Cette année est celle où les différents États parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques vont devoir s’accorder sur un nouveau montant pour le financement climat. Un financement climat qui doit permettre aux pays du Sud global de financer leur transition énergétique et de sortir des énergies fossiles tout en finançant une nécessaire adaptation aux événements météorologiques extrêmes. En effet, le premier objectif financier arrive à échéance en 2025. Défini lors de la COP de Copenhague en 2009, le montant annuel de 100 milliards de dollars par an fut consacré dans le cadre de l’Accord de Paris en 2015.
Un financement climat défaillant depuis des années
Or, cet objectif, quasi arrivé à son terme, n’a jamais été atteint d’après les derniers chiffres disponibles [1]. Et ce n’est pas le seul problème. Bien que le montant accordé ait augmenté au fil des années, il y a beaucoup à redire sur la qualité des fonds accordés. De nombreux prêts font partie de ce financement. On estime ainsi que seul un quart du financement accordé est constitué de subventions, les ¾ restants sont eux constitués de prêts [2]. Des prêts qui ont entre autres pour conséquence de générer une crise de la dette dans de nombreux pays du Sud. Ainsi, ces États se sont retrouvés dans l’obligation de pratiquer des politiques d’austérité qui limitent l’accès à des services essentiels comme l’éducation ou la santé, mettant ainsi en difficulté pour des pans de leurs populations la jouissance de droits essentiels.
Aboutir à un accord lors de la 29e édition de la COP sera d’autant plus ardu que la méfiance règne
Une sacrée ironie de l’histoire, car ce financement climat est là pour compenser une injustice historique et toujours actuelle. Les pays qui ont émis le moins de gaz à effet de serre sont en effet les pays qui souffrent le plus du dérèglement climatique. C’est un peu comme si vous étiez responsables d’un dégât des eaux chez votre voisin et que, au lieu de rembourser les dégâts, vous lui proposiez un prêt qu’il vous rembourserait avec intérêt.
À Bakou, il faudra donc s’entendre sur un nouveau chiffre dans un contexte où les événements climatiques extrêmes se multiplient et s’aggravent. Rien que les derniers mois ont été malheureusement riches en drames de cet ordre. Pensons notamment à l’ouragan Milton aux États-Unis, aux récentes inondations en Espagne, aux pluies torrentielles à La Mecque, en Arabie saoudite ou encore aux incendies de forêt sans précédent en Amérique du Sud.
Aboutir à un accord lors de la 29e édition de la COP sera d’autant plus ardu que la méfiance règne [3] entre les pays et que le financement climat fut toujours source de malentendus [4]. Mais on ne peut se permettre d’en rester là, l’absence actuelle de progrès sur cette question est choquante.
Une ambition à 1000 milliards de dollars par an, seule à même de répondre aux besoins
Un chiffre circule avec insistance : celui de 1000 milliards. En effet, il faudra pour le financement climatique 1000 milliards de dollars par an, dix fois plus que le montant défini dans l’Accord de Paris il y a 9 ans. À quoi correspond ce montant de 1000 milliards de dollars ?
Tout d’abord, il correspond aux besoins évalués par le comité d’experts de haut niveau qui fut mandaté lors de la COP27 pour « évaluer les besoins pour les pays en développement et les marchés émergents à partir de 2030 » [5]. Dans un premier temps, ce comité a estimé que le besoin financier global s’élève à 2400 milliards de dollars. Une somme qui peut sembler à première vue énorme d’autant qu’elle est annuelle. Allons plus loin. Ce montant doit être compris comme la somme des investissements nécessaires pour respecter l’Accord de Paris : rester en deçà du seuil critique de 1,5 degré voire 2 degrés. Cela inclut tant les investissements nécessaires pour réduire les émissions de gaz à effet de serre que les moyens pour s’adapter au dérèglement du climat. Le comité d’experts de haut niveau a par ailleurs inclus dans ce calcul les montants nécessaires pour compenser les pertes et dommages, c’est-à-dire pour compenser les dégâts inévitables quand il n’est guère plus possible de s’adapter.
Pour parvenir à réunir cette somme, le rapport suggère que les États recourent à des régulations visant à rediriger les flux financiers qui continuent d’être investis dans des activités néfastes pour le climat. Ce premier mécanisme représenterait 1 400 milliards de dollars. Quant aux 1000 milliards restant, ils devront venir de la finance climatique internationale – et ce, afin de soutenir les pays qui n’ont pas causé la crise climatique. Afin de répondre à la hauteur des besoins et soutenir les pays à bas revenu, la finance climatique mondiale se doit donc d’atteindre 1000 milliards de dollars par an. Le chiffre est posé et soutenu par le mouvement international pour la justice climatique, dont fait partie Amnesty International.
1000 milliards de dollars, c’est un chiffre qui – à première vue – peut paraître difficile à cerner. Cette somme équivaut par exemple à la fortune qu’aurait Elon Musk en 2027 – actuellement, il possède 237 milliards de dollars [6]. Pour se faire une idée encore plus précise, précisons que cette somme représente quatre fois les subsides publics alloués annuellement dans le monde aux énergies fossiles [7], des énergies responsables du déraillement de notre climat. En décidant de réaffecter les subsides actuellement dédiés aux énergies fossiles à la transition de l’économie, on ferait ainsi devoir de responsabilité et solidarité. Une dernière comparaison pour la route : cela correspond également à un peu moins de la moitié des dépenses militaires [8] au niveau mondial pour l’année 2023.
Un nécessaire équilibre entre réduction des émissions de gaz à effet de serre, adaptation et pertes et dommages
Depuis la décision historique de la COP27 en Égypte de créer un fonds pour les pertes et dommages, on piétine sur le montant à lui allouer. Et la dernière COP fut décevante de ce point de vue. En effet, les montants promis permettent à peine de mettre sur pied le fonds et de le faire fonctionner [9] et donc, rien pour les victimes. Une déception amère qu’il faut urgemment régler à la COP29. En effet, il est des zones où l’adaptation n’est plus de mise : que l’on pense seulement aux terres qui sont soumises à l’élévation du niveau de la mer ou aux sécheresses qui rendent toute agriculture impossible. Il en va de même pour celles et ceux qui perdent tout dans un cyclone. Ce fonds est là pour répondre à des besoins criants.
Il en va de même pour l’adaptation qui a toujours été le parent pauvre de la finance climat [10]. En effet, au cours des dernières années, seule une partie limitée des fonds du financement climat ont été alloués aux mesures d’adaptation. Ainsi, l’ONG Oxfam estime qu’à peine 33 % des fonds publics du financement climat ont servi à financer des mesures d’adaptation [11]. Les pays du Sud veulent revoir cette répartition et obtenir un meilleur équilibre entre atténuation et adaptation, en vue de financer dans le futur des projets qui permettent de mieux s’adapter.
La Belgique a un rôle à jouer pour la réussite de la COP29 ; les affaires courantes au niveau fédéral comme au niveau régional bruxellois ne peuvent servir d’excuse
Quant aux pertes et dommages, elles ont été les grandes oubliées du financement climat. Pendant des années, les pertes et dommages n’ont reçu aucun financement, ne faisant pas partie de ce que l’on entendait par financement climat. Les pays du Sud attendent de cette COP un engagement financier plus important sur ce sujet également et désirent voir ce financement être intégré au nouvel objectif financier mondial. Ce sera à n’en pas douter une autre pomme de discorde.
Il est important de rappeler à ce stade que les moyens existent. Souvenons-nous ainsi des 16 000 milliards de dollars mobilisés pour lutter contre le Covid. La question centrale est celle du courage politique des pays responsables historiquement des émissions de gaz à effet de serre, ainsi que des pays du G20. Une responsabilité qui leur incombe face à une crise climatique qui menace la jouissance des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels des générations actuelles et futures et, en fin de compte, l’avenir de l’humanité. Le statu quo ne peut être de mise ; il serait synonyme de plus de morts, d’une augmentation du nombre de personnes forcées de migrer, ainsi que de celui d’individus démunis de moyens de subsistance.
La Belgique a un rôle à jouer pour la réussite de la COP29 ; les affaires courantes au niveau fédéral comme au niveau régional bruxellois ne peuvent servir d’excuse. Nous attendons de nos ministres qui se rendront à Bakou qu’ils y jouent un rôle actif, tant en influençant les négociations dans le sens d’une contribution suffisante et de qualité qu’en s’engageant à contribuer au financement climatique.
Le montant défini par le rapport d’experts de haut niveau correspond bien au seul montant à la hauteur des besoins. C’est la seule manière de permettre à de nombreux pays du Sud global de faire face aux ravages du dérèglement climatique sans avoir à choisir entre construire une crèche, une école ou construire des abris pour faire face aux tornades. La décision à la COP29 sera-t-elle à la hauteur de l’enjeu ? Ce sera en tout cas une condition sine qua non pour respecter les droits humains de milliards de personnes sur terre, qui n’ont pas – ou quasi pas – contribué au dérèglement du climat.
Cette carte blanche a initialement été publiée sur le site du Soir