Imaginez que l’une des personnes connues de votre ville ait commis un crime, ou plutôt qu’elle soit soupçonnée de l’avoir commis.
Le ou la juge d’instruction de votre arrondissement judiciaire annonce vouloir délivrer un mandat d’arrêt contre cette personne.
Et là, patatras, le bourgmestre écrit au juge d’instruction, la bourgmestre de la commune voisine, une parlementaire se fend d’une lettre, par voie de la presse interposée, les réactions affluent pour se scandaliser de la décision du mandat d’arrêt.
Scandaleux, me direz vous. Étonnant.
Et bien, c’est ce qui est arrivé en mai de cette année à une très jeune cour, la Cour pénale internationale - la CPI dans le jargon - qui n’a que 26 ans d’existence.
Le 20 mai, plus exactement, le Procureur de la Cour pénale internationale annonce vouloir délivrer un mandat d’arrêt contre cinq personnes : le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, son Ministre de la Défense, Yoav Gallant, et trois responsables du Hamas, dont deux sont entre-temps morts, tués par l’armée israélienne, le troisième est le chef actuel du Hamas, Yahya Sinwar.
Vous me direz, comparaison n’est pas raison. C’est vrai.
Une Cour soumise aux intérêts politiques
Même si la Cour pénale internationale n’est pas une cour belge, même si l’on sait que le droit international dépend souvent, et malheureusement, de la volonté des États, il n’en reste pas moins qu’il s’agit dans les deux cas de juger de crimes, d’amener les auteurs présumés à répondre de leurs actes.
Revenons à nos moutons, à ce fameux 20 mai 2024 : Karim Khan introduit sa requête pour délivrer le mandat d’arrêt.
Trois semaines plus tard, c’est le Royaume-Uni qui ouvre le bal de la contestation, en déposant un mémoire de dix pages en tant qu’« amis de la Cour », ce qui est un fait totalement inhabituel.
Les juges n’étaient pas obligés d’accepter la requête. Les juges acceptent, avant que le gouvernement nouvellement élu du Royaume-Uni ne se rétracte.
S’il s’agissait de gagner du temps, la manœuvre a fonctionné à merveille. Au mémoire initial du Royaume-Uni, se sont ajoutées 60 réponses d’amis de la Cour. On y trouve comme auteurs : un sénateur des États-Unis, des ONG comme Amnesty, des think tanks, et une vingtaine d’États dont la Norvège, qui est un peu fatiguée qu’Oslo - les Accords d’Oslo - soient utilisés pour éviter la justice internationale.
On pourrait énumérer ses limites, mais ce serait oublier que cette jeune Cour est la première tentative internationale de mettre les droits des victimes des crimes les plus graves au-dessus des intérêts des États.
Dans un article dans Le Monde daté du 22 août, on y apprend également que Netanyahou avait sollicité le président français, Emmanuel Macron, pour que la France soit aussi une « amie de la Cour ».
La France refuse, pas tellement sur le principe, mais par peur que d’autres États reconnaissent la Palestine.
Le Procureur avait jusqu’au 26 août 2024 pour répondre, ce qu’il a fait. Il attend maintenant que les juges statuent.
Et malheureusement, il n’y a pas de délai.
Dans le passé, pour délivrer des mandats d’arrêt, la Cour pénale internationale a mis moins d’un mois contre Gbagbo, six semaines pour Kadhafi, et pour Poutine, trois semaines.
Gageons que les juges sachent faire le choix de la justice et de la lutte contre l’impunité.
Gageons que les juges sauront choisir leurs amis.
Et si cela ne suffisait pas à cette cour bien jeune, qui semble si mal-aimée. Il fallait encore qu’un de ses membres - la Mongolie - lui montre son désamour.
La Mongolie est membre de la CPI, a ratifié le Statut de Rome, mais déroulait il y a peu le tapis rouge pour Vladimir Poutine, pourtant sous le coup d’un mandat d’arrêt de la CPI. La garde nationale l’attendait à sa descente d’avion, non pour l’arrêter, mais pour lui rendre les honneurs.
Pourquoi tant de désamour dirais-je ?
On pourrait énumérer ses limites, mais ce serait oublier que cette jeune Cour est la première tentative internationale de mettre les droits des victimes des crimes les plus graves au-dessus des intérêts des États.
Alors, au lieu de mal l’aimer, on ferait bien de la chérir, de lui permettre d’exercer.
Et de refuser que l’impunité soit la seule règle internationale respectée dans le moule.