SOMMAIRE
- Quelle est la définition du génocide ?
- Quelles sont les conclusions d’Amnesty International et quels sont les principaux arguments qui les étayent ?
- Comment Amnesty International démontre-t-elle l’existence d’une “intention” de détruire, en tout ou en partie, un groupe ?
- Comment Amnesty International a-t-elle mené ces recherches ?
- Pourquoi Amnesty International publie ce rapport maintenant et qu’est-ce que nous espérons obtenir en le publiant ?
- Que dit Amnesty International sur les crimes de guerre commis par le Hamas et par d’autres groupes palestiniens le 7 octobre 2023 ?
- Que doit faire la communauté internationale maintenant ?
Quelle est la définition du génocide ?
La Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide stipule que le génocide est « l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel » :
- Meurtre de membres du groupe,
- Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale des membres du groupe,
- Soumettre intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle,
- Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe,
- Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe
Pour déterminer que certains actes constituent un génocide, un ou plusieurs de ces cinq actes doivent être commis « dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel ».
L’intention génocidaire peut être évaluée sur la base d’éléments de preuve directs ou, en leur absence, déduite d’éléments de preuve indirects ou indiciaires, notamment : le contexte général dans lequel les actes interdits ont été perpétrés, l’existence de schémas de comportement habituels, l’ampleur et le caractère systématique présumé des actes interdits et l’échelle, la nature, l’ampleur et le degré du bilan humain et du préjudice infligé au groupe protégé.
Quelles sont les conclusions d’Amnesty International et quels sont les principaux arguments qui les étayent ?
Amnesty International conclut, sur la base des preuves recueillies, que depuis le 7 octobre 2023 Israël a commis et continue de commettre un génocide contre les Palestiniens et Palestiniennes à Gaza, du fait de ses politiques, de ses actions et de ses omissions. Les éléments dont dispose l’organisation montrent qu’Israël a commis des actes interdits par la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, dans l’intention spécifique de détruire, en tant que tels, les Palestinien·ne·s de Gaza, soit une part importante de la population palestinienne, qui constitue un groupe protégé au titre de la Convention sur le génocide.
Le rapport d’Amnesty International met l’accent sur trois des cinq actes interdits au titre de la Convention sur le génocide, à savoir :
- (a) le meurtre de membres du groupe,
- (b) les atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe,
- (c) la soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence visant à entraîner sa destruction physique totale ou partielle.
Le rapport souligne comment Israël a imposé des conditions de vie destinées à détruire la population palestinienne de Gaza à travers trois types d’actes : l’endommagement et la destruction à grande échelle d’infrastructures essentielles et d’autres biens indispensables à la survie de la population civile, des vagues répétées de déplacements forcés de masse dans des conditions dangereuses et inhumaines et l’obstruction ou les restrictions à l’entrée et à l’acheminement de biens vitaux, dont l’aide humanitaire, ainsi que de services essentiels dans la bande de Gaza - le tout de façon simultanée, pendant des mois sans répit, aggravant réciproquement les effets néfastes des uns et des autres.
Après analyse de 15 frappes aériennes et l’examen d’analyses menées par d’autres organisations qui se sont focalisées, entre autres, sur l’utilisation par Israël d’armes lourdes dans des zones urbaines densément peuplées, le rapport met en évidence la manière dont les bombardements israéliens sur Gaza ont causé intentionnellement un nombre très élevé de décès et de blessures au sein de la population civile.
Comment Amnesty International démontre-t-elle l’existence d’une “intention” de détruire, en tout ou en partie, un groupe ?
Le rapport d’Amnesty International examine l’ensemble des éléments de preuve disponibles de manière globale afin de déterminer si Israël a commis des actes interdits dans l’intention de détruire la population palestinienne de Gaza en tant que telle. L’analyse du rapport suit la jurisprudence de la Cour internationale de justice (CIJ) sur le génocide, qui elle-même repose sur la jurisprudence des tribunaux pénaux internationaux. D’après la jurisprudence, l’intention génocidaire peut être évaluée sur la base d’éléments de preuve directs ou, en leur absence, déduite d’éléments de preuve indirects ou indiciaires.
Pour établir l’intention spécifique d’Israël de détruire la population palestinienne de Gaza, Amnesty International a pris en compte les éléments suivants :
- Le schéma général de la conduite d’Israël à Gaza,
- Les déclarations déshumanisantes et génocidaires de responsables gouvernementaux et militaires israéliens et israéliennes,
- Le contexte du système d’apartheid israélien, du blocus inhumain de Gaza et de l’occupation militaire illégale, vieille de 57 ans, du territoire palestinien (qui comprend la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, et Gaza).
Amnesty International a aussi examiné dans leur globalité le schéma génral de conduite et les pratiques systématiques de l’Etat d’Israël à Gaza, notamment les attaques directes et répétées visant directement la population civile et des biens de caractère civil et les frappes délibérément aveugles, l’ampleur et la rapidité des dommages et des destructions infligées aux habitations, aux lieux de refuge, aux établissements de santé, aux infrastructures sanitaires, aux infrastructures d’approvisionnement en eau et d’assainissement, aux terres agricoles et aux biens culturels palestiniens, le nombre de victimes civiles, l’usage répété d’armes explosives à large rayon d’impact dans des zones résidentielles densément peuplées, le recours fréquent à des ordres d’évacuation de grande ampleur et souvent trompeurs, la torture et la détention au secret de Palestinien·ne·s de Gaza dans des camps de réfugiés ainsi que les violations de droits humains et de libertés fondamentales et le refus systématique d’autoriser l’entrée d’une aide humanitaire suffisante dans la bande de Gaza.
Amnesty a examiné tous ces facteurs dans le contexte plus large du système d’apartheid imposé par Israël, de l’occupation illégale du territoire palestinien et du blocus illégal de Gaza, qui sont source d’oppression et d’immenses souffrances humaines pour la population palestinienne.
Amnesty International a examiné 102 déclarations faites par des responsables gouvernementaux et de l’armée israéliens entre le 7 octobre 2023 et le 30 juin 2024, qui déshumanisaient la population palestinienne, qui appelaient à commettre des actes génocidaires ou d’autres crimes à leur encontre, ou qui les justifiaient. Parmi ces déclarations, nous avons identifié 22 déclarations qui émanaient spécifiquement de responsables israélien·nes directement responsables de la gestion de l’offensive à Gaza, qui semblaient appeler à commettre des actes génocidaires contre les Palestinien·ne·s de Gaza ou qui les justifiaient. Ce qui constitue une preuve directe de l’intention génocidaire.
Le rapport applique la norme de la « seule conclusion raisonnable » utilisée par CIJ pour déduire cette intention à partir de pratiques systématiques. Bien qu’Israël ait déclaré que son but était de vaincre le Hamas et de libérer les otages, le droit international indique qu’un État peut agir avec une intention génocidaire tout en poursuivant d’autres objectifs. Même si Israël poursuivait des objectifs militaires, l’ensemble des preuves indique que la seule conclusion raisonnable pouvant être déduite de son comportement à Gaza est qu’il cherchait également à détruire la population palestinienne de Gaza en tant que telle, ce qui signifie que son offensive militaire et ses actions et omissions connexes à Gaza ont été menées avec une intention génocidaire.
Comment Amnesty International a-t-elle mené ces recherches ?
Ce rapport s’appuie sur la documentation qu’Amnesty a recueillie sur le mode de comportement d’Israël à Gaza, au moyen de recherches sur le terrain et à distance.
L’organisation a interrogé 212 personnes, dont des Palestinien·ne·s ayant été victimes ou témoins de frappes aériennes, de déplacements, de détention et de destruction d’exploitations et de terres agricoles, d’habitations ou d’autres infrastructures civiles, ainsi que des personnes ayant subi les conséquences des restrictions de l’aide humanitaire imposées par Israël. Pour comprendre les préoccupations liées à l’accès à l’aide humanitaire et aux conditions de vie à Gaza, Amnesty International s’est également entretenue avec des membres des autorités locales à Gaza, des professionnel·le·s de la santé palestinien·nes travaillant dans des établissements médicaux de Gaza et des personnes impliquées dans la réponse humanitaire.
Amnesty International a également analysé un large éventail de preuves visuelles et numériques, notamment des images satellite, des séquences vidéo et des photos, et a examiné un grand nombre de déclarations, de données et rapports provenant de groupes de défense des droits humains israéliens et palestiniens, d’organismes des Nations unies et d’organisations humanitaires opérant à Gaza.
L’organisation a également examiné et analysé les déclarations des autorités gouvernementales et militaires israéliennes et des organes officiels israéliens.
En dépit de ses efforts répétés pour contacter les ministères et les organes du gouvernement israélien pendant plusieurs mois au cours de ses recherches, Amnesty International n’avait pas reçu de réponse des autorités israéliennes au moment de la publication de ce rapport.
Pourquoi Amnesty International publie ce rapport maintenant et qu’est-ce que nous espérons obtenir en le publiant ?
Cela fait plus d’un an qu’Israël mène une attaque violente et implacable contre Gaza. En termes de pertes humaines et de destruction, cette offensive est d’une ampleur, d’une rapidité et d’une gravité sans précédent. Or, il n’y a toujours aucun cessez-le-feu à l’horizon et rien ne semble annoncer la fin des souffrances terribles qui se déroulent sous nos yeux.
Nos conclusions doivent servir de signal d’alarme à la communauté internationale : il s’agit d’un génocide, et il doit cesser maintenant. En publiant ce rapport maintenant, Amnesty International entend contribuer à mettre un terme au génocide en cours à Gaza, à empêcher que de nouveaux actes génocidaires ne soient commis contre les Palestinien·ne·s et à réaffirmer l’urgence d’un cessez-le-feu. À plus long terme, il s’agit de soutenir les mesures visant à faire en sorte que les auteurs·rices de crimes relevant du droit international, dont le crime de génocide et d’autres violations graves des droits humains, répondent de leurs actes et que les victimes et les survivants obtiennent justice et réparation.
Les États qui continuent à transférer des armes à Israël, en particulier les États-Unis qui sont son premier fournisseur, doivent savoir qu’ils violent leur obligation en vertu du droit international, de prévenir et d’empêcher la perpétration d’un crime de génocide et qu’ils risquent de se rendre complices de crime de génocide. Amnesty International a recueilli des informations sur l’utilisation par Israël d’armes fabriquées aux États-Unis lors des attaques menées contre Gaza au cours de ce conflit, qui ont tué et blessé illégalement des personnes civiles.
Amnesty International ne pense-t-elle pas qu’Israël a le droit de se défendre ? Le comportement d’Israël à Gaza ne peut-il pas être expliqué par son objectif de détruire la menace que constitue le Hamas, plutôt que par sa volonté de détruire la population palestinienne de Gaza ?
En vertu du droit international, rien ne saurait justifier les crimes internationaux, dont le génocide. Israël a l’obligation, au titre du droit international, de protéger toutes les personnes relevant de sa souveraineté ou se trouvant de fait sous son contrôle, y compris en territoire occupé, qu’elles soient palestiniennes ou israéliennes. Toutefois, les mesures prises au nom de la sécurité doivent respecter le droit international, et doivent être proportionnelles à la menace posée.
Au fil des ans, Israël n’a cessé d’utiliser la sécurité comme prétexte pour justifier ses graves violations des droits humains et ses crimes de guerre contre la population palestinienne. Il a imposé un blocus illégal à Gaza, infligeant une sanction collective à sa population civile, ainsi que des restrictions de grande ampleur, strictes et durables du droit de circuler librement aux Palestinien·ne·s de Cisjordanie. Les menaces à sa sécurité ne sauraient justifier de commettre un génocide à Gaza ou d’imposer un système d’apartheid aux Palestinien·ne·s.
Israël affirme que ses actions à Gaza sont légales et peuvent être justifiées par son objectif militaire d’éradiquer le Hamas. Toutefois qu’Israël considère la destruction de la population palestinienne comme un moyen de détruire le Hamas ou comme un sous-produit acceptable à cet objectif, ou que la population palestinienne est indigne de considération sont en soi preuves de l’intention génocidaire. La conviction qu’un groupe est sous-humain et ne mérite pas de protection ni de considération est inhérente au crime de génocide.
Les crimes de guerre commis par le Hamas et d’autres groupes armés dans le sud d’Israël le 7 octobre 2023, notamment les massacres délibérés et les prises d’otages, ne pourront jamais justifier le génocide perpétré par Israël contre la population palestinienne de Gaza.
Que dit Amnesty International sur les crimes de guerre commis par le Hamas et par d’autres groupes palestiniens le 7 octobre 2023 ?
Amnesty International a condamné sans équivoque les violations et les atrocités criminelles commises par le Hamas et d’autres groupes armés en Israël les 7 et 8 octobre 2023. Dans un communiqué de presse publié quelques jours seulement après les attaques, l’organisation a souligné que le Hamas et d’autres groupes armés palestiniens avaient violé de manière flagrante le droit international et fait preuve d’un mépris glaçant pour la vie humaine en commettant des crimes violents et brutaux, notamment des homicides délibérés, des prises d’otages et des tirs de roquettes aveugles sur Israël. Elle a demandé que le Hamas et les autres groupes armés palestiniens soient tenus pour responsables de ces crimes en vertu du droit international. L’organisation a vérifié des images vidéo effrayantes montrant des hommes armés tirant sur des personnes civiles et capturant des personnes pour en faire des otages.
Amnesty International n’a jamais cessé de demander que tous les civil·e·s retenus en otages soient libérés immédiatement, sans condition et sains et saufs. Elle a également demandé que toutes les autres personnes gardées en captivité, soient traité·es avec humanité et puissent recevoir la visite d’observateurs internationaux.
Une enquête plus large menée par l’organisation au sujet des attaques du 7 octobre 2023 et de leurs conséquences est en cours. Dans le cadre de ces recherches, nous allons examiner l’ampleur et l’étendue des crimes commis par le Hamas et d’autres groupes armés palestiniens dans le sud d’Israël.
Que doit faire la communauté internationale maintenant ?
Nos conclusions doivent servir de signal d’alarme pour la communauté internationale : il s’agit d’un génocide et il doit cesser maintenant. Nous publions ce rapport pour contribuer à mettre un terme au génocide en cours à Gaza, empêcher que de nouveaux actes génocidaires ne soient commis contre les Palestinien·ne·s et redire combien il est urgent de parvenir à un cessez-le-feu. Les États qui continuent à transférer des armes à Israël, doivent savoir qu’ils violent leur obligation en vertu du droit international, de prévenir et d’empêcher la perpétration d’un crime de génocide et qu’ils risquent de se rendre complices de crime de génocide.
Amnesty demande à Israël de mettre immédiatement fin au génocide à Gaza et de s’engager et de coopérer pleinement dans la procédure devant la CIJ. En particulier, nous demandons à Israël de se conformer immédiatement et pleinement à toutes les mesures provisoires ordonnées par la CIJ depuis le 26 janvier 2024, notamment en prenant des mesures urgentes pour améliorer radicalement la situation humanitaire à Gaza, en accordant un accès immédiat et sans entrave à Gaza aux organes d’enquête internationaux indépendants, et en prenant des mesures efficaces pour veiller à ce que tous les éléments de preuve liés au génocide et à d’autres crimes relevant du droit international soient préservés.
Entre-temps, les États doivent aller au-delà des simples expressions de regret ou de consternation et prendre des mesures radicales pour faire pression sur Israël afin qu’il mette fin à tous les actes de génocide à Gaza et mette en œuvre toutes les mesures provisoires ordonnées par la CIJ depuis le 26 janvier 2024.
Les États doivent immédiatement suspendre tous les transferts d’armes à Israël et cesser de lui fournir des formations et d’autres formes d’assistance militaire et de sécurité. Tous les États doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour obtenir justice et amener les personnes pénalement responsables à rendre des comptes pour tous les crimes relevant du droit international, notamment les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et le génocide, en utilisant la compétence universelle ou d’autres formes de compétence pénale extraterritoriale pour poursuivre les auteur·e·s présumés devant leurs tribunaux nationaux.
Les États doivent également répondre aux atrocités infligées aux Palestinien·nes en faisant pression sur Israël pour qu’il mette fin à son occupation illégale de Gaza et du reste du territoire palestinien occupé, conformément à l’avis consultatif de la CIJ de juillet 2024. Israël doit lever son blocus illégal de Gaza, qui a lentement infligé des conditions de vie préjudiciables à la population palestinienne pendant 16 ans avant le 7 octobre 2023.
Un tel changement systémique est impératif pour mettre fin aux crimes commis par Israël en vertu du droit international dans le territoire palestinien occupé et pour empêcher la perpétration d’autres actes de génocide.