La peine de mort ne rend pas la République démocratique du Congo plus sûre Par Wies De Graeve, directeur de la section flamande d’Amnesty International & Carine Thibaut, directrice de la section belge francophone d’Amnesty International

Depuis maintenant de nombreuses années, la population congolaise subit une crise permanente des droits humains. Des millions de personnes sont déplacées – le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires parle de 7,2 millions de personnes, c’est-à-dire l’équivalent du nombre d’habitant·es de Flandre et de Bruxelles réuni·es ; les violences sexuelles sont généralisées – selon le Comité international de la Croix-Rouge, plus de 27 % des femmes ont rapporté avoir subi de telles violences dans le cadre de conflits armés ; et les services de base tels que l’alimentation, les soins de santé ou l’éducation demeurent inaccessibles pour beaucoup.

Malgré la promesse faite par le président Tshisekedi de faire du respect des droits humains une priorité, la façon dont les autorités congolaises appréhendent cette crise est totalement inadéquate, voire contre-productive. Des crimes odieux sont commis en toute impunité par les forces de sécurité, un état de siège qui militarise toute la société est maintenu dans le Nord-Kivu et l’Ituri depuis mai 2021, et les voix critiques sont réduites au silence dans tout le pays.

Au premier rang des initiatives témoignant de cette approche contre-productive figure la décision par le ministre de la Justice, le 13 mars dernier, de reprendre les exécutions de condamné·es à mort, après plus de 20 ans de pause dans les exécutions. Cette décision a été justifiée par le besoin de lutter contre la « trahison » au sein de l’armée, dans le contexte d’une intensification des conflits armés, notamment avec la résurgence du M23, groupe armé soutenu par le Rwanda selon les Nations unies. La décision de reprendre les exécutions repose sur la croyance complètement fausse que la peine de mort est nécessaire pour renforcer la sécurité. Bien que de nombreuses études aient démenti cette croyance, certains pays – de moins en moins nombreux, heureusement – persistent dans l’adhésion à ce mythe. Et la République démocratique du Congo (RDC) en fait à nouveau malheureusement partie.

Cette décision consternante du gouvernement congolais met en danger la vie de centaines de personnes condamnées à mort. Nombre d’entre elles se sont retrouvées dans le couloir de la mort à l’issue de procès inéquitables et d’accusations motivées par des considérations politiques, dans le cadre d’un système judiciaire dont l’inefficacité est de notoriété publique. Le président Tshisekedi ne manque d’ailleurs pas de s’en plaindre lui-même, comme lorsqu’il a qualifié le système judiciaire de son pays de « malade » en février dernier.

Il est vital que les autorités congolaises fassent marche arrière quant à leur décision de reprendre les exécutions, non seulement pour Jean-Jacques Wondo, mais également pour des centaines d’autres personnes victimes notamment d’un système judiciaire injuste.

L’inquiétude suscitée par ce changement de cap n’a pas tardé à se confirmer, notamment avec l’annonce par un tribunal militaire de la condamnation à mort de 37 personnes le 13 septembre dernier. Ces personnes sont accusées d’avoir participé à ce que les autorités ont qualifié de « tentative de coup d’État ». Alors même qu’il n’est pas prévu que des civils soient jugés par un tribunal militaire, plusieurs d’entre eux figuraient sur le banc des accusés et un certain nombre d’entre eux ont été condamnés à mort, dont le chercheur et consultant belge de renom Jean-Jacques Wondo.

Aujourd’hui, à l’occasion de la Journée internationale contre la peine de mort, il est essentiel de tordre le cou à l’idée reçue selon lequelle la peine capitale serait une sorte de « remède miracle » à l’insécurité. La peine de mort est le châtiment le plus cruel, inhumain et dégradant qui soit. Un châtiment qui apporte une solution simpliste à des problèmes complexes et qui détourne par ailleurs l’attention qui devrait être portée aux causes profondes de l’insécurité et à l’élaboration de solutions durables. La peine de mort est le symbole d’une culture de la violence, et non une solution.

La population congolaise a plus que jamais droit à la sécurité. Pour y parvenir, une approche coordonnée impliquant les autorités congolaises est nécessaire, en coopération avec la communauté internationale. Il est en effet indispensable que cette dernière n’abandonne pas la RDC et use de toute son influence pour rappeler au président Tshisekedi la promesse qu’il a faite lors de son entrée en fonction, à savoir que le respect des droits humains serait une priorité pour lui.

Une façon très concrète pour la Belgique et d’autres États proches de la RDC de s’engager sur cette voie est d’appeler avec insistance à un moratoire formel sur les exécutions en vue d’abolir la peine de mort. Ensuite, une aide destinée à « soigner » le système judiciaire constituerait logiquement une étape supplémentaire – cela éviterait notamment que des civils soient jugés comme des militaires.

Il est vital que les autorités congolaises fassent marche arrière quant à leur décision de reprendre les exécutions, non seulement pour Jean-Jacques Wondo, mais également pour des centaines d’autres personnes victimes notamment d’un système judiciaire injuste. La RDC doit se rendre compte que les pays qui appliquent la peine de mort constituent une minorité isolée qui vit dans un passé moisi ; or la population congolaise mérite une politique d’avenir.

Cette carte blanche a initialement été publiée sur le site du quotidien Le Soir [1]

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