Dans une lettre à Gianni Infantino, le président de la FIFA, Amnesty International a demandé à la Fédération de se monter à la hauteur de ses responsabilités, afin de de prévenir, limiter et corriger les risques en matière de droits humains liés à cette compétition, et de mobiliser toute son influence dans le but d’amener le Qatar à respecter son programme de réformes du droit du travail avant le coup d’envoi de la Coupe du monde.
Le Qatar a introduit un certain nombre de réformes prometteuses ces dernières années, en partie en réaction à l’intérêt croissant qu’il a commencé à susciter après avoir remporté le contrat de la Coupe du monde. Trop souvent, malheureusement, ces réformes ne sont pas correctement appliquées et des milliers de travailleurs et travailleuses migrants continuent à être exploités et maltraités. Récemment, le Conseil consultatif du Qatar a présenté un ensemble de recommandations [1] qui, si elles étaient suivies par le gouvernement, reviendraient sur une grande partie des avancées permises par les réformes, notamment en rétablissant les restrictions du droit des travailleurs de changer de travail et de quitter le pays.
« En tant qu’instance organisatrice de la Coupe du monde, la FIFA est tenue, selon les normes internationales en vigueur, de limiter les risques liés à cette compétition sur le terrain des droits humains »
« Cette Coupe du monde ne serait tout simplement pas possible sans les travailleurs migrants, qui représentent 95 % de la main-d’œuvre au Qatar. Des stades aux routes, en passant par l’hôtellerie, la restauration et les services de sécurité, le succès de la Coupe dépend du travail d’hommes et de femmes qui ont parcouru des milliers de kilomètres afin de subvenir aux besoins de leur famille. Trop souvent cependant, ces travailleurs continuent à connaître abus et exploitation lors de leur séjour au Qatar », a déclaré Steve Cockburn, responsable du programme Justice sociale et économique à Amnesty International.
« En tant qu’instance organisatrice de la Coupe du monde, la FIFA est tenue, selon les normes internationales en vigueur, de limiter les risques liés à cette compétition sur le terrain des droits humains. Cela inclut les risques pesant sur les employé·e·s d’industries telles que l’hôtellerie et le transport, qui se sont très fortement développées en prévision des matchs. Les qualifications de cette semaine nous rappellent que la FIFA n’a plus beaucoup de temps pour influer sur les décisions du Qatar - elle doit agir pour que la Coupe du monde suscite la fierté et ne soit pas ternie par des violations du droit du travail. »
Des travailleurs et des travailleuses souffrent afin de rendre cette Coupe du monde possible
Quand la FIFA a décidé que la Coupe du monde se tiendrait au Qatar, elle savait - ou aurait dû savoir - que des risques existaient sur le terrain des droits humains, car ce pays dépend fortement des travailleurs migrants, et le fonctionnement du marché du travail sur place favorise l’exploitation. Par conséquent, la FIFA savait, ou aurait dû savoir, que les migrant·e·s travaillant dans les secteurs impliqués dans les préparatifs de la Coupe du monde, qu’ils soient liés aux sites officiels ou non, allaient souffrir afin que les objectifs soient atteints.
Lundi 15 mars, Amnesty International a écrit à la FIFA et lui a demandé d’assumer ses responsabilités en matière de droits humains à l’échelle internationale. En vertu des Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme des Nations unies, la FIFA doit garantir que les droits humains soient respectés dans le cadre de l’organisation de la Coupe du monde, notamment en menant son propre suivi indépendant et régulier des projets et des lieux liés à la Coupe, et en mettant tout en œuvre afin d’identifier et de prévenir toute éventuelle atteinte aux droits humains en lien avec cette compétition. La FIFA a en particulier le devoir de garantir que les torts causés aux travailleurs et travailleuses dans le cadre de projets liés à la Coupe du monde jusqu’à présent soient réparés, en collaboration avec les autorités du Qatar et les autres parties intéressées.
« La FIFA doit utiliser sa voix pour exhorter le Qatar à mettre en œuvre et faire respecter de toute urgence les réformes existantes, et à rejeter les propositions visant à retirer aux travailleurs leurs droits récemment acquis », a déclaré Steve Cockburn.
Appel aux supporteurs et supportrices de football
Amnesty International salue les mesures adoptées par la FIFA ces dernières années dans le but de prendre ses responsabilités, notamment l’établissement de sa politique des droits de l’homme [2] en 2017, et la stratégie de développement durable pour la Coupe du monde 2022 de la FIFA au Qatar [3] , rendue publique en octobre 2019. La FIFA s’est engagée [4] à « laisser derrière [elle] des normes et pratiques de calibre mondial pour les travailleurs et travailleuses au Qatar et au niveau international », mais la persistance de graves atteintes au droit du travail montre qu’il reste encore beaucoup à faire.
Par exemple, en 2020, la FIFA a déclaré à Amnesty International que le « contrôle quotidien » du respect des droits des ouvriers de la construction est l’affaire du Comité suprême, l’organe de gouvernance supervisant les préparatifs de la Coupe du monde au Qatar.
« La FIFA doit utiliser sa voix pour exhorter le Qatar à mettre en œuvre et faire respecter de toute urgence les réformes existantes, et à rejeter les propositions visant à retirer aux travailleurs leurs droits récemment acquis »
L’insuffisance de cette approche non-interventionniste a été mise en évidence lorsque Amnesty International a découvert que des ouvriers de la construction travaillant sur le stade d’Al Bayt [5] - un projet d’un montant de 770 millions d’euros - n’avaient pas été payés pendant des périodes allant jusqu’à sept mois. Le Comité suprême avait connaissance de cet état de fait depuis près d’un an, mais la FIFA a admis [6] qu’elle n’avait pas été informée de la situation, ce qui montre que la Fédération a besoin d’être beaucoup plus assidue concernant le suivi indépendant relatif aux sites de la Coupe du monde.
Plusieurs bureaux d’Amnesty International dans le monde demandent désormais aux supporteurs et supportrices de football de signer une pétition, qui exhorte la FIFA à en faire plus pour aider à changer les conditions de travail de ceux et celles qui permettent à la compétition d’avoir lieu. Les bureaux d’Amnesty International de 27 pays ont par ailleurs écrit à leurs associations nationales de football en novembre 2020, leur demandant de jouer un rôle actif dans la concrétisation des droits des travailleurs migrants.
Les problèmes persistants en matière de droits humains au Qatar suscitent par ailleurs des inquiétudes croissantes chez les supporteurs de football d’un certain nombre de pays, certains ayant demandé un boycott.
« La FIFA doit prendre les préoccupations des fans de football au sérieux et adopter des mesures concrètes. Elle a la possibilité d’aider à améliorer la situation des travailleurs migrants du Qatar, mais le temps presse », a déclaré Steve Cockburn.
« La FIFA et le Qatar doivent mettre en place un plan d’action robuste afin de s’assurer que les travailleurs migrants de tous les secteurs associés à la Coupe du monde ont été correctement rémunérés, traités de manière équitable, et qu’ils ne se trouvent pas sous l’emprise d’employeurs qui les exploitent. »