par IPSOS à propos du droit de protester en Belgique. Ce sondage révèle notamment qu’une majorité de Belges (60 %) considèrent le droit de protester comme un pilier essentiel d’une société saine.
« L’un des principaux enseignements de ce sondage réside dans le fait que la grande majorité des Belges sont clairement attaché·es au droit de protester, alors même que ce dernier est gravement mis sous pression dans notre pays. Ils et elles ne manquent d’ailleurs pas de faire usage de ce droit fondamental de façon pacifique », explique Carine Thibaut, directrice de la section belge francophone d’Amnesty International.
Trois Belges sur quatre ont déjà pris part à une forme de protestation
Trois personnes sondées sur quatre (74 %) ont en effet déjà pris part à au moins une forme de protestation, qu’il s’agisse de la signature d’une pétition (56 %), d’une action de boycott (38 %) ou de la participation à une manifestation (37 %). En outre, une personne sondée sur quatre a participé à au moins une forme de protestation au cours des six mois qui ont précédé la réalisation du sondage. Il est du reste à noter qu’une personne sur quatre également s’identifie comme activiste.
Le sondage met également en exergue qu’une partie significative des personnes interrogées font usage du droit de protester en raison d’une forte croyance dans la cause (34 %) et/ou en réponse à un sentiment moral d’obligation (26 %). Les principales raisons motivant la protestation sont en premier lieu d’ordre économique (inflation, chômage, fiscalité : 56 %), suivies par les questions sociales (discrimination, logement : 39 %) et environnementales (39 %).
Il est en outre intéressant de remarquer que 63 % des personnes sondées affirment que contribuer à une cause qui leur tient à cœur leur fait du bien. Et si seulement 26 % des personnes qui ont protesté disent avoir constaté un changement concret positif après leur action, 45 % ont un avis beaucoup moins tranché quant à cette question puisqu’elles ne sont ni d’accord ni en désaccord.
« Si cette incertitude quant à l’effet réel des actions de protestation peut se comprendre, il est extrêmement important de rappeler que la protestation pacifique joue un rôle essentiel pour l’obtention et la défense de nombreux droits et libertés. Rien qu’en Belgique, l’histoire regorge d’exemples, comme le droit de vote des femmes, obtenu en 1948 à la suite de nombreuses années de luttes. Et comment oublier la gigantesque Marche blanche de 1996, qui a permis des changements substantiels, notamment dans le fonctionnement de la justice ? Et que seraient les droits des personnes LGBTQIA+ aujourd’hui sans les mouvements de protestation comme la Pride ? », insiste Carine Thibaut.
Les formes pacifiques de protestation privilégiées
En ce qui concerne l’importance que les Belges accordent aux différentes formes que peut prendre l’exercice du droit de protester, les personnes sondées plébiscitent les pétitions (92 %), les prises de parole (89 %), les manifestations pacifiques (88 %), les actions en ligne (86 %), de même que la grève (80 %). La désobéissance civile est quant à elle perçue comme importante par 65 % des répondant·es.
« Il est donc clair que les Belges favorisent les formes pacifiques de protestation. Ils et elles rejettent en outre la violence, jugée inacceptable en toutes circonstances par une majorité des répondant·es. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que seul·es 10 % perçoivent les actions de protestation comme violentes », précise Carine Thibaut.
Si la violence apparaît comme inadmissible auprès des personnes sondées (58 %), il apparaît que 18 % d’entre elles considèrent que la police devrait avoir le droit de faire usage de la violence pour mettre fin à une action de protestation pacifique. Or, il est important de rappeler que le droit international assigne comme mission principale aux forces de l’ordre de veiller à ce que le droit de manifester puisse être exercé en toute sécurité et en toute liberté. Il est également prévu que la dispersion ne soit utilisée qu’en dernier recours, en respectant par ailleurs les principes de légalité, de légitimité et de proportionnalité.
« La force a malheureusement été utilisée de manière injustifiée à plusieurs reprises à l’encontre de manifestant·es. Souvenons-nous par exemple de la dispersion violente de la manifestation organisée à proximité de l’ambassade d’Israël à l’aide de canons à eau et de gaz lacrymogène », explique Carine Thibaut.
Le droit de protester insuffisamment respecté en Belgique
De manière générale, les autorités belges ne remplissent pas suffisamment leurs obligations relatives au respect, à la protection et à la facilitation du droit de manifester. Les manifestations pacifiques sont en effet soumises à des obligations et à des restrictions qui ne sont ni nécessaires ni proportionnées.
« Nous constatons des obstacles importants à l’exercice du droit de protester en Belgique. Qu’il s’agisse de l’obligation d’obtenir une autorisation de manifester, du risque de se voir infliger une sanction en cas de non-respect de certaines exigences administratives, de l’interdiction générale de manifester dans certaines zones ou encore de menaces d’arrestation en raison du contenu même du message défendu, force est de constater que le droit de protester est mis sous pression dans notre pays.
Amnesty International nourrit par ailleurs de vives inquiétudes quant au contenu de l’accord de gouvernement fédéral en ce qui concerne le droit de protester, particulièrement la volonté de recourir à l’interdiction judiciaire de manifester – projet pourtant abandonné par le gouvernement précédent – et de déployer la technologie de reconnaissance faciale dans l’espace public.
« À l’heure où le droit de protester subit des attaques de plus en plus marquées, il est capital de monter au créneau pour défendre et promouvoir ce qui n’est ni une faveur ni un privilège, mais un droit fondamental conquis de haute lutte », conclut Carine Thibaut.
Complément d’information
Le sondage a été réalisé par IPSOS en ligne entre le 25 février et le 1er mars 2025 auprès d’un échantillon représentatif de la population belge de 2 000 personnes de plus de 18 ans vivant en Belgique.
Amnesty International a lancé une campagne intitulée Protect the Protest déclinée sous le nom de Protestons ! en Belgique francophone. L’objectif de cette campagne est de défendre la protestation pacifique face aux attaques graves et sans précédent dont elle est la cible dans toutes les régions du monde.
En juillet 2024, Amnesty International a publié un rapport mettant en lumière un ensemble de lois répressives, le recours à une force inutile ou excessive, des arrestations et des poursuites arbitraires, des restrictions injustifiées ou discriminatoires, ainsi que l’utilisation croissante de technologies de surveillance invasives entraînant en Europe un recul systématique du droit de manifester.