D’après les informations disponibles, ces actions de protestation se sont déroulées largement de manière pacifique. À Bruxelles, cependant, les manifestations ont été interrompues par le recours à la force de la part de la police, tant dans le quartier de la Bourse qu’à la place du Luxembourg.
Amnesty International exige qu’une enquête soit menée quant à la décision qui a été prise de disperser les manifestations et à la force policière qui a été utilisée. L’organisation appelle parallèlement la police bruxelloise à respecter le droit international et le droit de manifester lors des prochaines manifestations, notamment celles prévues aujourd’hui, y compris l’obligation de faciliter les manifestations pacifiques et d’agir de manière à désamorcer les tensions dans le cadre du maintien de l’ordre.
Dispersion de la manifestation
À Bruxelles, les manifestations ont débuté vers 16 h 30 et ont duré jusqu’à environ 22 h 30, heure à laquelle elles ont été dispersées par la force. Au cours de la soirée, une partie des manifestant·es s’est déplacée vers trois lieux symboliques. La manifestation a débuté au ministère des Affaires étrangères, s’est ensuite déplacée vers le Parlement européen et une partie des manifestant·es s’est également rendue temporairement à la Bourse, où des manifestations contre le génocide à Gaza ont lieu tous les jours à 19 h.
Si un impressionnant dispositif policier a été déployé – avec des équipements antiémeute –, les différentes manifestations qui ont eu lieu à Bruxelles se sont déroulées, selon les personnes présentes, de manière pacifique. Il a néanmoins été décidé d’interrompre et de disperser les différentes actions de protestation.
À la place du Luxembourg, la manifestation a été interrompue et dispersée un peu avant 22 h 30. Vers 22 h, constatant la nervosité des policiers, des employé·es d’Amnesty International ont demandé à s’entretenir avec un responsable de la police. Au cours de la conversation qui s’est ensuivie, les employé·es d’Amnesty International ont souligné le caractère pacifique de la manifestation, ainsi que l’obligation de la police de faciliter les manifestations pacifiques.
Il a été répondu aux employé·es d’Amnesty International que la police exécutait des ordres, et que l’ordre de disperser la manifestation émanait du bourgmestre d’Ixelles. Selon le responsable de la police, cet ordre découlait du fait que la manifestation n’avait pas été autorisée et que, si elle n’était pas dispersée, elle « durerait toute la nuit ».
Aucune des deux raisons invoquées ne satisfait aux exigences minimales pour procéder à la dispersion d’une manifestation, et encore moins pour recourir à la force policière, indique Amnesty International.
« Il est en effet prévu par les règlements de police qu’une autorisation doit être délivrée par un·e bourgmestre pour qu’une manifestation ait lieu, mais c’est contraire au droit international. Quoi qu’il en soit, le non-respect de cette autorisation ne justifie en aucun cas la dispersion violente d’une manifestation pacifique. La légitimité de la décision de mettre fin à la manifestation place du Luxembourg est donc très discutable. La tâche première des forces de l’ordre lors de manifestations pacifiques est de veiller à ce que le droit de manifester puisse être exercé en toute sécurité et liberté », explique Carine Thibaut, directrice de la section belge francophone d’Amnesty International.
Selon des témoins, les personnes qui s’étaient jointes au rassemblement qui se tient quotidiennement à la Bourse ont été empêchées par la police de rejoindre la manifestation qui se tenait à la place du Luxembourg, après quoi la police s’est lancée à la poursuite de manifestant·es dans les rues environnantes. Pour empêcher des groupes de personnes de se rendre dans le Quartier européen, la police aurait par ailleurs eu recours à la force et fait usage de gaz lacrymogènes.
Depuis plusieurs mois, les personnes qui manifestent à la Bourse en soutien à la population palestinienne témoignent d’un recours à la force illégal ou excessif de la part de la police, de manifestations dispersées de manière arbitraire et d’arrestations.
« Même si des incidents isolés se sont produits avec certain·es manifestant·es, comme l’affirme aujourd’hui la police, cela ne justifie en aucun cas de considérer que la manifestation dans son ensemble a perdu son caractère pacifique, ni d’y mettre fin ou de la disperser », indique Carine Thibaut.
Recours à la force policière et à des armes
La police a fait usage de la force lors de son intervention. Des images circulant sur les réseaux sociaux montrent des policiers en tenue antiémeute donnant des coups de pied, assénant des coups avec des matraques et faisant usage de gaz lacrymogènes à l’encontre de manifestant·es qu’ils poursuivent, et ce, tant à la Bourse que dans la zone du Parlement européen. Il a également été fait usage d’un canon à eau à la place du Luxembourg.
« Les normes internationales sur l’usage de la force policière pour mettre fin à une manifestation sont claires : tout recours à la force par la police doit respecter les principes de légalité, de nécessité, de proportionnalité et de non-discrimination. Sur la base des éléments dont nous disposons aujourd’hui, il y a de sérieuses raisons de penser que le déploiement de toute cette force repose sur une décision illégitime de disperser une manifestation pacifique. Si c’est le cas, le recours à la force dont nous avons été témoins doit donc être considéré comme inutile et illégal, et doit donc faire l’objet d’une enquête. De plus, les moyens qui ont été utilisés semblent tout à fait disproportionnés », précise Carine Thibaut.
L’utilisation d’armes pour exécuter l’ordre – potentiellement illégitime – de disperser la manifestation constitue une autre source de préoccupation. Il n’est en effet pas conforme aux normes internationales portant sur le recours à ce type de force de faire usage de matraques pour disperser une manifestation pacifique.
Il est également contraire aux normes internationales auxquelles les agent·es de police doivent se conformer de faire usage de gaz poivre, de gaz lacrymogène ou de canons à eau à l’encontre de manifestant·es pacifiques qui, tout au plus, s’opposent passivement à un ordre de police, comme l’ont constaté des employé·es d’Amnesty International.
« Nous avons constaté le recours par la police à une force inutile et illégale. Sur la place du Luxembourg, la manifestation se déroulait pacifiquement lorsque la police a chargé et a fait usage d’un canon à eau. Nous avons notamment été témoins de coups, de l’utilisation de spray au poivre et de maîtrises violentes au sol, sans qu’aucune menace ne justifie ces agissements », expliquent les employé·es d’Amnesty International qui étaient présent·es à la place du Luxembourg.
Une tendance inquiétante
Les incidents survenus à Bruxelles hier ne sont pas les premiers auxquels des personnes désireuses de témoigner leur solidarité avec les victimes du génocide à Gaza sont confrontées. À plusieurs reprises, des manifestant·es ont en effet dû faire face à une démonstration de force de la part des autorités bruxelloises et ont été empêché·es d’exercer leur droit de manifester.
« Nous recevons depuis des mois des signalements faisant état de décisions arbitraires visant à disperser des manifestations, de recours à la force et même d’arrestations dans le cadre de manifestations propalestiniennes. Souvenons-nous particulièrement de la force à laquelle a recouru la police d’Uccle à l’encontre de manifestant·es devant l’ambassade d’Israël. Il s’agit d’une tendance très inquiétante.
« Depuis le début du génocide à Gaza, nous constatons des restrictions arbitraires du droit de manifester, telles que des limites géographiques au-delà desquelles les autorités locales ne tolèrent pas d’actions de protestation. Par ailleurs, il arrive souvent qu’un terme soit imposé à des manifestations en recourant à la force, apparemment sans raison légitime. Nous rappelons aux bourgmestres et à la police que leur rôle est de préserver et de garantir le droit de manifester, et non de le réprimer. »
Amnesty International souligne du reste que les situations problématiques constatées en Belgique s’inscrivent dans une tendance européenne plus large. Face à cette situation, l’organisation de défense des droits humains enjoint les autorités à se soucier de la manière dont le droit de manifester est bafoué, en particulier dans le cadre de manifestations contre le génocide perpétré par Israël à Gaza.
Le droit de manifester n’est pas une faveur
« Ce qui s’est passé hier ne doit en aucun cas se reproduire, bien au contraire : les manifestations pacifiques contre le génocide en cours à Gaza doivent être facilitées. Le droit de manifester n’est pas une faveur accordée par un bourgmestre, quel qu’il soit, mais un droit fondamental. »
« Nous demandons qu’une enquête soit ouverte en ce qui concerne les décisions qui ont été prises par les autorités bruxelloises et le comportement de la police. Il convient d’examiner à la fois la dispersion apparemment illégale d’une manifestation pacifique et l’utilisation de la force à cette occasion. Le choix qui a été fait de déployer massivement des forces de police en tenue antiémeute doit également entrer en ligne de compte. »
« De nouvelles manifestations sont prévues aujourd’hui et de nombreuses personnes continueront de se mobiliser tant que la communauté internationale laissera Israël agir en toute impunité. Les autorités et la police bruxelloises doivent de toute urgence repenser la façon dont elles appréhendent ces mouvements de protestation, mais elles doivent en tout cas au minimum veiller à remplir leurs obligations : faciliter les manifestations et garantir leur bon déroulement, sans restrictions illégales ni recours inutile à la force policière », conclut Carine Thibaut.
