Deux ans plus tard, on reste sans nouvelles de Jean Bigirimana, le journaliste victime d’une disparition forcée Par Rachel Nicholson, Chercheure sur le Rwanda et le Burundi à Amnesty International

L’anéantissement auxquels ont été soumis les médias burundais, autrefois dynamiques, a été l’une des conséquences majeures de la crise provoquée par la décision du président Pierre Nkurunziza de briguer en avril 2015 un troisième mandat controversé.

Au lendemain du coup d’État manqué du 13 mai 2015 qui a suivi les élections, les forces militaires fidèles au président se sont déchaînées contre les médias qui avaient diffusé les annonces des putschistes. Ainsi, des médias privés tels que Radio Télé Renaissance, Radio Publique Africaine, Isanganiro et Bonesha FM ont été attaqués et certains partiellement détruits par les forces de sécurité burundaises. Rema FM, une radio proche du parti au pouvoir, a également été incendiée par des individus armés le 13 mai, après qu’un officier a ordonné au personnel d’évacuer le bâtiment.

Beaucoup de journalistes ont fui le pays et d’autres se sont cachés, mais quelques-uns ont décidé de rester et de continuer de faire leur travail ouvertement. Jean Bigirimana, qui travaillait pour le groupe de presse Iwacu, était l’un d’entre eux. Il est porté disparu depuis le 22 juillet 2016, jour où des agents soupçonnés d’appartenir à l’Agence nationale de renseignement (ANR) l’ont arrêté et soumis à une disparition forcée.

Il était passionné de journalisme

« Jean a étudié le droit à l’université, mais sa passion, c’était le journalisme  », nous a confié Godeberthe Hakizimana, l’épouse de Jean Bigirmana. « Il était très sociable et travaillait énormément » a-t-elle ajouté. La disparition forcée de Jean a été un drame pour tous ses proches : ses collègues du groupe de presse Iwacu, mais surtout pour sa jeune famille.

Jean est né en 1979 dans la province de Cankuzo, dans l’Est du Burundi. Lui et son épouse Godeberthe ont deux enfants.

Le jour où il a été vu pour la dernière fois, un de ses collègues a reçu un appel anonyme l’informant que l’Agence nationale de renseignement (ANR) l’avait arrêté à Bugarama, dans la province de Muramvya (à environ 45 km de Bujumbura, la capitale).

Iwacu a immédiatement lancé une enquête à laquelle se sont jointes plus tard la police burundaise et la Commission nationale indépendante burundaise des droits de l’Homme (CNIDH) pour savoir où se trouvait Jean.

Les enquêtes du journal ont abouti à la découverte de deux corps dans la rivière Mubarazi à Muramvya en août 2016. Certaines personnes pensaient que l’un des corps pouvait être celui de Jean, puisqu’il avait été porté disparu dans cette province. Lorsque l’équipe d’Iwacu, la police, des agents des services de renseignement et des membres de la CNIDH sont arrivés sur les lieux, les corps étaient dans un état avancé de décomposition mais Godeberthe a pu ensuite confirmer qu’aucun de ces corps n’était celui de son mari. Les autorités burundaises ont enterré les corps sans avoir procédé à une identification complète.

Les enquêtes du journal ont abouti à la découverte de deux corps dans la rivière Mubarazi à Muramvya en août 2016. Certaines personnes pensaient que l’un des corps pouvait être celui de Jean, puisqu’il avait été porté disparu dans cette province.

La famille et les collègues de Jean entretenaient l’espoir de le retrouver vivant. Cependant, lors d’une conférence de presse qui a eu lieu le 5 août 2016, la CNIDH a déclaré avoir vérifié tous les centres de détention, y compris les centres de détention officiels de l’ANR à Muramvya, sans avoir pu retrouver la trace de Jean. Dès lors, les autorités burundaises sont restées muettes sur le sort de Jean ce qui est source de douleur et de grande détresse pour sa famille et ses amis.

Papa est-il toujours vivant ?

Godeberthe a continué à chercher la vérité sur le sort son mari, mais elle a commencé à recevoir des menaces de mort, y compris des appels anonymes lui demandant d’arrêter de s’exprimer sur la disparition de son époux. En juin 2017, une lettre de menace de mort faisant allusion à sa présumée collaboration avec une équipe d’enquêteurs de l’ONU a été trouvée devant chez elle. Lorsqu’elle s’est rendue au poste de police pour signaler l’incident, l’agent qui l’a reçue lui a dit de rentrer chez elle et d’attendre leur réponse. La réponse n’est jamais venue.

Godeberthe a continué à chercher la vérité sur le sort son mari, mais elle a commencé à recevoir des menaces de mort, y compris des appels anonymes lui demandant d’arrêter de s’exprimer sur la disparition de son époux.

On ne peut qu’imaginer le traumatisme que traverse la famille de Jean, et en particulier ses enfants. Godeberthe a déclaré à Amnesty International : « Jusqu’à ce jour, les enfants me posent beaucoup de questions, surtout mon fils aîné. La dernière fois, il m’a demandé : Papa est-il toujours vivant ? J’ai répondu : non, il est décédé. » Le garçon, qui n’a que 10 ans, n’arrête pas de faire des cauchemars et a dit à sa mère qu’il pensait beaucoup à son père.
Godeberthe doit travailler durement pour subvenir aux besoins de sa famille. Elle a commencé un petit commerce de vente de légumes sur un marché, mais elle a toujours des difficultés à joindre les deux bouts.

Rien n’est fait pour lutter contre l’impunité

L’incapacité du gouvernement burundais à mener une enquête approfondie, impartiale, transparente et efficace sur la disparition de Jean est un affront à la vérité, à la justice et à l’obligation de rendre des comptes. Bien que ce soit l’un des rares cas où les autorités burundaises ont déclaré et promis officiellement de faire tout ce qui était en leur pouvoir pour enquêter sur ce qui s’était réellement passé, elles ne sont toujours pas en mesure de tirer certaines conclusions.

Au contraire, le gouvernement du Burundi ne ménage pas ses efforts pour nier les accusations selon lesquelles le système judiciaire du pays ne parvient pas à lutter contre l’impunité. Il est cependant difficile de croire qu’un système incapable d’établir les faits essentiels concernant une affaire aussi médiatisée que celle de Jean puisse garantir à sa population l’accès à la justice et à des recours efficaces.

Deux ans après la disparition forcée de Jean, il est important de rappeler aux autorités burundaises leurs obligations internationales en matière de droits humains pour établir la vérité, garantir l’application de la justice et l’obligation de rendre des comptes dans le cas de Jean et dans d’autres affaires similaires.

Une pétition adressée au Président Nkurunziza est disponible sur le site d’Amnesty International  : https://www.amnesty.be/je-veux-agir/agir-en-ligne/petitions/burundi_petition

*La campagne Abacu : en 2015, Amnesty International a lancé la campagne Abacu (Notre peuple) afin de rendre hommage et d’honorer les victimes de violations des droits humains au Burundi.

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