L’impunité ne peut prévaloir pour les crimes commis à Gaza Par Carine Thibaut et Wies De Graeve, respectivement directrice et directeur des sections belge francophone et flamande d’Amnesty International

Il y a exactement un an, le 26 janvier 2024, la Cour internationale de justice (CIJ) rendait un arrêt qui ne laisse guère de place à l’interprétation. La Cour édictait des mesures provisoires claires dans l’affaire intentée par l’Afrique du Sud contre Israël pour génocide envers la population palestinienne de Gaza. Ce faisant, la Cour confirmait qu’il y a bien un risque réel de génocide et l’obligation pour la communauté internationale d’agir.

La Cour a notamment ordonné à l’armée israélienne de ne pas commettre d’actes interdits par la Convention sur le génocide (tels que tuer et blesser délibérément des civils) et de veiller à ce que la population de Gaza reçoive les services de base et l’aide humanitaire dont elle a besoin de toute urgence. Pour mémoire, en tant que plus haute instance judiciaire internationale, les arrêts de la Cour sont contraignants, en vertu de la Charte des Nations unies.

Un an plus tard, ces mesures sont restées lettre morte. Israël a ignoré les injonctions de la CIJ avec une impunité criante. Les craintes exprimées par la Cour se sont matérialisées : un génocide a été perpétré contre la population de Gaza. Des civils ont été tués et blessés délibérément, et des conditions de vie désastreuses, intenables, ont été imposées dans l’intention manifeste de détruire cette communauté. Une intention de destruction du groupe qui, pour rappel, peut coexister avec un objectif militaire, comme le précise la Convention sur le génocide de 1948.

Même si un cessez-le-feu est aujourd’hui en vigueur, cela ne suffit pas. Quinze mois de violences génocidaires laissent derrière elles un héritage humain et moral insupportable. Par ailleurs, tant que les conditions de vie ne s’améliorent pas et que le blocus illégal de Gaza demeure, le risque de répétition de ces crimes reste réel. L’absence de sanctions renforce ce cycle de violence et menace de banaliser les violations du droit international.

Briser le cycle de l’impunité

Pour l’instant, les armes se sont tues, mais il reste urgent de briser le cycle de l’impunité. Il est inconcevable de fermer les yeux sur la violation de la Convention sur le génocide. Ignorer complètement les arrêts et la jurisprudence ne peut être sans conséquence. Laisser passer ces graves violations sape le droit international dans le monde entier et ouvre la porte à de nouvelles violations des droits humains par quiconque se sent suffisamment puissant et pense pouvoir se le permettre.

Un an après la décision de la CIJ, l’occasion devrait donc être saisie pour exiger des comptes à Israël. Pour ce faire, un plus grand nombre de pays pourraient se joindre à l’action en justice intentée par l’Afrique du Sud et garantir par ailleurs que la Cour dispose de toutes les ressources nécessaires à la poursuite de son travail. Face à ce génocide, Israël en tant qu’État, mais aussi les individus concernés doivent être tenus pour responsables de ce crime.

La Cour pénale internationale (CPI) – cet autre organe juridique international de haut niveau – a déjà émis des mandats d’arrêt contre les auteurs potentiels de crimes de guerre commis dans le cadre du conflit à Gaza. Il s’agit d’une étape majeure, mais il est essentiel que le procureur de la CPI aille plus loin et amplifie son enquête en y incluant le crime de génocide. La communauté internationale doit en outre faire pression sur Israël pour que les autorités permettent à des enquêteurs indépendants d’accéder librement à la bande de Gaza et que les suspects soient remis à la Cour pénale internationale. Par ailleurs, tous les États membres de la Cour doivent faire appliquer ses mandats d’arrêt sans exception. Ainsi, la décision de la Pologne d’octroyer pour un temps court l’immunité à Benjamin Netanyahou est contraire à son engagement en faveur du droit pénal international.

« les Palestiniennes et Palestiniens ont besoin d’un cessez-le-feu durable ainsi qu’un accès à l’aide humanitaire, essentiel pour survivre »

La Belgique peut et doit jouer un rôle de soutien sans équivoque dans ces processus internationaux. Elle peut le faire en intervenant dans les procès et en apportant tout son soutien – financier et juridique – à la Cour internationale de justice et à la Cour pénale internationale. Mais ce n’est pas tout : nous attendons de la Belgique qu’elle utilise ses pouvoirs légaux pour poursuivre et juger les personnes qui ont participé au génocide, qui se trouvent sur le territoire belge ou qui ont la nationalité belge. D’autre part, notre pays peut fournir une assistance juridique aux victimes du génocide résidant sur son sol pour obtenir des réparations par le biais du système juridique belge. Seul un déploiement complet de toutes les ressources pour demander des comptes à ceux qui ont rendu ce génocide possible peut restaurer la force du droit international. Ce n’est qu’à cette condition que justice pourra être rendue aux dizaines de milliers de victimes et à leurs familles.

Dans l’immédiat, les Palestiniennes et Palestiniens ont besoin d’un cessez-le-feu durable ainsi qu’un accès à l’aide humanitaire, essentiel pour survivre. Il est par ailleurs indispensable que les otages israéliens soient libres et retrouvent leurs proches.

Mais pour l’avenir, des changements fondamentaux doivent être opérés : la fin du blocus illégal de Gaza, la fin de l’occupation du territoire palestinien et le démantèlement du régime d’apartheid qu’Israël maintient à l’encontre des Palestiniennes et Palestiniens. Tout cela ne sera possible que si justice est faite. Non seulement pour les victimes et leurs familles, mais aussi pour mettre fin à l’affaiblissement du droit international.

Cette carte blanche a initialement été publiée sur le site du Soir.

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