Les récents combats qui opposent les troupes du gouvernement aux forces de l’opposition dans l’État d’Unity, au Soudan du Sud, exposent une nouvelle fois les civils et menacent l’accord chancelant de cessation des hostilités signé au mois de janvier. Début août, les membres d’une délégation du Conseil de sécurité de l’ONU envoyée au Soudan du Sud auraient averti que les belligérants continuent de se procurer des armes. Elizabeth Deng et Geoffrey L. Duke, membres d’Amnesty International et du South Sudan Action Network on Small Arms (SSANSA, Réseau d’action sur les armes légères au Soudan du Sud) expliquent pourquoi il faut faire d’un embargo sur les armes une priorité.
Pourquoi faut-il un embargo sur les armes au Soudan du Sud ?
Les armes foisonnent au Soudan du Sud et des milliers de personnes sont mortes, alors que les forces gouvernementales et les forces de l’opposition commettent des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et de graves violations des droits humains.
Depuis le début des combats en décembre 2013, des personnes qui s’étaient réfugiées dans des hôpitaux et des lieux de culte ont été tuées. Un million et demi de personnes ont été contraintes de fuir leur foyer, dont plus de 400 000 vers les pays voisins.
Les affrontements impliquent généralement l’utilisation d’armes légères et de petit calibre, mais un large éventail d’armes conventionnelles et d’équipements militaires est en circulation. Un embargo permettrait de bloquer l’afflux d’armes qui se retrouvent entre les mains des forces du gouvernement et de l’opposition et contribuerait à prévenir de nouvelles atrocités.
D’où proviennent ces armes ?
Les armes affluent au Soudan du Sud en provenance de divers pays. Au cours des dernières années, d’importantes cargaisons d’armes traditionnelles et de munitions ont été importées d’Ukraine. Récemment, Amnesty International a pu confirmer qu’en juin 2014, NORINCO, entreprise publique chinoise qui fabrique des articles de défense, a livré au gouvernement du Soudan du Sud plus de 1 000 tonnes d’armes légères et de petit calibre, pour une valeur de 28 millions d’euros. Cette cargaison incluait des lance-roquettes, des milliers de fusils automatiques et de lance-grenades, 20 000 grenades, des centaines de pistolets et de mitrailleuses, et plusieurs millions de cartouches.
En outre, selon le Small Arms Survey (SAS), les forces de l’opposition ont probablement reçu des munitions de groupes soudanais ou étrangers depuis le début du conflit. Le SAS a notamment analysé des munitions retrouvées après le massacre de 200 personnes à la mosquée de Bentiu, dans l’État d’Unity, et a conclu que certaines présentaient des marques prouvant qu’elles avaient été fabriquées au Soudan en 2014, après le début de la guerre civile.
Les armes légères et les munitions illicites importées clandestinement au Soudan du Sud ou revendues dans le pays par des groupes non autorisés sont un autre problème, tout comme le détournement d’armes vers des groupes non autorisés. Ce phénomène est aggravé par la corruption généralisée, la mauvaise gestion des stocks officiels et les vols.
Le gouvernement n’a-t-il pas le droit d’acheter des armes ?
Les gouvernements peuvent vendre, acheter et posséder légalement des armes à des fins d’application des lois et de sécurité nationale. Cependant, ils sont tenus de respecter le droit international humanitaire et relatif aux droits humains. Nous demandons l’instauration d’un embargo sur les armes, parce que les forces armées du Soudan du Sud ont commis de graves violations des droits humains. Les armes et munitions supplémentaires serviront probablement à perpétrer et faciliter de nouvelles violations du droit international humanitaire et relatif aux droits humains. L’embargo doit être maintenu jusqu’à la mise en place de mesures visant à protéger les civils.
La communauté internationale soutient-elle un embargo sur les armes ?
Les États-Unis ont suspendu toute aide militaire à destination du Soudan du Sud peu après les affrontements qui ont éclaté en décembre 2013. L’Union européenne maintient l’embargo sur les armes qui a été imposé au Soudan en 1994, et étendu au Soudan du Sud en 2011.
L’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD), l’Union africaine et le Conseil de sécurité des Nations unies ont menacé les parties au conflit de sanctions – notamment d’un embargo total sur les armes – si elles ne s’engageaient pas réellement dans les négociations de paix. Cependant, toute initiative du Conseil de sécurité visant à imposer cet embargo nécessiterait le soutien de la Chine, principal fournisseur d’armes du Soudan du Sud, mais aussi du Soudan, depuis quelques années.
Au mois de mai, le Conseil de sécurité s’est dit préoccupé par la menace que font planer sur la paix et la sécurité le transfert illicite, l’accumulation déstabilisante et la mauvaise utilisation des armes légères. Dans son rapport sur le Soudan du Sud soumis en juillet 2014 au Conseil de sécurité, le secrétaire général Ban Ki Moon a appelé toutes les parties au conflit à « mettre fin à la mobilisation de leurs troupes, aux achats d’armes et aux activités politiques qui ont pour but de les renforcer face à l’autre partie ».
Pourquoi demandez-vous à l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) de se mobiliser en faveur d’un embargo sur les armes ?
En tant qu’organisme régional en charge de la réponse internationale au conflit, l’IGAD doit publier un communiqué instaurant un embargo sur les armes à destination du Soudan du Sud par ses États membres. L’IGAD doit ensuite recommander au Conseil de sécurité d’adopter une résolution déclarant un embargo total et obligatoire sur les armes à destination du Soudan du Sud.
L’appui des États membres de l’IGAD, notamment des États voisins du Soudan du Sud, permettrait d’assurer un soutien politique plus large pour imposer cet embargo et l’appliquer efficacement. Les pays voisins sont bien placés pour surveiller sa mise en place et rendre compte des risques ou des violations transfrontalières.
Les embargos sur les armes sont-ils efficaces ? Un tel embargo serait-il respecté ?
Un embargo sur les armes fonctionne s’il bénéficie d’un large soutien politique, et s’il est bien formulé et bien appliqué. Son succès dépend également de son caractère global et de l’adoption de mesures par les États concernés pour sa mise en place efficace.
Pour qu’il s’avère efficace, il faut que les gouvernements de la région et les principaux États de la communauté internationale, notamment la Chine, qui a fourni de grandes cargaisons d’armes au Soudan du Sud cette année, fassent preuve de volonté et de consensus.
En outre, il faut des mesures adaptées aux difficultés particulières, comme la longueur et la porosité des frontières du Soudan du Sud. Cet État est frontalier de six pays : le Soudan, l’Ouganda, le Kenya, l’Éthiopie, la République centrafricaine et la République démocratique du Congo (RDC). Ces frontières offriraient au gouvernement du Soudan du Sud et aux forces d’opposition la possibilité de contourner un embargo sur les armes.
La frontière la plus longue, très poreuse et difficile à sécuriser, est celle avec le Soudan. Fabricant d’armes, ce pays en fournit au Soudan du Sud et abrite de nombreux groupes armés et milices.
Il importe de ne pas oublier qu’il faut généralement du temps pour qu’un embargo sur les armes ait un impact sur le terrain. Les armes et les munitions foisonnent déjà au Soudan du Sud, suffisamment sans doute pour alimenter le conflit pendant quelques temps.