Depuis que le Qatar a été désigné comme pays hôte de la Coupe du monde de football de 2022, son bilan au sujet des droits des travailleurs migrants fait l’objet d’une surveillance accrue. A deux ans du coup d’envoi de la Coupe du monde, Amnesty International a publié une nouvelle analyse des progrès réalisés par le Qatar en ce qui concerne la refonte des dispositions encadrant le travail. L’Organisation a salué les réformes récemment adoptées, mais a émis une mise en garde, soulignant que pour nombre d’employées et employés migrants, les conditions de travail resteraient très difficiles tant que des mesures n’auraient pas été prises pour garantir les salaires et l’accès à la justice et pour empêcher l’exploitation du personnel domestique.
« Ces dernières années, le Qatar a adopté une série de réformes majeures, notamment en modifiant la législation pour accorder aux travailleurs et aux travailleuses la liberté de mouvement et leur permettre une plus grande mobilité en matière d’emploi. Il a également promis de meilleurs salaires, ainsi qu’un accès facilité à la justice en cas d’atteintes aux droits. Cependant, nombre de travailleuses et travailleurs migrants n’ont pas encore bénéficié de ces évolutions. Tant que ces réformes ne seront pas pleinement appliquées, de nombreuses personnes resteront prises dans le cercle vicieux de l’exploitation », a déclaré Steve Cockburn, responsable Justice économique et sociale à Amnesty International.
« La portée de ces réformes positives reste trop souvent limitée en raison de leur faible mise en œuvre et du manque de volonté d’amener les employeurs abusifs à rendre des comptes. Les systèmes d’inspection sont inadaptés pour détecter les atteintes, et il reste difficile pour les travailleuses et travailleurs de porter plainte sans risquer de perdre leur revenu et leur statut juridique. Le Qatar doit faire beaucoup plus pour veiller à ce que la législation ait un impact concret sur la vie des gens. »
Depuis 2017, le gouvernement qatarien a adopté un certain nombre de réformes en faveur des travailleuses et travailleurs migrants. On peut notamment citer l’adoption de dispositions législatives réglementant la durée du travail des personnes logées au domicile de leur employeur, la mise sur pied de tribunaux spécialisés dans le droit du travail pour améliorer l’accès à la justice, la création d’un fonds destiné au versement d’indemnités pour les salaires impayés, ainsi que la fixation d’un salaire minimum.
« La portée de ces réformes positives reste trop souvent limitée en raison de leur faible mise en œuvre et du manque de volonté d’amener les employeurs abusifs à rendre des comptes. Les systèmes d’inspection sont inadaptés pour détecter les atteintes, et il reste difficile pour les travailleuses et travailleurs de porter plainte sans risquer de perdre leur revenu et leur statut juridique. »
Le Qatar a également aboli des dispositions obligeant les travailleuses et travailleurs migrants à demander l’autorisation de leur employeur pour changer d’emploi ou pour quitter le pays, et a ratifié deux importants traités internationaux relatifs aux droits humains, même s’il n’a pas reconnu le droit de se syndiquer. Si elles étaient mises en œuvre de façon appropriée et sans réserve, ces réformes pourraient contribuer à mettre fin aux aspects les plus problématiques du système de parrainage (kafala), et permettre aux travailleuses et travailleurs migrants d’échapper à des conditions de travail abusives et de demander réparation. Cependant, des milliers de personnes continuent de subir des conditions de travail abusives.
Ainsi, un récent rapport d’Amnesty International a montré que des employées de maison au Qatar effectuaient toujours des journées de près de 16 heures, sans aucun congé, malgré l’adoption d’une loi limitant la journée de travail à 10 heures et imposant un jour de repos hebdomadaire. Des femmes interrogées pour la rédaction de ce rapport ont décrit de terribles violences verbales et physiques, pour lesquelles aucun de leurs employeurs n’a eu à rendre des comptes.
Dans un autre document, Amnesty International a montré qu’une centaine de travailleurs migrants employés sur le chantier de construction d’un stade pour la Coupe du monde avaient travaillé jusqu’à sept mois sans être rémunérés, alors que les autorités étaient informées de la situation depuis près d’un an. Après la publication de ce document, la plupart de ces travailleurs ont perçu l’essentiel de leurs salaires en retard. Toutefois, cette affaire a mis en évidence l’incapacité persistante des autorités du Qatar comme de la FIFA à offrir une voie de recours rapide aux travailleurs.
« Il est indispensable d’amener les auteurs présumés à rendre des comptes pour mettre fin au cercle vicieux des atteintes aux droits. Le Qatar doit montrer aux employeurs aux pratiques abusives que leurs actes ont des conséquences, en vérifiant qu’ils respectent bien les lois et en sanctionnant pénalement ceux qui les enfreignent. Il est temps que le Qatar fasse clairement comprendre que les atteintes au droit du travail ne seront pas tolérées. »
Pour remédier à la situation persistante de déséquilibre entre employeurs et travailleurs migrants, et mieux respecter ses engagements, le Qatar doit améliorer la mise en œuvre des réformes récentes et en adopter de nouvelles, renforcer les mécanismes d’inspection pour pouvoir rapidement détecter les pratiques abusives et y mettre fin, améliorer les possibilités d’obtenir justice et réparation pour les travailleurs, mettre fin à la culture de l’impunité pour les employeurs abusifs et respecter le droit des travailleurs migrants de former des syndicats. Le Qatar doit veiller à mettre tout particulièrement l’accent sur le renforcement des protections pour les employées et employés de maison, qui ont jusqu’ici été laissés de côté par nombre des réformes.
« Il est indispensable d’amener les auteurs présumés à rendre des comptes pour mettre fin au cercle vicieux des atteintes aux droits. Le Qatar doit montrer aux employeurs aux pratiques abusives que leurs actes ont des conséquences, en vérifiant qu’ils respectent bien les lois et en sanctionnant pénalement ceux qui les enfreignent. Il est temps que le Qatar fasse clairement comprendre que les atteintes au droit du travail ne seront pas tolérées », a ajouté Steve Cockburn.
En tant qu’organisateur de la Coupe du monde, la FIFA a elle aussi pour responsabilité de veiller à ce que les droits humains soient respectés dans le cadre de la préparation et du déroulement de cet événement. Elle est notamment tenue d’amener ses partenaires de la Coupe du monde à rendre des comptes et doit user de son influence pour inciter le Qatar à réformer pleinement son organisation du travail.
Dans cette optique, les bureaux d’Amnesty International dans plus de 20 pays sont en train d’écrire à leurs associations nationales de football pour les engager à jouer un rôle actif dans la protection des droits des travailleuses et travailleurs migrants. Les associations de football doivent appeler la FIFA à user de sa voix, en privé et en public, pour appeler le gouvernement du Qatar à mener à son terme son programme de réforme du travail avant le lancement de la Coupe du monde.
« Depuis 2016, Amnesty International a eu plusieurs contacts avec la direction de l’Union Royale Belge des Sociétés de Football-Association en ce qui concerne la situation des droits humains au Qatar. Plusieurs échanges constructifs s’en sont ensuivis et des engagements à mettre en avant cette problématique ont été pris. Aujourd’hui, nous redemandons au Président de l’URBSFA, Mehdi Bayat, d’encourager la FIFA à agir concrètement », explique Philippe Hensmans, directeur de la section belge francophone d’Amnesty International.