Honduras, l’exercice du droit de manifester chèrement payé

Le gouvernement du président Juan Orlando Hernández s’est lancé dans une politique de répression visant les personnes qui manifestent dans la rue pour réclamer sa démission et des comptes pour les agissements des autorités. Le recours aux forces militaires pour contrôler les manifestations dans tout le pays a des conséquences très inquiétantes en ce qui concerne les droits humains, a déclaré Amnesty International lors de la présentation des résultats des recherches qu’elle a menées sur le terrain. 

« Le message du président Juan Orlando Hernández (JOH) est très clair : le fait de crier "JOH dehors" et de réclamer un changement peut coûter très cher. Six personnes au moins sont mortes dans le cadre des mouvements de protestations, et des dizaines d’autres ont été blessées, dans de nombreux cas à cause des tirs d’arme à feu des forces de sécurité, depuis le début de cette vague de manifestations », a déclaré Erika Guevara-Rosas, directrice du programme Amériques à Amnesty International. 
 

Voulant à tout prix faire taire les voix qui réclament sa démission, le président Hernández a utilisé les forces armées pour contrôler ces manifestations. Selon les informations rassemblées par Amnesty International, les forces de sécurité ont, dans ce contexte, utilisé de façon aveugle des armes non meurtrières, telles que des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc, blessant plusieurs dizaines de personnes. Au total, six personnes ont été tuées dans ces circonstances depuis le mois d’avril, dont quatre à la suite de l’utilisation par les forces de sécurité d’armes à feu.
 
La politique répressive adoptée par le gouvernement du président Hernández face aux mouvements de protestation a été condamnée à plusieurs reprises déjà. Le 13 juin 2018, Amnesty International a rendu public le rapport intitulé Protest Prohibited : Use of Force and Arbitrary Detentions to Suppress Dissident in Honduras, qui présente des informations montrant que les autorités ont non seulement utilisé une force excessive pour réprimer les manifestants pacifiques immédiatement après l’élection controversée du 26 novembre 2017, mais aussi arrêté et maintenu en détention de façon arbitraire des manifestants, qui ont été soumis à des conditions de détention déplorables pendant plusieurs mois, et privés de leur droit à un procès équitable et à une défense adéquate.
 
Depuis, des manifestations contre le gouvernement continuent d’avoir lieu dans tout le pays. Selon l’organisation non gouvernementale Comite por la libre expresión (C-Libre), entre le 4 et le 25 juin de cette année, au moins 346 manifestations ont eu lieu à travers le pays. Le mécontentement généralisé de la population est dû à l’adoption, le 25 avril, de lois modifiant le système national de l’éducation et de la santé, qui, de l’avis de dirigeants d’organisations d’enseignants et du Collège médical du Honduras, vont conduire à la privatisation de ces secteurs et au licenciement massif de leurs employés. Ces textes ont été abrogés, mais les manifestants continuent de réclamer la démission du chef de l’État.
 
L’équipe d’Amnesty International chargée des crises dans la région des Amériques a mené pendant la première semaine du mois de juillet une mission d’intervention rapide, à la suite de la flambée de violence observée lors des manifestations de ces dernières semaines, qui a fait six morts et près de 80 blessés. L’organisation a rassemblé des informations sur huit cas au total ; dans deux de ces cas, les victimes ont été tuées par l’armée et la police militaire, et les six autres cas concernent des personnes blessées, dont quatre par arme à feu. De plus, l’organisation a analysé plus de 60 documents audiovisuels et photographiques afin de déterminer quelles sont les armes et les munitions qui ont été utilisées, entre autres choses. 
 

Morts causées par l’utilisation de la force meurtrière

Le 20 juin, Eblin Noel Corea Maradiaga, un lycéen de 17 ans, a été tué par l’armée à Yarumela, une localité de la municipalité de La Paz ; quelques heures avant, une route y avait été bloquée par des manifestants, qui avaient fini par lever ce barrage routier. Or, des militaires sont arrivés sur les lieux quelque temps après, et ils ont tiré sur des civils et pris en chasse plusieurs personnes, dont Eblin et son père. Selon des témoins, alors qu’ils n’étaient pas armés et qu’ils tentaient de se réfugier dans une allée, un militaire s’est arrêté, a visé et a tiré sur l’adolescent, qui est tombé dans les bras de son père après avoir été touché à la poitrine. 
 
Dans un autre cas, le 19 juin, Erik Peralta essayait de traverser une avenue bloquée par une manifestation à Tegucigalpa, dans le secteur de Pedregal, en rentrant du travail, quand des soldats sont arrivés et, sans aucun avertissement, ont commencé à tirer. D’après le rapport établi par le médecin légiste, une balle a percé sa poitrine et l’a tué presque instantanément. Erik avait 37 ans et il avait quatre enfants. 
 

Blessures causées par le recours à une force meurtrière ou non meurtrière

Dans une autre affaire de recours excessif à la force sur laquelle Amnesty International a ressemblé des informations, le 24 juin, la police militaire est entrée dans l’enceinte de l’Université autonome nationale du Honduras (UNAH) et a tiré sur plusieurs dizaines de personnes qui manifestaient à l’entrée du campus. Le gouvernement a indiqué dans un communiqué de presse que cette intervention était justifiée par la nécessité de secourir un policier enlevé par les étudiants, par le fait que des cocktails Molotov et d’autres engins avaient été lancés sur les forces de sécurité, et par la nécessité de « repousser cette attaque ». 
 
Amnesty International a réuni des informations sur l’utilisation par des manifestants de pierres, et dans certains cas, d’obus de mortier artisanaux, mais l’organisation estime que le recours à la force meurtrière était excessif et inutile. Le fait que certains groupes ou individus utilisent la violence lors d’une manifestation ne signifie pas pour autant que la manifestation est violente dans son ensemble. 
 
Par ailleurs, l’organisation n’a trouvé aucun élément prouvant l’enlèvement d’un membre de l’armée, et le recteur de l’université lui-même a confirmé à Amnesty International qu’aucune preuve d’un tel enlèvement n’avait été présentée, et qu’aucune négociation n’avait eu lieu préalablement au recours à la force. De plus, les autorités ont violé le principe d’exceptionnalité du recours à la force meurtrière, cette force ne devant être utilisée qu’en cas de risque imminent pesant sur la vie d’agents ou de tiers.
 
En conséquence, cinq personnes au moins ont été touchées par ces tirs, y compris un étudiant de 25 ans – dont nous ne révélons pas l’identité pour des questions de sécurité – qui a été touché au bras, et Elder Nahúm Peralta, un étudiant âgé de 21 ans qui a été touché par une balle qui a pénétré dans sa fesse droite et en est ressortie. Lors d’un entretien avec Amnesty International, Elder a expliqué qu’alors qu’il courait pour se mettre à l’abri, il a été touché par une balle et est tombé par terre. Des agents de sécurité de l’université et des étudiants lui sont venus en aide et l’ont emmené à l’hôpital Escuela, où il a reçu des soins.
 
Le 30 mai, un jeune enseignant qui participait à une manifestation dans sa localité a été blessé par des policiers qui ont tiré sur la foule. La balle qui l’a atteint dans le dos a provoqué la perte d’un rein et des lésions au niveau du côlon transverse et d’un poumon. 
 
La violente répression exercée par la police a également fait des victimes parmi des personnes qui ne participaient pas aux manifestations. À Tegucigalpa, des agents de la police nationale ont attaqué deux membres d’une famille qui leur avaient reproché de lancer des gaz lacrymogènes près de leur maison. Comme ils suffoquaient, les membres de cette famille sont sortis de chez eux et ont demandé aux policiers d’arrêter d’utiliser des gaz lacrymogènes, ce qui leur a valu d’être frappés à coups de gourdin et à coups de poing et de pied. L’un d’eux a en conséquence dû recevoir immédiatement des soins médicaux, y compris des poins de suture pour des blessures à la tête.
 

Impunité 

L’impunité, qui a été dénoncée de façon incessante dans le pays ces dernières années, reste endémique au Honduras en ce qui concerne les violations des droits humains, et elle encourage la commission de nouvelles violations.
 
« Le système judiciaire hondurien a une fois de plus fait la démonstration que les violations des droits humains commises dans le cadre de manifestations se poursuivent sans que des enquêtes dignes de ce nom soient menées, et sans que les personnes soupçonnées d’en être pénalement responsables soient déférées à la justice. Les faits observés ces dernières semaines montrent que l’impunité est une constante qui favorise la répétition de graves violations des droits humains », a déclaré Erika Guevara-Rosas.
 
Dans deux des huit cas étudiés par Amnesty International, les familles n’ont pas porté plainte auprès du bureau du procureur par crainte de représailles. Dans les six autres cas, les familles ont porté plainte, mais elles ne croient pas en l’impartialité ni en l’efficacité du bureau du procureur, et dans trois cas au moins elles ont indiqué que les démarches nécessaires pour garantir une enquête exhaustive n’avaient pas été effectuées à temps.
 
Par exemple, la famille d’Eblin Noel Corea Maradiaga n’a pas autorisé l’autopsie de crainte que les autorités de « déplacent » la balle logée dans son corps. Considérant que la balle représente un élément de preuve essentiel pour la résolution de ce crime, les proches ont demandé que le corps soit exhumé en coopération avec du personnel médicolégal ayant la confiance de la famille. Or, le bureau du procureur a refusé la participation de ces experts et la famille attend toujours que cela ait lieu. La famille se méfie tellement des autorités qu’elle a installé une ampoule électrique au-dessus de la niche pour pouvoir la surveiller 24 heures sur 24, de crainte que quelqu’un ne vienne altérer le corps et voler la balle. 
 
Dans un autre cas, le 29 avril, un fonctionnaire en vêtements civils agissant conjointement avec la police, a tiré sur une personne dont nous ne révélons pas l’identité pour des raisons de sécurité. Alors que les témoignages et les images disponibles indiquent clairement que ce fonctionnaire portait une arme semi-automatique dont le calibre correspond à la balle logée dans la poitrine de la victime, personne n’a été poursuivi en justice jusqu’à présent. Une plainte a été déposée immédiatement après les faits, et des demandes d’informations sur les démarches entreprises ont été adressées au bureau du procureur, mais le Comité de Familiares Detenidos Desaparecidos de Honduras (COFADEH), l’organisation qui accompagne les victimes, n’a reçu aucune réponse.
 
Dans ces conditions, Amnesty International considère qu’il est essentiel que l’enquête progresse et que tous les éléments de preuve disponibles soient correctement exploités pour que les auteurs présumés puissent être identifiés et pour qu’ils soient poursuivis en justice.
 
Amnesty International a rencontré des représentants du gouvernement pour parler du contexte de crise actuel et des preuves réunies par l’organisation qui mettent en évidence de graves violations des droits humains. Ces représentants ont déclaré avoir respecté la loi et que les éventuelles violations de la loi étaient des cas isolés dûs à l’inexpérience des agents en cause, et non la manifestation d’une politique de répression. Ils ont en outre justifié le déploiement de l’armée pour des tâches de maintien de l’ordre en disant qu’il était conforme aux dispositions de la Constitution. Les autorités se sont engagées à fournir à Amnesty International des informations au sujet de l’enquête sur l’attaque contre l’UNAH.
 
Des réunions ont aussi eu lieu avec des organisations de défense des droits humains qui se sont dites préoccupées par la stratégie de répression de l’État, qui vise à faire taire les voix critiques qui réclament des changements structurels dans les politiques publiques. L’organisation réitère sa condamnation de la stigmatisation, du harcèlement et des agressions de défenseur·e·s des droits humains, et demande que ces personnes soient protégées. 
 
Amnesty International a déjà condamné publiquement la décision qu’a prise le Conseil de sécurité national, le 20 juin 2019, de déployer les forces armées, la police et des agents du service de renseignement en réaction aux manifestations, expliquant que ce déploiement risquait d’accroître le recours excessif à la force contre les manifestants. L’organisation rappelle une fois de plus que l’État doit garantir un retrait en bon ordre des forces armées des tâches de maintien de l’ordre et mettre en œuvre un processus de renforcement des capacités de la police nationale.
 
« Le président doit de toute urgence montrer qu’il est déterminé à utiliser tous les moyens dont il dispose pour mettre fin à cette répression meurtrière, sans quoi il existera de bonnes raisons de le considérer comme responsable de chacune de ces morts et de ces attaques visant des personnes exerçant leur droit légitime de manifester », a conclu Erika Guevara-Rosas.

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