Afghanistan, crime de guerre par les Talibans au Panjshir

Afghanistan, crime de guerre par les Talibans au Panjshir
  • des civils sont victimes de torture et d’homicides illégaux ; des détenus sont soumis à des exécutions extrajudiciaires
  • arrestations et détentions arbitraires massives dans le but d’intimider les populations locales
  • « Des milliers de personnes sont prises au piège de la répression permanente qu’exercent les talibans » - Agnès Callamard

Les talibans commettent un crime de guerre en infligeant une sanction collective à la population civile de la province du Panjshir en Afghanistan, écrit Amnesty International dans un nouveau rapport publié le 8 juin 2023.

Intitulé Your Sons Are In The Mountains’ : The Collective Punishment of Civilians In Panjshir by the Taliban, ce rapport recense de graves violations du droit international humanitaire et relatif aux droits humains, notamment des exécutions extrajudiciaires, des actes de torture et des arrestations et détentions arbitraires massives (des extraits du rapports sont disponibles en français).

La liste des crimes de guerre et des violations du droit international humanitaire perpétrés par les talibans au Panjshir est interminable : exécutions extrajudiciaires, torture, prise d’otages, détention illégale et incendie d’habitations civiles. Chaque acte individuel est odieux, et ces actes dans leur ensemble constituent une sanction collective – un crime de guerre en soi.

Depuis que les talibans ont pris le contrôle de l’Afghanistan en août 2021, les membres des forces de sécurité de l’ancien gouvernement afghan ont fui vers le Panjshir avec leurs équipements et leurs armes, et ont rejoint le Front national de résistance. En réaction, les talibans exercent des représailles contre les combattants capturés et s’en prennent à la population civile du Panjshir dans le but de l’obliger à obéir et à se soumettre.

« Au Panjshir, les méthodes cruelles des talibans vis-à-vis des civil·e·s soupçonnés d’appartenir au Front national de résistance sèment la détresse et la peur, a déclaré Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International.

« La liste des crimes de guerre et des violations du droit international humanitaire perpétrés par les talibans au Panjshir est interminable : exécutions extrajudiciaires, torture, prise d’otages, détention illégale et incendie d’habitations civiles. Chaque acte individuel est odieux, et ces actes dans leur ensemble constituent une sanction collective – un crime de guerre en soi.

« Des milliers de personnes sont prises au piège de la répression permanente qu’exercent les talibans, dans le but manifeste d’intimider et de sanctionner. Ils doivent cesser de s’en prendre délibérément à la population civile du Panjshir. »

Dans le cadre de la répression actuelle, les talibans ont procédé à l’arrestation arbitraire, à l’échelle de villages, de tous les hommes adultes et adolescents, les détenant sans inculpation et les soumettant à des passages à tabac et autres violences. Ils ont également instauré le seul couvre-feu nocturne de tout l’Afghanistan, saisi des habitations civiles et restreint l’accès des bergers à leurs pâturages traditionnels.

Si la plupart des actes commis par les forces talibanes constituent individuellement des crimes de guerre, l’ensemble de ces actes – auxquels s’ajoutent les détentions arbitraires et les restrictions imposées à la population civile – constitue également un crime de guerre, à savoir une sanction collective.

« Des milliers de personnes sont prises au piège de la répression permanente qu’exercent les talibans, dans le but manifeste d’intimider et de sanctionner. Ils doivent cesser de s’en prendre délibérément à la population civile du Panjshir. »

Amnesty International demande aux autorités talibanes d’enquêter sur les cas signalés et, le cas échéant, de rendre justice dans le cadre de procès équitables devant des tribunaux civils de droit commun. Toutefois, les talibans n’ayant ni la volonté ni la capacité de mener des enquêtes dignes de ce nom, ou d’amener les membres de leurs forces à rendre des comptes dans le cadre de procès équitables, Amnesty International en appelle au Conseil des droits de l’homme des Nations unies pour qu’il mette en place un mécanisme international indépendant d’obligation de rendre des comptes, avec comme priorités la conservation des éléments de preuve en vue de futures procédures judiciaires, dont des poursuites, l’établissement de rapports publics et le suivi de la situation.

Exécutions extrajudiciaires collectives

Le rapport dévoile plusieurs cas d’exécutions extrajudiciaires collectives de combattants du Front national de résistance par les talibans. Dans l’un de ces cas, au moins six personnes – et possiblement neuf – ont été exécutées en septembre 2022 sur une montagne près de Darea Hazara, qui fait partie du village de Pochava, dans le district de Darah.

Le laboratoire de preuves du programme Réaction aux crises d’Amnesty International a analysé et vérifié cinq vidéos présentant des fragments de cette exécution. Sur la première, on peut voir des membres des forces talibanes escorter six hommes qui ont les mains attachées derrière le dos en haut d’une colline escarpée. D’après les personnes interrogées, ces six hommes étaient des combattants capturés du Front national de résistance, à savoir Mohammad-u Din, Ishaq, Daniyar, Modir Ahmad, Amir Hatam et Mohammad Yar.

Dans les vidéos suivantes, les détenus ont les yeux bandés et des talibans armés sont positionnés plus haut, derrière eux. On voit alors plusieurs talibans ouvrir le feu pendant 19 secondes ; cinq hommes sont tués et certains débaroulent en bas de la colline. Au moins cinq talibans participent à l’opération, armés de fusils à verrou et de kalachnikovs automatiques : il est par conséquent difficile de déterminer le nombre exact de coups de feu tirés.

En se fondant sur l’angle de la lumière du soleil et sur les ombres dans les vidéos, ces homicides ont sans doute eu lieu dans les heures qui ont suivi le lever du jour à 5h30. Alors que cinq personnes sont visiblement abattues devant les caméras, un témoin a déclaré à Amnesty International que neuf au total avaient été tuées lors de cette exécution collective. Des témoins ont par la suite donné les noms des trois autres victimes : Feroz, Torabaz et Shah Faisal.

Détention illégale, torture et autres mauvais traitements

Dans au moins trois cas, les talibans ont torturé à mort les civils qu’ils avaient arrêtés dans les districts de Bazarak et Rokha, dans la province du Panjshir. Ces hommes étaient des paysans et des éleveurs, qui ont agi dans le respect des règles traditionnelles permettant d’envoyer le bétail dans les montagnes l’été. Ils pensaient avoir la permission des responsables talibans locaux de se rendre dans les zones réservées à cet effet.

Deux des victimes, Noor Mohammad et Ghulam Ishan, habitaient le district de Darah, et ont été torturés dans le district de Rokha alors qu’ils étaient à la recherche de leur bétail, en octobre 2022. Le troisième homme, Abdull Muneer Amini, a été arrêté dans son district natal de Bazarak en juin 2022. Des vidéos et des photos prises après que leurs corps ont été retrouvés ont été diffusées sur les réseaux sociaux et transmises en privé à Amnesty International. Selon l’analyse du médecin légiste consulté par Amnesty, les trois corps présentaient des marques flagrantes de torture, dont de graves contusions, probablement causées par des coups violents et répétés.

Par ailleurs, les talibans ont arrêté et détenu arbitrairement à plusieurs reprises des civils, hommes et adolescents, parce qu’ils étaient soupçonnés d’appartenir au Front national de résistance. Ils en ont interpellé jusqu’à 200 à la fois. Ces arrestations ont principalement eu lieu dans les districts de Darah, Abshar et Khenj entre mai et août 2022, soit lors d’arrestations massives à l’échelle de villages dans certaines zones, soit en ciblant des foyers spécifiques dont les membres, selon les talibans, auraient rejoint le Front national de résistance.

Arrêter des membres d’une famille dans le but d’amener les combattants à se rendre s’apparente à une prise d’otages et constitue un crime de guerre. Les talibans les retiennent pendant des périodes plus ou moins longues, allant de quelques heures à plusieurs mois.
Dans le district de Darah, un homme a raconté que les talibans ont arrêté son père dans son village en juin 2022, afin de les retrouver lui et ses frères, car ils les soupçonnaient d’avoir rejoint le Front national de résistance.

L’arrestation de proches soupçonnés d’être des combattants du Front national de résistance, l’arrestation et la détention massives de civils, et la torture et les homicides illégaux de bergers sont des actes qui illustrent la campagne de sanction collective menée par les talibans à l’encontre de la population civile dans le Panjshir. Parmi les autres méthodes d’intimidation exposées dans ce rapport, citons la destruction et la saisie durable de biens civils, ainsi que les restrictions imposées aux déplacements des habitants.

Cet homme a déclaré à Amnesty International : « [Les talibans] avaient emmené mon père avant 13 heures… Il a été conduit à la mosquée et là ils lui ont enlevé son bandeau… Ils l’ont fait asseoir sur un matelas et ont commencé à l’interroger : " Où sont tes fils ? La rumeur dit qu’ils sont dans les montagnes. " »

L’arrestation de proches soupçonnés d’être des combattants du Front national de résistance, l’arrestation et la détention massives de civils, et la torture et les homicides illégaux de bergers sont des actes qui illustrent la campagne de sanction collective menée par les talibans à l’encontre de la population civile dans le Panjshir. Parmi les autres méthodes d’intimidation exposées dans ce rapport, citons la destruction et la saisie durable de biens civils, ainsi que les restrictions imposées aux déplacements des habitants.

Mettre en œuvre l’obligation de rendre des comptes

Le peuple d’Afghanistan endure des crimes relevant du droit international et de graves violations et atteintes aux droits humains, qui donnent rarement lieu à une quelconque obligation de rendre des comptes, que ce soit avant ou après août 2021. Du fait de l’absence d’infrastructures nationales crédibles, les preuves de ces crimes risquent fort de disparaître ou d’être détruites.

Amnesty International demande une nouvelle fois au Conseil des droits de l’homme de l’ONU de créer un mécanisme indépendant et international d’obligation de rendre des comptes pour l’Afghanistan, chargé de surveiller la situation et d’en rendre compte publiquement, ainsi que de collecter et de conserver les preuves en vue d’une future justice internationale. En outre, le mandat du rapporteur spécial de l’ONU sur la situation des droits de l’homme en Afghanistan doit être doté des ressources nécessaires et les États membres de l’ONU et la Cour pénale internationale (CPI) doivent se servir de ces éléments de preuve pour mener des enquêtes exhaustives sur toutes les parties au conflit.

« Il est temps de mettre fin à l’impunité et d’ouvrir clairement la voie à la justice, à la vérité et aux réparations : nous le devons aux victimes des atrocités commises au Panjshir, ainsi qu’à toutes les victimes des crimes commis par les talibans en Afghanistan, a déclaré Agnès Callamard.
« Il est essentiel de créer un mécanisme indépendant et international d’obligation de rendre des comptes, en mettant l’accent sur le recueil et la conservation des preuves, afin d’amener tous les auteurs présumés d’infractions pénales à rendre des comptes. »

Il est temps de mettre fin à l’impunité et d’ouvrir clairement la voie à la justice, à la vérité et aux réparations : nous le devons aux victimes des atrocités commises au Panjshir, ainsi qu’à toutes les victimes des crimes commis par les talibans en Afghanistan, a déclaré Agnès Callamard.

Méthodologie

Amnesty International s’est entretenue avec 29 personnes originaires du Panjshir aux fins de ce rapport. Toutes sans exception ont demandé à ce que leurs noms ne soient pas cités, craignant les représailles des talibans.

Amnesty International a mené à bien des investigations en open source sur des contenus disponibles sur les réseaux sociaux, et a analysé 61 photos et vidéos, certaines ayant été diffusées en ligne, d’autres lui ayant été transmises en privé par des témoins par transfert sécurisé. La plupart ont sans doute été filmées par des talibans.

Le 25 mai 2023, Amnesty International a demandé une réponse officielle aux talibans quant aux cas recensés dans ce rapport. Au moment de la publication de ce document, elle n’a toujours pas reçu de réponse.

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