La Cour pénale internationale doit ordonner une enquête urgente sur l’ignoble attaque qui a visé le centre de rétention pour migrants de Tajoura, à l’est de Tripoli, en Libye, et qui a fait au moins 40 morts et plus de 80 blessés parmi les personnes migrantes et réfugiées qui s’y trouvaient, a déclaré Amnesty International.
« Cette attaque meurtrière contre un centre de rétention, où au moins 600 réfugiés et migrants ont été pris au piège, étant enfermés et n’ayant aucune possibilité de s’échapper, et dont l’emplacement était connu de toutes les parties au conflit, doit faire l’objet d’une enquête en tant que crime de guerre. La Cour pénale internationale devrait immédiatement enquêter pour déterminer s’il s’agit d’une attaque ayant directement visé des civils, a déclaré Magdalena Mughrabi, directrice adjointe pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International.
« Ce massacre met par ailleurs en évidence les conséquences meurtrières des impitoyables politiques migratoires de la Libye et de l’Europe. En raison de la coopération pour endiguer les flux de migrants et de réfugiés, au lieu de se voir offrir des itinéraires sûrs pour sortir du pays, des milliers de personnes interceptées en Méditerranée centrale sont renvoyées en Libye, où elles sont enfermées arbitrairement dans des centres où elles sont exposées à la torture et en danger de mort. »
L’on craint que le bilan des morts causées par l’attaque contre un centre de rétention dans la soirée du 2 juillet ne soit revu à la hausse. Or, les premiers chiffres disponibles font déjà état d’une multiplication par deux du nombre de morts enregistré depuis le début de l’offensive lancée le 4 avril 2019 par l’Armée nationale libyenne (ANL) autoproclamée pour reprendre Tripoli au Gouvernement d’union nationale (GUN), reconnu par la communauté internationale, selon les statistiques des Nations unies [1].
« La plupart des victimes de cette attaque sont des migrants et des réfugiés ; beaucoup d’entre eux avaient fui les bains de sang, la persécution ou la pauvreté et voulu trouver une vie meilleure à l’étranger, mais ils se sont retrouvés enfermés pour une durée indéterminée dans un centre de rétention libyen non loin de zones de conflit actif, a déclaré Magdalena Mughrabi.
« Cette attaque honteuse devrait inciter toutes les parties au conflit à prendre immédiatement les mesures nécessaires pour déplacer les migrants et les réfugiés qui se trouvent dans des zones de conflit actif, où leur vie est en danger, et à mettre fin à la pratique cruelle qui consiste à placer en détention de façon arbitraire des migrants. »
Dans la matinée du 3 juillet, Amnesty International a parlé avec trois réfugiés détenus à Tajoura qui ont survécu à l’attaque. Un réfugié érythréen a dit que la première frappe aérienne a touché un hangar attenant au centre de rétention, et la deuxième la pièce où étaient enfermés les hommes, dans ce centre, environ cinq minutes plus tard. En conséquence de cette attaque, jusqu’à 300 migrants et réfugiés – certains d’entre eux ayant été renvoyés en Libye après avoir été interceptés en Méditerranée ces dernières semaines – se trouvent à présent dans les rues de Tajoura, effrayés et dans l’attente d’une aide d’urgence.
L’organisation a analysé et vérifié des vidéos et des photos publiées depuis le lieu de l’attaque, et déterminé au moyen de la géolocalisation qu’il s’agit du centre de rétention de Tajoura, géré par la Direction générale de la lutte contre la migration illégale, qui dépend du ministère libyen de l’Intérieur. Une photo de la cellule des hommes montre un large cratère, de plusieurs mètres de large, qui correspond aux dégâts que cause une bombe lâchée par un aéronef.
L’identité des responsables de cette attaque n’a pas encore été établie, mais cette semaine des médias ont indiqué que les forces de l’ANL avaient récemment reçu des avions de combat F-16. Ces avions sont capables de mener des frappes aériennes de nuit avec des bombes de gros calibre pouvant causer des dégâts de ce type.
Amnesty International a à plusieurs reprises appelé les parties au conflit à protéger les réfugiés et les migrants contre les attaques, et à les retirer des zones de conflit actif et des zones constituant des cibles militaires.
Les recherches menées par l’organisation montrent qu’un entrepôt utilisé pour stocker des armes se trouvait dans la même enceinte que le centre de rétention de Tajoura. Après la frappe aérienne qui avait touché un véhicule militaire à une centaine de mètres du centre de rétention de Tajoura le 7 mai, Amnesty International avait averti les autorités libyennes du fait qu’elles mettaient en péril la vie des réfugiés et des migrants en les détenant de façon arbitraire à proximité de cibles militaires. Le HCR [2] avait de son côté demandé que les réfugiés et les migrants détenus dans des centres de rétention situés dans des zones de conflit à Tripoli soient de toute urgence déplacés dans un lieu sûr.
Le droit international humanitaire prévoit que toutes les parties à un conflit doivent prendre toutes les précautions possibles pour minimiser les risques pesant sur les civils, y compris en retardant ou en annulant une attaque. Même si le dépôt militaire était la cible choisie pour cette attaque, le grand nombre de civils se trouvant à proximité de cette cible rendait cette attaque illégale. Les parties au conflit doivent également prendre toutes les mesures possibles pour protéger les civils qui se trouvent sous leur contrôle contre les conséquences des attaques, notamment en évitant de placer des objectifs militaires, tels que des sites de stockage d’armes, près de zones civiles.
Les recherches menées par Amnesty International ont également confirmé que certains détenus avaient été contraints à travailler sur le site militaire de Tajoura, contre leur volonté, ce qui constitue aussi une violation du droit international.
« Cette attaque doit servir de signal pour les États membres de l’UE en leur rappelant qu’ils doivent mettre fin à leur politique honteuse d’externalisation du contrôle des migrations, ainsi confié à la Libye, politique qui est motivée par leur volonté de réduire le nombre de réfugiés et de migrants qui arrivent sur les côtes européennes. Ils ne peuvent plus détourner les yeux des conditions de détention inhumaines, des actes de torture, des viols et des autres violences subies par les réfugiés et les migrants, ni du fait qu’en s’abstenant de proposer un nombre suffisant de places de réinstallation ils n’aident pas les réfugiés à se mettre en sécurité, a déclaré Magdalena Mughrabi.
« Les États membres de l’UE doivent d’urgence garantir des itinéraires sûrs permettant aux réfugiés et aux migrants bloqués en Libye de sortir du pays, et veiller à ce que les réfugiés et les migrants secourus en Méditerranée centrale ne soient pas renvoyés en Libye. »
Amnesty International a attiré l’attention sur le fait que les violations de l’embargo sur les armes imposé par les Nations unies à la Libye favorisent des violations des droits humains, y compris des crimes de guerre, dans la bataille de Tripoli, qui fait rage depuis le 4 avril. Plus de 100 000 civils se sont enfuis de chez eux, la population souffre de pénuries d’électricité et les tirs de roquettes et d’artillerie menés sans discrimination mettent gravement en danger la vie des civils.