Le G20 pourrait aider le Sri Lanka à résoudre sa crise de la dette. Se montrera-t-il à la hauteur ? Par Sanhita Ambast, chercheuse et conseillère politique pour Amnesty International.

Le G20 pourrait aider le Sri Lanka à résoudre sa crise de la dette. Se montrera-t-il à la hauteur ?

En février, les ministres des Finances des pays du G20 se sont réunis pour évoquer les difficultés auxquelles l’économie mondiale est confrontée. Ils n’ont cependant pas saisi cette occasion pour aider un pays en première ligne de la crise de la dette publique qui a étouffé des dizaines de nations dans le monde entier au cours des dernières années.

Il est décevant de voir que la synthèse de la présidence et le document final de la rencontre ne font que semblant de s’intéresser à l’atténuation des problèmes rencontrés par la population sri-lankaise. Bien que le groupe ait reconnu « l’urgence de réduire les vulnérabilités causées par la dette » au niveau mondial, et « espère que l’endettement du Sri Lanka soit résolu rapidement », aucun engagement concret n’a été pris et aucune action n’a été entreprise.

Parmi les pays du G20, on trouve les principaux créanciers bilatéraux du Sri Lanka, notamment la Chine, l’Inde, le Japon et la Corée du Sud, ainsi que des membres influents d’organisations de créanciers multilatéraux, comme les États-Unis et les nations européennes. Si ce groupe collaborait de façon efficace, il pourrait permettre au Sri Lanka de bénéficier d’un allègement de sa dette et renforcer la protection des droits économiques et sociaux de la population durant cette crise. En effet, même si les médias sont déjà passés à autre chose, la crise économique fait toujours rage au Sri Lanka et a des conséquences dévastatrices sur sa population. L’inflation galopante et la protection sociale limitée s’ajoutent aux difficultés à se procurer des biens et services de première nécessité, comme la nourriture et les soins de santé. Tout ceci a profondément affecté la vie et les droits des habitant·e·s. Par exemple, selon le Programme alimentaire mondial (PAM), un foyer sur trois était en situation d’insécurité alimentaire en décembre 2022. Les prévisions pour 2023 ne sont pas plus encourageantes : un quart de la population devrait rester en situation de pauvreté et, selon la Banque mondiale [1], une importante contraction économique est à prévoir.

Le poids de la dette limite la capacité du gouvernement sri-lankais à protéger les droits humains. Le ratio dette publique sur PIB a augmenté, étant passé de 93,6 % fin 2019 à 114 % fin 2021. Avant même que la crise économique ne fasse les gros titres à l’échelle internationale, le Sri Lanka faisait figure d’exception mondiale quant au montant consacré au service de la dette. En 2020, avant la crise la plus récente, un montant incroyable était consacré au remboursement des intérêts : 71,4 % des recettes gouvernementales, alors que la moyenne mondiale était de 6 %, et la moyenne régionale de 21,1 %. Le remboursement des intérêts est le pôle de dépense publique le plus important, et une grande partie des emprunts contractés récemment par le gouvernement n’a servi qu’à payer les intérêts des emprunts précédents.

Le service de la dette a réduit la capacité du gouvernement à dépenser pour d’autres secteurs comme la santé, l’éducation et la protection sociale, ce qui a des conséquences directes sur le bien-être de la population. Un sondage réalisé en mars 2023 révèle que la moitié des familles sri-lankaises sont obligées de diminuer la quantité de nourriture qu’elles donnent à leurs enfants. Il est essentiel de libérer le Sri Lanka du piège de l’endettement, pour briser un cercle vicieux qui fragilise les droits humains d’une trop grande partie des 22 millions d’habitant·e·s de l’île.
Le gouvernement sri-lankais mène actuellement de complexes négociations sur la dette, vitales pour bénéficier du soutien financier du Fonds monétaire international (FMI). L’an dernier, le FMI a conclu avec le gouvernement un accord au niveau technique, proposant un prêt de près de 2,9 milliards de dollars. Cependant, les conditions de cet accord exigeaient d’obtenir de la part des créanciers du Sri Lanka des garanties suffisantes de restructuration et d’allègement de la dette, avant que le prêt ne soit finalisé et que l’argent ne soit versé.

Bien que l’aide du FMI soit probablement la raison pour laquelle la dette sri-lankaise fait l’actualité aujourd’hui, les créanciers devraient s’efforcer de diminuer celle-ci pour que les droits économiques et sociaux puissent être mieux garantis. D’anciens programmes du FMI comportaient également des conditions ayant des conséquences néfastes sur les droits humains, notamment des coupes dans les dépenses publiques et d’autres mesures d’austérité. Les travailleurs et travailleuses au Sri Lanka se sont récemment mis en grève contre les mesures du gouvernement prétendument mises en place pour s’assurer un financement du FMI, telles que l’augmentation des impôts.

Les négociations de la dette sri-lankaise sont compliquées pour plusieurs raisons, notamment le grand nombre de parties prenantes. Près de la moitié de la dette extérieure du Sri Lanka est constituée d’obligations émises sur le marché libre et partiellement détenues par des entités privées, comme des fonds spéculatifs. L’un de ces créanciers privés a déjà engagé des poursuites contre le gouvernement sri-lankais auprès d’un tribunal américain pour obtenir le remboursement de la dette. Ensuite, des créanciers bilatéraux et des institutions multilatérales comme la Banque asiatique de développement et le Groupe de la Banque mondiale possèdent également une partie de cette dette.

Même si des progrès semblent avoir été faits au cours des dernières semaines, aucune résolution ne semble se dessiner. Le manque de transparence dans la façon dont sont menés les pourparlers ne nous permet pas de savoir quels sont les points de tension et combien de temps cela pourrait durer.

La manière dont ces négociations sont menées est importante. Le simple fait que les recouvrements de dette actuels du Sri Lanka soient si élevés interroge sur les conditions dans lesquelles ces accords ont été conclus en premier lieu. La transparence, la participation et l’obligation de rendre compte de ses actes sont essentielles pour garantir que cette crise ne se reproduise pas.

Les créanciers du Sri Lanka ne peuvent pas être guidés par leurs seuls intérêts commerciaux ou nationaux. Comme l’indique un rapport d’Amnesty International [2] publié en octobre 2022 sur la crise économique sri-lankaise, les organisations financières internationales, les banques de développement multilatérales et les entreprises privées ont l’obligation et la responsabilité de respecter les droits humains.

Alors que les négociations progressent, la restructuration de la dette et son allègement devraient permettre au Sri Lanka de servir sa dette extérieure sans compromettre sa capacité à s’acquitter de ses obligations en matière de droits humains et à garantir les droits économiques et sociaux de sa population. Toutes les options permettant d’alléger la dette devraient être envisagées, y compris son annulation si cela est nécessaire.

Une action internationale, coordonnée et urgente est nécessaire pour faire en sorte que le gouvernement sri-lankais puisse faire face à la crise de façon efficace et protéger les droits humains. Cela fait près d’un an que le Sri Lanka a fait défaut sur sa dette pour la première fois, et six mois se sont écoulés depuis que l’accord avec le FMI a été conclu. D’autres réunions du G20 sont prévues cette année, et elles doivent donner la priorité à l’allègement de la dette sri-lankaise dans le respect des normes relatives aux droits humains.

Reporter les actions décisives en faveur du Sri Lanka ne fait que repousser le redressement de son économie et aggraver la souffrance de sa population.

Article initialement publié le 9 mars 2023 sur le site d’Al Jazira : The G20 could help fix Sri Lanka’s debt crisis. Will it step up ? | Business and Economy | Al Jazeera [3]

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