La crise humanitaire en marge du conflit armé au Yémen ne fera qu’empirer si tous les États n’adoptent pas un embargo total sur les transferts d’armes.
Un conflit de plus en plus meurtrier
Les révoltes populaires qui ont éclaté au Yémen en 2011, alors que des soulèvements secouaient l’ensemble de la région, ont contraint le président Ali Abdullah Saleh à quitter le pouvoir après 33 ans, sur fond d’accusations de corruption et de mauvaise gestion et dans le contexte d’un conflit de longue date non résolu avec les Houthis, un groupe armé basé dans le nord du pays, dont les membres sont adeptes du zaïdisme, un courant de l’islam chiite.
Ali Abdullah Saleh a été remplacé par son vice-président, Abd Rabbu Mansour Hadi, ce qui a permis d’organiser la Conférence de dialogue national, un processus consultatif national de transition dont l’objectif était de résoudre les problèmes liés à la gestion, à la structure et à la réforme de l’État et de donner suite aux revendications formulées lors des manifestations. Après deux années de consultation, un projet de nouvelle carte fédérale a été présenté ; il divisait le Yémen en régions, sans tenir compte des doléances à caractère socio-économique ou régional concernant la répartition des ressources naturelles, les zones commerciales et agricoles, ainsi que l’accès aux ports. Il a reçu un accueil extrêmement réservé de la part de la population et a suscité une vive opposition des différentes factions, y compris les Houthis.
Les Houthis se sont appuyés sur le mécontentement général pour renforcer leur mainmise sur le gouvernorat de Saada et les zones environnantes du nord du Yémen. En septembre 2014, ils sont parvenus à étendre leur contrôle territorial en s’emparant d’un certain nombre de positions de l’armée et des forces de sécurité dans la capitale, Sanaa. L’alliance de circonstance nouvellement scellée avec l’ancien président, Ali Abdullah Saleh, contre qui ils s’étaient battus pendant des décennies, leur a facilité la tâche dans une certaine mesure.
Après la prise de Sanaa par les Houthis, au début de l’année 2015, le président Abd Rabbu Mansour Hadi et les membres de son gouvernement ont été obligés de fuir.
Le 25 mars 2015, une coalition d’États dirigée par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis est intervenue à la demande du président, en vue de réinstaller au pouvoir le gouvernement reconnu par la communauté internationale.
Cette opération, au cours de laquelle la coalition a lancé un raid aérien contre les forces houthies, a marqué le début d’un véritable conflit armé. Pendant les cinq années qui ont suivi, le conflit s’est étendu jusqu’à englober l’ensemble du territoire et les parties, dont un certain nombre de groupes armés soutenus par la coalition, se sont multipliées. Les Émirats arabes unis, par exemple, entraînent, financent et arment activement différents groupes depuis le deuxième semestre de 2015, favorisant ainsi la prolifération de milices qui ne sont pas soumises à l’obligation de rendre des comptes, comme les Forces de la ceinture de sécurité, les « Brigades des Géants » et les Forces d’élite.
En décembre 2017, les Houthis ont encore consolidé leur pouvoir après avoir assassiné leur allié, l’ancien président Ali Abdullah Saleh ; ils contrôlent toujours la plupart des centres urbains, y compris Sanaa.
Au bout de plus d’un an de combats intermittents à Hodeida et aux alentours, qui ont fait des centaines de victimes civiles, des pourparlers encouragés par les Nations unies se sont achevés en Suède à la fin de l’année 2018. Ils ont abouti à un accord sur plusieurs mesures destinées à favoriser la confiance mutuelle, parmi lesquelles un échange de prisonniers et un cessez-le-feu précaire à Hodeida.
Des violations manifestes des droits humains, dont certaines pourraient constituer des crimes de guerre, ont été commises et se poursuivent dans tout le pays. Plus de 233 000 personnes ont déjà été tué·e·s à la suite des combats et de la crise humanitaire, dont une majorité de civil·e·s et des milliers d’enfants. La population civile est prise en étau. La crise humanitaire imputable à l’homme a pris de l’ampleur : quelque 16,2 millions de personnes souffrent actuellement de l’insécurité alimentaire dans le pays.
Jusqu’à récemment, une grande partie du monde ignorait l’existence de ce violent conflit et n’entendait pratiquement pas parler de ses effets dévastateurs sur les personnes touchées. Depuis trois ans, cependant, le conflit est plus médiatisé et la pression monte pour toutes les parties, surtout suite à l’homicide du journaliste saoudien Jamal Khashoggi. Plusieurs pays comme les Pays-Bas, l’Allemagne, la Norvège, le Danemark, la Finlande, les États-Unis, l’Italie et la Suisse ont réagi sous la pression de l’opinion publique en suspendant partiellement ou totalement les ventes d’armes à l’Arabie saoudite, aux Émirats arabes unis et aux autres membres de la coalition.
« C’ÉTAIT COMME LE JUGEMENT DERNIER. IL Y AVAIT DES CADAVRES ET DES TÊTES DISPERSÉS PARTOUT, MANGÉS PAR LES FLAMMES ET ENFOUIS SOUS LES CENDRES. » Amal Sabri, touché par une frappe aérienne le 24 juillet 2015
- Un membre des forces pro-gouvernementales au Yemen @ STRINGER/AFP/Getty Images
- Un membre des forces pro-gouvernementales au Yemen @ STRINGER/AFP/Getty Images
« Nous sommes partis à cause des bombardements et de la guerre autour de nous. Ils tiraient des mortiers au-dessus de nos têtes. Chaque jour, des morts, des corps déchiquetés autour de nous, réduits en miettes. Pouvons-nous rester là-bas ? Nous avons dû fuir pour survivre. Il nous était impossible de vivre dans un tel chaos. »
Hassan, pêcheur de 26 ans, qui a fui le village de Qataba (district d’Al Khawkhah
- Un milicien du Popular Resistance Committee à Taiz ©AHMAD AL-BASHA/AFP/Getty Images
- Un milicien du Popular Resistance Committee à Taiz ©AHMAD AL-BASHA/AFP/Getty Images
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Je fais un donVentes d’armes à l’Arabie saoudite par la Région wallonne
Depuis 2015, la Wallonie a vraisemblablement fourni pour plus de 2,6 milliards d’euros d’armes à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis, les deux principaux membres de la coalition active dans la guerre au Yémen.
Malgré les nombreuses interpellations adressées par Amnesty International au gouvernement wallon, ce dernier continue à ne pas respecter ses engagements concernant l’octroi de licences d’exportation d’armes vers des pays qui violent le DIH ou le DIDH comme le royaume saoudien. Les transferts d’armes vers ces pays sont en effet interdits par le décret wallon relatif à l’importation, au transit et au transfert d’armes civiles, ainsi que par le Traité sur le commerce des armes ratifié par la Belgique en 2014. La Région wallonne viole donc outrageusement sa propre législation ainsi que ses engagements internationaux.
La section belge francophone d’Amnesty International a lancé une pétition pour dénoncer l’immoralité de la Wallonie et demander au Ministre-président wallon de suspendre les ventes d’armes à l’Arabie saoudite. 75.000 signatures ont déjà été remises à Elio Di Rupo le 27 novembre 2019 par des militants d’Amnesty International.
En parallèle, la Ligue des droits de l’homme, la CNPAD et Vredesactie, soutenues par Amnesty International, ont introduit devant le Conseil d’État un recours en extrême urgence pour suspendre des licences accordées par le Ministre-président wallon en décembre 2019. Ainsi, le 9 mars 2019, le Conseil d’État suspendait 17 licences. Le Conseil d’État soulignait notamment le risque que les armes soient utilisées à des fins non désirées dans le cadre de la guerre au Yémen.
La décision du Conseil d’Etat soulignait par ailleurs que la Commission d’avis, consultée par le gouvernement wallon au sujet des licences d’exportation d’armes vers l’Arabie saoudite, avait rendu plusieurs avis défavorables sur le respect du droit wallon, particulièrement en ce qui concerne le respect des droits humains et du droit international humanitaire.
Depuis, la Région wallonne a plusieurs fois octroyé des licences similaires, portant sur le même matériel, à destination du même État et au bénéfice de la même entreprise. En mars 2021, le Conseil d’État suspendait de nouveau plusieurs licences d’armes à destination de l’Arabie saoudite.
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Le lourd tribut payé par les civil-e-s
Les civils sont les premiers touchés par la violence du conflit au Yémen. Non seulement celui-ci a fait de nombreux morts et blessés parmi eux, mais il a aussi aggravé la crise humanitaire qui était déjà profonde après des années de pauvreté et de mauvaise gestion de l’État, entraînant une grande souffrance de la population.
Toutes les parties au conflit ont entravé l’accès à l’aide humanitaire. Selon les Nations unies, environ 80 % de la population du Yémen, en proie à des problèmes d’accès aux soins médicaux ou à l’eau potable, avait besoin en 2020 d’une protection et d’une aide humanitaire pour survivre, et 20 millions de personnes étaient en situation d’insécurité alimentaire.
Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA), 4 millions de yéménites ont dû être déplacés, 12,4 millions d’enfants Yéménites sont dans le besoin et 2,3 millions d’enfants souffrent de malnutrition aiguë.
Les conditions économiques difficiles n’ont fait qu’aggraver une crise humanitaire déjà catastrophique. Face à l’inflation du riyal yéménite et à l’impossibilité pour le gouvernement de payer les salaires des fonctionnaires, une vague de manifestations a balayé tout le sud du pays en septembre 2018 ; les manifestant·e·s protestaient contre la corruption et tenaient le gouvernement pour responsable de la dégradation de l’économie, à cause de laquelle la grande majorité des Yéménites ne sont plus en mesure d’acheter des produits de première nécessité.
Entre-temps, les combats menés par intermittence depuis la fin de l’année 2017 en vue du contrôle de Hodeida ont fait des centaines de victimes civiles ; selon les Nations unies, près d’un million de personnes ont fui le gouvernorat pendant l’année. Ces personnes ont évoqué les routes minées, les postes de contrôle houthis et les dangers disséminés le long du chemin : ce qui aurait dû être un voyage de six heures jusqu’à Aden est devenu pour certains un calvaire de trois jours.
La crise liée à la pandémie de la Covid-19 empire les conditions sanitaires déjà catastrophiques au Yémen, pays avec un système de santé déjà mal en point, dont seuls 50 % des hôpitaux et des centres médicaux fonctionnaient encore par rapport à 2016. La guerre empêche les Yéménites un accès aux soins et produits de première nécessité tels que l’eau potable, le savon, les médicaments et les masques. Près d’un million de personnes pourraient avoir contracté le virus dans l’ensemble du Yémen, avec un taux de mortalité de 25 %, soit cinq fois plus élevé que la moyenne mondiale.
- Yémen
« C’était un voyage très difficile. Dieu sait que nous avons souffert. Les missiles pleuvaient sur nos têtes. Quelqu’un nous arrêtait pour nous avertir de la présence de projectiles, puis un autre nous arrêtait pour nous avertir de la présence de mines, et nous ne faisions que crier. Depuis le moment où nous sommes partis jusqu’à notre arrivée, nous avons crié et pleuré. Nous avons vu des cadavres et des corps déchiquetés. Nous ne pensions pas survivre. Nous étions persuadés que nous allions mourir… [mais] à la fin, nous espérions mourir plutôt que d’endurer ces épreuves. »
Une jeune femme de 25 ans, venue de Qataba
"Mon fils était né depuis 14 heures quand il est mort [...] les médecins nous ont dit qu’il avait besoin de soins intensifs et d’oxygène. Nous l’avons amené à tous les hôpitaux ouverts, mais il est mort. J’aurais aimé l’emmener hors de la ville, mais on ne pouvait pas sortir." Mohamed, père d’un nouveau-né qui est mort en raison des pénuries d’oxygène à Taizz en décembre 2015
- © Amnesty International
Le groupe armé houthi et les forces qui lui sont alliées ont par ailleurs mis en danger la vie de milliers de civil-e-s à Taizz, ville située dans le sud du Yémen, en limitant l’acheminement de fournitures médicales essentielles et de denrées alimentaires.
Les autorités houthies de facto ont aussi fait obstruction à la circulation de l’aide humanitaire sur le territoire.
Les travailleurs humanitaires accusent aussi de restreindre de manière excessive les déplacements de biens et de personnel, et de contraindre certains de leurs programmes d’aide à fermer.
LE COÛT HUMAIN DU CONFLIT
Qui combat qui ?
D’un côté le groupe armé houthi - souvent désigné comme les « Comités populaires » - qui est soutenu par certaines unités de l’armée et des groupes armés fidèles à l’ancien président Ali Abdullah Saleh.
Dans le camp opposé, la coalition militaire menée par l’Arabie saoudite et soutenue par le président Abd Rabbu Mansour Hadi, qui a lancé des attaques aériennes et mené des opérations au sol au Yémen. Cette coalition regroupe les Émirats arabes unis, Bahreïn, le Koweït, le Qatar, la Jordanie et le Soudan. Les États-Unis et le Royaume-Uni ont fourni des renseignements et un soutien logistique clés à la coalition.
"La force de l’explosion a fait voler ma soeur et ma mère à cinq mètres, les tuant sur le coup. Le corps de Hani n’a été dégagé qu’après douze heures. Mon père Faisal a été l’unique survivant." Leila Hayal a perdu sa mère et quatre frères et soeurs lorsqu’une coalition aérienne a détruit leur maison à Taizz, durant la nuit du 16 juin 2015
La coalition est alliée à des groupes armés anti-houthis opérant au sol au Yémen, souvent appelés « Comités de résistance populaire ». Elle est en outre soutenue par des unités des forces armées fidèles au président Abd Rabbu Mansour Hadi et par plusieurs autres groupes.
L’Arabie saoudite continue de pilonner le Yémen et la Région wallonne de lui vendre des armes. Empêchez ce commerce immoral
SIGNEZ EN LIGNE« Nous étions en route pour Umra [un lieu de pèlerinage] lorsque nous avons été stoppés à un point de contrôle. Il [l’homme en faction] a demandé nos cartes d’identité, et au bout de quelques minutes la frappe a eu lieu. Elle a atterri entre notre bus et un autre à côté de nous. Tout à coup, nous nous sommes retrouvés au milieu d’une explosion. Il y avait des victimes partout, dont ma mère qui a péri et l’un de nos voisins. Certaines personnes avaient perdu leurs mains, d’autres leurs jambes. Tout le monde était blessé. »
Un témoin de Hodeida, qui s’est entretenu avec Amnesty International fin 2018
- Des hommes brandissent des armes lors d’une manifestation en 2016 sur la place de la capitale yéménite où en 2011 on chantait « La révolution continuera » ©Rawan Shaif
- Des hommes brandissent des armes lors d’une manifestation en 2016 sur la place de la capitale yéménite où en 2011 on chantait « La révolution continuera » ©Rawan Shaif
Des atteintes aux droits humains de part et d’autre
Toutes les parties au conflit au Yémen ont commis de graves violations du droit international humanitaire. Les forces houthis, qui contrôlent de grandes parties du pays, ont bombardé sans discrimination des quartiers résidentiels au Yémen et lancé des missiles en Arabie saoudite. La coalition dirigée par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis (EAU), qui soutenait le gouvernement yéménite internationalement reconnu, a continué de bombarder des infrastructures civiles et de mener des attaques aveugles, tuant et blessant des centaines de civils.
Depuis 2015, la coalition que dirigent l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis a procédé à un nombre considérable de frappes aériennes disproportionnées et menées sans discrimination contre des civils et des infrastructures civiles, qui ont touché logements, écoles, hôpitaux, marchés, mosquées, mariages et enterrements. Amnesty International a rassemblé des informations sur 41 frappes aériennes de la coalition ayant, semble-t-il, enfreint le droit international humanitaire, et dont un grand nombre constituent des crimes de guerre. Ces frappes ont fait 518 morts et 433 blessés parmi la population civile.
Dans un cas analysé par Amnesty International, une bombe à guidage laser de type Raytheon Paveway fabriquée aux États-Unis a frappé le 25 août 2017 des habitations civiles dans la plus grande ville du Yémen, Sanaa. Buthaina, cinq ans, a été la seule survivante de sa famille ; elle a perdu ses deux parents et ses cinq frères et sœurs, âgés de deux à 10 ans.
La coalition a aussi utilisé des armes à sous-munitions, armes explosives meurtrières interdites au titre du droit international. Les armes à sous-munitions libèrent des dizaines, voire des centaines, de « petites bombes » qui, souvent, n’explosent pas immédiatement et peuvent causer de terribles blessures longtemps après l’attaque initiale. Amnesty International a rassemblé des informations sur l’utilisation par la coalition de six types d’armes à sous-munitions, notamment de fabrication brésilienne, américaine et britannique dans les gouvernorats de Sanaa, Hajjah, Amran et Saada.
Des armes imprécises sont employées quotidiennement dans des zones résidentielles, faisant des victimes civiles ; ces attaques menées sans discrimination bafouent les lois de la guerre.
Des groupes armés sont également accusés de diverses atteintes aux droits humains, notamment de l’utilisation d’armes imprécises dans des zones résidentielles. Depuis 2015, Amnesty International étudie l’incidence du conflit armé prolongé à Taïz, y compris le pilonnage aveugle par les forces houthis et d’autres milices, qui a fait des centaines de victimes.
De même, en mai 2018, l’organisation s’est entretenue avec 34 civils qui étaient arrivés à Aden après avoir fui les affrontements dans plusieurs villes et villages du gouvernorat de Hodeida. Ils ont parlé de terrifiantes attaques au mortier, de frappes aériennes, de mines terrestres et d’autres dangers liés à la nouvelle offensive sur Hodeida. En outre, les forces houthis ont délibérément militarisé un hôpital en activité à Hodeida en postant des combattants sur le toit ; elles ont ainsi mis en péril la vie des nombreux civils qui se trouvaient à l’intérieur.
En dépit des opérations militaires, toutes les parties au conflit ont contribué activement à la crise humanitaire au Yémen. La coalition a imposé des restrictions à l’importation des biens de première nécessité et de l’aide essentielle, notamment des denrées alimentaires, du combustible et du matériel médical, tandis que les autorités houthis de facto ont fait obstruction à la circulation de l’aide humanitaire sur le territoire. Ces restrictions ont entravé l’accès des civils yéménites à des biens et services de base et indispensables, comme la nourriture et l’eau potable. Elles ont eu une incidence extrêmement négative sur les soins de santé, en partie parce que la pénurie de combustible compromettait le fonctionnement des hôpitaux.
La poursuite du conflit a engendré une situation de vide politique et d’insécurité, et créé un havre pour les milices et les groupes armés, soutenus par des gouvernements étrangers. Une enquête menée par Amnesty International a révélé que des enfants, dont certains n’avaient que huit ans, avaient été violés dans la ville de Taïz
"Il y a eu un moment de silence, et j’en ai profité pour secourir ma famille. C’est à ce moment-là que la troisième bombe a atterrit. L’électricité s’est coupée, j’ai essayé d’aller à l’intérieur de la maison, pour chercher une torche et ma famille. Je criais à la recherche de mes filles, je pouvais en entendre d’autres crier pour chercher leurs familles. Mais tout ce que j’ai vu, c’est le corps de ma femme et de mes filles ensanglantés." Qaed, 55 ans, a perdu la plupart de sa famille dans une frappe aérienne à Mokha, le 24 juillet 2015
. Les agresseurs présumés, parmi lesquels figurent des membres de milices soutenues par la coalition, n’ont pas encore été traduits en justice.
La coalition dirigée par l’Arabie saoudite a elle aussi employé des bombes à sous-munitions, des armes meurtrières interdites par le droit international. Lors de leur propulsion, les bombes à sous-munitions libèrent des dizaines - parfois des centaines - de « petites bombes » qui, souvent, n’explosent pas immédiatement et peuvent causer de terribles blessures longtemps après l’attaque initiale. Amnesty International a recensé l’utilisation par la coalition d’au moins quatre types différents d’armes à sous-munitions, notamment des modèles de fabrication américaine, britannique et brésilienne.
"Je me tenais debout dans la cuisine lorsque j’ai entendu l’explosion. Tout d’un coup, j’ai ressenti quelque chose dans mon cou... Je suis maintenant quadriplégique, paralysé à partir du cou jusqu’aux pieds. Cette nuit, un shrapnel est entré par mon cou et est ressorti à ma septième vertèbre. Nous venions tout juste d’emménager dans notre maison, on pensait être en sécurité. Qui prendra soin de ma famille maintenant ?" Anhar Najeeb, une mère de 55 ans de deux enfants, a été sévèrement blessée lorsque des roquettes ont été tirées sur la zone largement peuplée de Aden, le 1er juillet 2015
Amnesty International a en outre enquêté sur 30 attaques au sol - menées par les forces pro et anti-Houthis - dans les villes d’Aden et Taizz, n’ayant fait aucune distinction entre combattants et civil-e-s, et ayant coûté la vie à au moins 68 civil-e-s, des femmes et des enfants pour la plupart. Des combattants des deux camps ont également utilisé des armes imprécises, tels que des systèmes d’artillerie, des mortiers ou des roquettes Grad, contre des zones civiles densément peuplées et opèrent au milieu de quartiers résidentiels, lançant des attaques depuis des logements, des écoles et des hôpitaux ou à proximité. Toutes ces attaques vont à l’encontre du droit international humanitaire et peuvent constituer des crimes de guerre.
Le groupe armé Houthi, soutenu par les forces de sécurité de l’État, a mené une vague d’arrestations visant les opposants, notamment des défenseurs des droits humains, des journalistes et des académiciens, les faisant taire l’arme au poing ou en les faisant disparaître le tout obéissant à un programme effrayant d’anéantissement de toute dissidence.
Les forces anti-Houthis alliées au Président yéménite Hadi et à la coalition ont aussi mené des campagnes d’intimidation et de harcèlement contre du personnel hospitalier, allant jusqu’à mettre en danger les civils en positionnant des soldats et des infrastructures militaires près d’hôpitaux.
Détention
Toutes les parties au conflit se sont livrées à des pratiques illégales, comme la détention arbitraire, la disparition forcée, la torture et d’autres formes de mauvais traitements.
Les forces houthis ont arrêté et détenu arbitrairement des détracteurs et des opposants, ainsi que des journalistes, des défenseur·e·s des droits humains et des membres de la communauté baha’i, dont beaucoup ont subi des procès iniques, une détention au secret ou encore une disparition forcée. Amnesty International a recueilli des informations sur le cas de 10 journalistes détenus arbitrairement par les Houthis, sans inculpation ni jugement, depuis 2015. Détenus au secret, ils ont été torturés et n’ont que peu de contacts avec leur avocat et leur famille, et leur accès aux soins médicaux est limité. En février 2019, les autorités houthis de facto ont accusé ces journalistes d’infractions passibles de la peine de mort.
En avril 2020, le Tribunal pénal spécial mis en place par les Houthis a condamné à mort quatre journalistes, à l’issue d’un procès entaché de graves irrégularités et fondé sur des éléments à charge forgés de toutes pièces. Le même mois, ce tribunal a annoncé la libération de six autres journalistes, dont Salah al Qaedi, qui restaient néanmoins assignés à résidence pour trois ans. Ces dix journalistes ont passé cinq ans en détention avant d’être inculpés et jugés.
Le gouvernement yéménite reconnu par la communauté internationale a harcelé, menacé et détenu arbitrairement des défenseur·e·s des droits humains et d’autres militant·e·s. Dans le sud du pays, les forces yéménites soutenues par les Émirats arabes unis ont mené une campagne de détentions arbitraires et de disparitions forcées.
À Aden, le Conseil de transition du Sud, soutenu par les Émirats arabes unis, entassait les détenu·e·s dans un bâtiment en tôle et dans une cave en sous-sol, dans le camp d’Al Jala. L’organisation Mwatana for Human Rights a recensé au moins 13 cas de détention arbitraire dans le camp d’Al Jala et 17 cas de torture entre mai 2016 et avril 2020.
En mai 2018, Amnesty International a enquêté au Yémen sur les cas de 51 hommes détenus dans un réseau de prisons secrètes par les Émirats arabes unis et les forces yéménites, qui agissent sans que leur propre gouvernement leur en ait donné l’ordre. Ces affaires comportent des violations manifestes, notamment des disparitions forcées, des actes de torture et d’autres mauvais traitements s’apparentant à des crimes de guerre.
Les armes qui alimentent la crise
Depuis le début du conflit, un consortium d’États a fourni aux membres de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis du matériel militaire d’une valeur de plus de 15 milliards de dollars des États-Unis. Le principal destinataire a été l’Arabie saoudite mais des pays occidentaux ont également approvisionné les Émirats arabes unis en navires de guerre, avions de combat, chars, véhicules blindés, armes légères, pièces détachées et munitions, pour un montant total de plus de 3,5 milliards de dollars des États-Unis.
Malgré les éléments accablants qui prouvent que ces armes ont servi à commettre des crimes de guerre et d’autres graves atteintes au Yémen, plusieurs pays, parmi lesquels les États-Unis, le Royaume-Uni, la France et d’autres pays européens, continuent de fournir des armes aux membres de la coalition, faisant ainsi fi de leurs obligations au regard du Traité sur le commerce des armes, du droit européen et de leur législation nationale.
Une enquête menée par Amnesty International à partir d’informations disponibles en libre accès a mis en évidence un danger croissant dans le conflit au Yémen du fait que les Émirats arabes unis équipent des milices avec du matériel de guerre sophistiqué sans se soucier des conséquences. Elle montre que les Émirats arabes unis sont devenus un fournisseur majeur de véhicules blindés, de mortiers, de fusils, de pistolets et de mitrailleuses, qui sont vendus illégalement à des milices agissant en dehors de tout contrôle et accusées de crimes de guerre et d’autres graves exactions.
Bien que les Émirats arabes unis aient annoncé avoir achevé le retrait graduel de leurs forces du Yémen. Ils ont cependant continué de fournir illégalement des armes et du matériel militaire à des milices opérant dans le pays et ont effectué des frappes aériennes.
Seuls quelques pays ont cessé de vendre et de transférer des armes à l’Arabie saoudite, aux Émirats arabes unis et aux autres membres de la coalition, notamment les Pays-Bas, la Norvège, le Danemark, la Finlande et la Suisse.
Amnesty International exhorte tous les États à veiller à ce qu’aucune partie au conflit au Yémen ne reçoive – directement ou indirectement – des armes, des munitions ou des équipements ou technologies militaires susceptibles d’être utilisés dans le conflit, tant que perdurent ces graves violations. Ces restrictions doivent aussi s’appliquer au soutien logistique et financier pour de tels transferts.
- ©FAYEZ NURELDINE/AFP/Getty Images
« Les flux d’armes irresponsables et illégaux à destination des parties au conflit au Yémen contribuent directement à des souffrances civiles à très grande échelle. Il est temps que les dirigeants mondiaux cessent de faire primer leurs intérêts économiques sur le reste » - James Lynch, d’Amnesty International.