Une infraction imprécise, imprévisible et inutile
Dans ce recours devant la Cour constitutionnelle, la coalition “droit de protester” (dont sont notamment membres les trois syndicats – FGTB, CSC et CGSLB – Greenpeace, Amnesty International Belgique, la Liga voor mensenrechten et la Ligue des droits humains) dénonce les termes très vagues de l’article 547 du Code pénal. L’article en question énonce que “l’atteinte méchante à l’autorité de l’État consiste dans une intention méchante et en public, à porter atteinte à la force obligatoire de la loi ou des droits ou à l’autorité des institutions constitutionnelles et ce, en provoquant directement à la désobéissance à une loi causant une menace grave et réelle pour la sécurité nationale, la santé publique ou la moralité”.
“Cette infraction est imprécise et équivoque, ce qui met à mal le principe de légalité. Or, c’est un droit fondamental de toute personne d’être en mesure de connaître à l’avance ce qui est interdit par la loi pénale et les sanctions qu’il encourt en cas de transgression de celle-ci”, rappellent les associations et syndicats qui demandent l’annulation de cette disposition.
Par ailleurs, la nécessité de cette disposition pénale n’a pas été suffisamment prouvée. Il existe déjà plusieurs dispositions qui permettent d’incriminer l’incitation à certains comportements illégaux. Comme par exemple les appels à la haine ou à la violence. Selon la coalition “droit de protester”, l’infraction d’atteinte méchante à l’autorité de l’État n’apporte aucune valeur ajoutée.
Une infraction qui laisse la place à l’arbitraire
Avec des termes généraux comme “menace grave et réelle pour la sécurité nationale, la santé publique ou la moralité” ou autres “autorité des institutions constitutionnelles”, cette infraction laisse une large marge de manœuvre aux autorités policières et judiciaires qui pourraient réprimer tout mouvement choisissant la désobéissance civile comme voie d’action. Le risque de traitement arbitraire n’est pas exclu. Par ailleurs, la coalition interroge aussi la question de la proportionnalité de la sanction, étant donné que l’incitation à désobéir pourrait être sanctionnée plus durement que le non-respect de la loi elle-même.
Risque de criminaliser certaines formes de protestation sociale et politique
L’inquiétude de la coalition concerne également le champ d’application particulièrement large de cette infraction, ce qui risque, comme l’a épinglé l’Institut fédéral des droits humains dans un avis d’octobre 2023 [1], de criminaliser certaines formes de protestation sociale et politique au sens large.
“C’est pourtant le rôle des ONG et syndicats de contester publiquement la force obligatoire de certaines lois jugées contraires aux droits fondamentaux et aux normes internationales. La Cour européenne des droits de l’homme souligne d’ailleurs très régulièrement l’importance de la liberté d’expression dans un État de droit et le rôle indispensable de ‘chiens de garde d’une société libre et juste’ joué par les ONG dans ce cadre”, précisent les parties requérantes.
Protéger la liberté d’expression et la désobéissance civile
La liberté d’expression protège d’ailleurs aussi la désobéissance civile. “Transgresser une loi, de façon publique et non-violente, quand celle-ci n’est pas légitime, permet de relancer un débat public, d’être moteur de changements”, pointent les associations et syndicats à l’origine du recours. “La désobéissance civile est primordiale également quand un État viole de plus en plus les principes de l’État de droit, comme c’est le cas en Belgique”.
Aujourd’hui, ONG et syndicats, au sein de la Coalition “droit de protester”, s’unissent pour demander à la Cour constitutionnelle de ne pas permettre ce détournement du droit pénal visant à restreindre les voix dissidentes et de préserver le droit à la liberté d’expression.