Amériques : Le gouvernement des États-Unis met en danger les demandeurs d’asile

Les politiques illégales de gestion des frontières que mettent en œuvre les États-Unis se traduisent par des milliers de demandeurs d’asile bloqués au Mexique, menacés d’expulsion vers leurs pays d’origine, où ils risquent pourtant d’être victimes de graves préjudices.

Les conditions ne peuvent que s’aggraver dans le cadre de l’accord qui aurait été conclu entre les deux pays et qui, s’il est mis en place, contraindra les demandeurs d’asile à rester au Mexique en attendant que leur demande soit traitée, au lieu de leur permettre d’entrer aux États-Unis.

En s’appuyant sur ses recherches axées sur le traitement des réfugiés et des migrants qui composent les caravanes au Guatemala, dans l’État du Chiapas dans le sud du Mexique, dans les villes de Mexico et de Tijuana en octobre et novembre, Amnesty International publie aujourd’hui 26 recommandations adressées aux gouvernements américain et mexicain, ainsi qu’aux autorités des pays d’Amérique centrale d’origine et de transit, en vue de protéger les droits humains de tous les demandeurs d’asile et de leur apporter une aide humanitaire pendant leur périple. Elle leur demande notamment de respecter les normes internationales relatives à l’usage de la force.

« Au lieu de militariser la frontière et de colporter la peur et la discrimination, le gouvernement du président Donald Trump devrait faire preuve de compassion à l’égard de ces personnes contraintes de fuir leur foyer et devrait enregistrer leur demande d’asile sans attendre, comme l’exige le droit des États-Unis et le droit international, a déclaré Erika Guevara-Rosas, directrice du programme Amériques à Amnesty international.

« Au lieu de militariser la frontière et de colporter la peur et la discrimination, le gouvernement du président Donald Trump devrait faire preuve de compassion à l’égard de ces personnes contraintes de fuir leur foyer. »

« De leur côté, les gouvernements du Mexique et d’Amérique centrale doivent prendre des mesures urgentes pour garantir la sécurité et le bien-être de toutes ces personnes qui ont pris la route et veiller à ce qu’elles ne subissent pas de nouvelles violations des droits humains. Si le Mexique accepte de faire le « sale boulot » du gouvernement américain, au détriment de la dignité et des droits humains des membres de la caravane, c’est comme s’il payait le mur de la honte voulu par Donald Trump à la frontière.

« Le danger qui pèse sur les familles désespérées attendant patiemment leur tour pour demander l’asile à la frontière est une situation d’urgence que le gouvernement américain a lui-même générée, a déclaré Margaret Huang, directrice d’Amnesty International États-Unis. L’utilisation de gaz lacrymogènes en présence de familles, d’enfants et de parents, est consternante et marque un nouveau cap pour cette administration dans son mépris pour la dignité et les droits fondamentaux de la personne humaine. »

Des conditions d’hygiène déplorables et des listes d’attente illégales pour l’asile

Le 18 novembre, Amnesty International s’est rendue au complexe sportif de Benito Juarez à Tijuana, un centre d’accueil provisoire où les autorités municipales hébergent environ 3 000 migrants et demandeurs d’asile, arrivés dans les premières caravanes composées au total de 8 000 à 10 000 personnes traversant le Mexique. Ils ont rejoint les milliers d’autres personnes contraintes par les autorités américaines d’attendre à Tijuana pendant des semaines ou des mois avant de pouvoir demander l’asile à la frontière. Le 22 novembre, le secrétaire d’État américain Mike Pompeo a déclaré que le gouvernement américain prévoit de priver illégalement des personnes de ce droit en refusant l’entrée des caravanes aux États-Unis.

Des représentants des autorités fédérales, d’État et municipales au Mexique ont confirmé séparément à Amnesty International que ce centre provisoire manque de nourriture, d’eau et de services de santé, et que les affections respiratoires se propagent parmi les personnes qui s’y trouvent.

Depuis avril 2018, voire avant, les autorités américaines et mexicaines somment de manière illégale les demandeurs d’asile d’inscrire leur nom sur une liste d’attente quasi-officielle côté Tijuana du point d’entrée de San Ysidro, au lieu de les autoriser à solliciter l’asile directement à la frontière. Cette liste est gérée conjointement par les demandeurs d’asile eux-mêmes et les autorités mexicaines, pour répondre aux limites fixées par les États-Unis quant au nombre de demandeurs d’asile qu’ils recevront chaque jour. Ceux qui n’ont pas de papiers d’identité ne sont pas autorisés à s’inscrire sur cette liste d’attente et s’ils ratent le jour où leur numéro est appelé, ils risquent de perdre complètement leur place.

En refoulant les demandeurs d’asile aux points d’entrée, les autorités américaines bafouent leur droit de chercher asile face à la persécution et ont généré une situation d’urgence le long de la frontière.

La queue côté mexicain fait courir aux demandeurs d’asile le risque d’être placés en détention et expulsés par les services mexicains de l’immigration, mais aussi d’être exploités par des bandes criminelles. 

Le 21 novembre, Amnesty International a examiné la liste d’attente, qui contenait environ 4 320 noms, dont quelque 2 000 membres de la caravane, pour la plupart des personnes originaires du Honduras arrivées depuis le 15 novembre. Les personnes déjà inscrites sur la liste avant l’arrivée de la caravane avaient dû attendre en moyenne cinq semaines à Tijuana, avant que les autorités américaines ne commencent à traiter leur demande d’asile. Selon des responsables de l’Institut national des migrations du Mexique (INM) et un responsable municipal de Tijuana, avant l’arrivée de la caravane, environ 80 % des demandeurs d’asile étaient des Mexicains.

Les autorités mexicaines ne peuvent pas légalement empêcher des citoyens de sortir du pays et de demander l’asile à la frontière américaine. Pourtant, Amnesty International a confirmé de sources multiples au sein du gouvernement mexicain que des responsables des services mexicains de l’immigration s’emparent de la liste d’attente chaque soir et s’entendent avec les garde-frontières américains sur le nombre de demandeurs d’asile qui seront reçus chaque jour. Des informations émanant de responsables mexicains qui ont préféré garder l’anonymat mettent en doute la soi-disant incapacité des autorités américaines à recevoir davantage de personnes et témoignent de la pression que le gouvernement américain exerce sur son homologue mexicain pour limiter l’entrée des demandeurs d’asile.

Selon des agents mexicains et des demandeurs d’asile au point de passage frontalier de San Ysidro, des agents du Service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis (CBP) enregistraient il y a peu entre 30 et 70 demandes d’asile par jour. Le 16 novembre, le directeur du CBP au point d’entrée de San Ysidro a déclaré au Washington Post que son personnel pouvait traiter entre 90 et 100 demandes par jour, à condition que le Service de contrôle de l’immigration et des douanes (ICE) des États-Unis prenne en charge dans les 72 heures les demandeurs d’asile dont les demandes ont été traitées.

Des informations émanant de responsables mexicains qui ont préféré garder l’anonymat mettent en doute la soi-disant incapacité des autorités américaines à recevoir davantage de personnes et témoignent de la pression que le gouvernement américain exerce sur son homologue mexicain pour limiter l’entrée des demandeurs d’asile.

Lors d’une rencontre avec Amnesty International le 20 novembre, des responsables de l’ICE ont refusé de dire s’ils prenaient en charge les demandeurs d’asile en temps voulu ou étaient confrontés à des contraintes en termes de capacité du fait de l’arrivée récente des caravanes, avant de mettre brusquement fin à l’entretien.

Amnesty International demande aux autorités américaines de respecter le droit de demander l’asile aux points d’entrée officiels et entre ces postes frontaliers. Le gouvernement américain ayant déclaré qu’il prévoit de priver illégalement les membres des caravanes de ce droit, le Congrès devrait refuser de financer les opérations du Service des douanes et de la protection des frontières (CBP), à moins que ne soit mise en place une surveillance rigoureuse par le Congrès de ces opérations et que le CBP s’engage par écrit à mettre fin aux renvois forcés illégaux de demandeurs d’asile aux points d’entrée et entre ces postes frontaliers. Amnesty International a rassemblé des informations sur ces agissements dans un récent rapport.

Des demandeurs d’asile risquent d’être expulsés par les autorités mexicaines

Le 19 novembre, la police municipale de Tijuana a annoncé qu’elle avait arrêté 34 membres de la caravane pour « trouble à l’ordre public » (notamment pour avoir bu de la bière dans la rue) et les a remis à l’Institut national des migrations (INM) pour une éventuelle expulsion. Amnesty International a immédiatement demandé à l’INM de lui permettre de rencontrer les détenus pour les interviewer, après avoir reçu des informations non vérifiées indiquant que la police municipale de Tijuana avait pu établir des profils ethniques, piéger et/ou extorquer de l’argent à certains d’entre eux, et que leur détention était synonyme de séparation d’avec leurs proches installés au stade de Benito Juarez. L’INM n’a pas donné son aval pour cette visite.

Le 20 novembre, un expert des droits des migrants auprès de la Commission nationale des droits humains du Mexique (CNDH) a confirmé qu’une ou plusieurs familles avaient été séparées du fait des arrestations, mais que la CNDH n’avait pas encore interrogé les détenus afin d’évaluer la validité des charges retenues contre eux. Il a noté que certains membres des caravanes risquaient d’être expulsés s’ils étaient arrêtés par la police municipale, car la plupart n’ont pas de statut légal au Mexique ou ont un permis de séjour sur le point d’expirer, ce qui englobe également ceux qui prévoient de demander l’asile à la frontière américaine. Au titre de la loi mexicaine relative aux migrations, la police municipale n’est pas habilitée à procéder à l’examen des papiers d’identité d’un point de vue migratoire – une tâche réservée à l’INM.

Le 20 novembre, des médias locaux à Tijuana ont relaté que 40 membres de la caravane avaient été arrêtés par la police municipale, puis expulsés par l’INM. Ces événements s’inscrivent dans une tendance plus générale des derniers jours, l’INM ayant procédé à plusieurs arrestations massives au Mexique en réaction à la présence des diverses caravanes, y compris des familles et des enfants. Dans certains cas, des centaines de personnes ont ainsi été arrêtées. Le 25 novembre, les autorités mexicaines ont déclaré qu’une partie de ceux qui ont tenté d’entrer aux États-Unis et ont été repoussés à coups de gaz lacrymogènes seraient expulsés. Or, expulser des personnes vers des pays où leur vie est menacée, sans leur donner la chance de demander l’asile, bafouerait le droit mexicain et international.

« Les autorités mexicaines au niveau municipal, d’État et fédéral luttent pour héberger et apporter une aide humanitaire suffisante aux personnes bloquées à Tijuana et, dans certains cas, ont demandé aux services mexicains de l’immigration d’expulser des membres des caravanes, possiblement en violation du droit international, a déclaré Erika Guevara-Rosas.

« L’Institut national des migrations du Mexique (INM) doit préciser si tous les membres des caravanes placés en détention ces derniers jours ont eu la possibilité de demander l’asile au Mexique ou de régulariser leur situation et d’être réunis avec leurs enfants ou d’autres membres de leur famille. »

Amnesty International demande au gouvernement mexicain de réaliser dans les meilleurs délais un filtrage adéquat des migrants et des demandeurs d’asile susceptibles de bénéficier d’une protection internationale et de fournir des papiers provisoires à ceux qui attendent une réponse aux points d’entrée de la frontière américaine, pour éviter qu’ils ne soient expulsés vers leurs pays d’origine tant que leur demande est en cours de traitement.

Elle recommande aux autorités des pays d’origine de remédier aux facteurs qui poussent leurs citoyens à migrer, et invite les pays de transit et d’accueil à garantir leur santé et leur sécurité, à leur fournir une assistance humanitaire, à respecter leur droit de demander l’asile, à prévenir les atteintes aux droits humains à leur encontre et à enquêter sur ces atteintes le cas échéant.

Ces recommandations se fondent sur des entretiens qu’Amnesty International a menés avec 200 personnes qui se sont mises en mouvement au sein de la caravane – individuellement ou en groupe, dont plusieurs familles, femmes avec enfants et membres de la communauté LGTBI – et sur des informations obtenues auprès des gouvernements de la région, d’organisations internationales et d’organisations de la société civile présentes sur le terrain.

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