L’organisation rend public le 3 juillet un aperçu du désastreux bilan qu’affiche l’Égypte en matière de droits humains depuis l’arrivée au pouvoir du président Abdel Fattah al Sisi, document qui a été soumis au Conseil des droits de l’homme des Nations unies en vue du prochain examen périodique, en novembre, de ce bilan.
« Depuis l’arrivée au pouvoir du président Abdel Fattah al Sisi, la situation des droits humains en Égypte s’est dégradée de façon catastrophique et avec une ampleur sans précédent. Le gouvernement du président Abdel Fattah al Sisi utilise une série de lois draconiennes et ses forces de sécurité recourent à des tactiques répressives dans le cadre d’une campagne concertée et bien orchestrée, qui vise à renforcer la mainmise des autorités sur le pouvoir en érodant davantage encore l’indépendance du pouvoir judiciaire et en soumettant à des restrictions étouffantes les médias, les ONG, les syndicats, les partis politiques, les organisations indépendantes et les militants », a déclaré Magdalena Mughrabi, directrice adjointe pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International.
Dans ce contexte et sous couvert de lutte contre le terrorisme, des milliers de personnes ont été arrêtées de façon arbitraire, dont des centaines de dissidents et de manifestants pacifiques, et l’impunité persiste pour les violations des droits humains commises de façon généralisée, notamment les actes de torture et les autres mauvais traitements, les disparitions forcées massives, les exécutions extrajudiciaires et le recours excessif à la force.
Depuis 2014, plus de 1 891 condamnations à mort ont été prononcées et au moins 174 personnes ont été exécutées, souvent à l’issue de procès d’une flagrante iniquité.
Sur les 300 recommandations en matière de droits humains adressées à l’Égypte par d’autres États lors du précédent examen opéré devant le Conseil des droits de l’homme des Nations unies en 2014, l’Égypte en a accepté 237, et partiellement accepté 11 autres. Cependant, les recherches menées par Amnesty International indiquent que dans la pratique, l’Égypte n’a mis en œuvre aucune réforme correspondant à ces recommandations.
Légalisation de la répression
La loi égyptienne de 2017 sur les ONG est un bon exemple des lois draconiennes que les autorités ont adoptées pour étouffer les libertés d’expression, d’association et de réunion pacifique. Cette loi accorde aux autorités le pouvoir de refuser d’enregistrer une ONG, de restreindre ses activités et ses ressources financières, et permet d’engager des poursuites contre son personnel pour des infractions définies de façon floue. Un projet de modifications de la loi sur les ONG a été annoncé en décembre 2018, mais l’on ignore toujours si les modifications proposées répondent aux préoccupations liées aux droits humains. Depuis 2014, au moins 31 membres du personnel d’ONG ont fait l’objet d’une interdiction de voyager, et les autorités ont gelé les avoirs de 10 personnes et de sept ONG dans le cadre d’une enquête pénale en cours sur le financement d’ONG avec des fonds reçus de l’étranger.
En 2018, les autorités égyptiennes ont approuvé de nouvelles lois sur les médias et la cybercriminalité qui leur ont davantage permis de censurer la presse écrite, en ligne et radiodiffusée. Selon l’Association pour la liberté de pensée et d’expression, les autorités égyptiennes ont bloqué l’accès à au moins 513 [1] Internet depuis mai 2017, notamment des sites d’information et d’organisations de défense des droits humains.
Arrestations arbitraires et procès iniques
Une série de modifications de la loi ratifiées par le président Abdel Fattah al Sisi en 2017 ont également permis aux autorités de procéder massivement à des arrestations arbitraires, autorisé le placement en détention provisoire pour une durée indéterminée et sapé le droit à un procès équitable.
Depuis 2013, plusieurs milliers de personnes ont été placées en détention provisoire de façon prolongée, parfois jusqu’à cinq ans, et souvent, les conditions de détention constituaient un traitement cruel et inhumain, les détenus n’avaient pas accès à des soins médicaux adéquats et ils ne pouvaient pas, ou que très peu, communiquer avec leurs proches. Dans certains cas, la police a même maintenu en détention des personnes pendant plusieurs mois après qu’un tribunal eut ordonné leur remise en liberté.
Durant toute cette période, les autorités égyptiennes ont systématiquement recouru à une loi sur les rassemblements datant de l’époque coloniale, adoptée en 1914, et aussi à la loi draconienne de 2013 sur les manifestations et à celle de 2015 sur la lutte contre le terrorisme, pour restreindre de manière arbitraire les libertés d’expression, de réunion pacifique et d’association.
Lors de l’intensification de la répression entre décembre 2017 et janvier 2019, au moins 158 personnes ont été arrêtées pour avoir critiqué pacifiquement les autorités, assisté à des rassemblements politiques et participé à des manifestations. Récemment, en mai et juin 2019, les autorités égyptiennes ont arrêté au moins 10 opposants pacifiques, notamment un ancien membre du Parlement, des dirigeants d’un parti d’opposition, des journalistes et des militants.
Le Code de justice militaire égyptien continue également, contrairement aux dispositions des normes internationales, de permettre que des civils soient jugés devant des tribunaux militaires alors que ces tribunaux ne sont pas indépendants et que ces procès sont intrinsèquement iniques. Plusieurs centaines de personnes ont été condamnées à mort à l’issue de procès collectifs d’une iniquité flagrante.
Les autorités ont également adopté des lois qui ont durci les restrictions pesant sur les syndicats indépendants et renforcé l’impunité de cadres des forces armées concernant des crimes commis entre 2013 et 2016, période durant laquelle des centaines de manifestants ont été tués de façon illégale par les forces de sécurité.
Modifications de la Constitution affaiblissant l’état de droit
Les modifications qui ont été apportées à la Constitution égyptienne en 2019 affaiblissent l’état de droit, sapent l’indépendance du pouvoir judiciaire, élargissent le champ de compétence des tribunaux militaires aux civils, érodent davantage encore les garanties pour l’équité des procès et consacrent l’impunité des membres des forces armées.
Les modifications de la Constitution vont également permettre au président al Sisi de contrôler totalement la mise en œuvre de lois qui « légalisent » la répression, en lui accordant le pouvoir de nommer des juges de haut rang et de surveiller des affaires judiciaires.
« Sous le régime du président Abdel Fattah al Sisi, la législation et le système judiciaire, qui sont destinés à garantir l’état de droit et à protéger les droits des personnes, ont été transformés en outils de répression utilisés pour poursuivre en justice toute personne qui critique pacifiquement les autorités, et les forces de sécurité utilisent systématiquement la torture pour arracher de faux aveux et obtenir des condamnations à l’issue de procès manifestement iniques, a déclaré Magdalena Mughrabi.
« La communauté internationale doit cesser de rester silencieuse alors que les autorités égyptiennes déciment la société civile en réprimant tout signe de dissidence et en emprisonnant les opposants et les dissidents pacifiques, qui sont soumis à la torture, à des disparitions forcées et à des conditions de détention cruelles et inhumaines. Les États, en particulier ceux qui ont adressé des recommandations en matière de droits humains à l’Égypte lors du dernier examen du bilan de ce pays dans le cadre des Nations unies, ont le devoir de dénoncer ces abus afin de mettre un terme à ce déclin catastrophique des droits humains. »
Amnesty International demande également à tous les États de prendre des mesures concrètes pour suspendre le transfert d’équipement pour les opérations de maintien de l’ordre et de technologies de surveillance utilisés par les autorités égyptiennes pour réprimer les opposants pacifiques.