« C’était difficile de grandir aux Philippines, surtout quand j’essayais de comprendre ma vie et mon identité.
Quand j’étais plus jeune, nous n’avions pas les ressources que d’autres ont maintenant, surtout en tant que personne trans. Je voulais commencer à prendre des hormones, mais je ne savais pas comment m’en procurer. Je pensais être une personne transféminine, mais je ne savais pas quoi faire ensuite. Je n’ai jamais eu les mots pour en parler, jusqu’à l’âge de 18 ans – c’était la première fois que je voyais le terme transgenre et que je me disais : " Ça pourrait être moi. "
Grandir dans ma province signifiait que nous manquions énormément de ressources. On ne trouvait pas de conseils médicaux sur la question, donc je ne pouvais pas simplement obtenir de rendez-vous chez le médecin. J’ai dû chercher d’autres personnes et communautés transgenres pour trouver des réponses et demander quelles hormones prendre.
Risques en ligne
Tik Tok et Instagram m’ont permis d’accéder aux informations qui me manquaient. Les ressources n’étaient cependant pas toujours exactes, et cela signifiait que les gens pouvaient prendre les mauvaises pilules car ces médicaments sont en grande partie non réglementés.
« Qu’est-ce qu’il y a ? Pourquoi m’infliger ça ? » Avec toutes ces restrictions, je ne pouvais pas vivre une vie authentique en tant que personne transgenre aux Philippines
En plus des risques médicaux, j’ai été victime d’abus et de harcèlement pendant que j’apprivoisais mon identité. Je suis allée dans un lycée catholique, où je n’avais pas le droit d’avoir les cheveux longs et où je devais porter des habits de garçon. À la fin du lycée, j’avais déjà commencé à jouer avec ma féminité et à m’amuser à porter des vêtements féminins. J’avais environ 15 ou 16 ans quand je me suis enfin sentie à l’aise avec qui j’étais.
Au moment du bal de promo de mon lycée, je me suis sentie prête à m’habiller comme une fille. Quand je suis arrivée à l’école, j’ai mis ma perruque, une robe moulante, un kimono que j’avais volé à ma mère et une couronne. Quand le conseiller d’éducation m’a vue, il m’a prise à part et m’a dit que si je voulais me joindre à la fête, je devrais rentrer chez moi et me changer. J’étais terriblement gênée – j’étais à genoux, je pleurais devant le conseiller, en lui demandant : « Qu’est-ce qu’il y a ? Pourquoi m’infliger ça ? » Avec toutes ces restrictions, je ne pouvais pas vivre une vie authentique en tant que personne transgenre aux Philippines. J’ai été privée du droit de profiter de ma vie scolaire sous ma véritable identité – c’est pourquoi je revendique mes droits maintenant.
Une famille solidaire
Heureusement, ma famille m’a soutenue. Ma sœur aînée est trans, alors c’est elle qui a porté le fardeau du coming out devant la famille. Ma mère m’a acheté ma première culotte. C’est un moment qui a bouclé la boucle – j’ai eu la chance de bénéficier de ce soutien dans ma famille, mais cela ne veut pas dire que la vie à l’extérieur était facile.
Plus jeune, j’avais tellement confiance en moi. J’étais impatiente de sortir et de porter ma perruque, un petit haut et ma jupe – je voulais vivre dans ce monde imaginaire, où je pourrais être qui je voulais. Mais comme j’étais jeune, je n’avais pas les mots pour expliquer les expériences qui ont suivi, qu’il s’agisse d’abus ou de harcèlement.
« Je me rends compte que j’ai été agressée sexuellement dans un bus, et je ne le savais même pas. Je ne savais pas quel nom mettre sur ces choses. »
J’ai étudié la psychologie à l’université, et je me souviens avoir pris le bus pour rentrer à la maison, après avoir assuré mon tour de bénévolat au centre de santé pour personnes transgenres. Il était plus de 23 heures et ma province était à deux heures de route. Je me sentais comme une femme pleine d’assurance avec ma perruque, mon maquillage complet, mes talons, quand soudain un homme que je ne connaissais pas s’est assis à côté de moi et s’est mis à m’embrasser.
Sur le moment, je n’ai pas compris ce qui se passait, je pensais que ma féminité était validée, alors je me suis dit : « D’accord, il me voit comme une fille, il pense que je suis sexy et attirante. »
Mais quand j’y repense maintenant, je me rends compte que j’ai été agressée sexuellement dans un bus, et je ne le savais même pas. Je ne savais pas quel nom mettre sur ces choses.
La triste réalité du militantisme
En tant que jeune femme trans des Philippines, le militantisme m’est venu naturellement. L’atmosphère dans mon pays rend cependant la prise de parole difficile. La pratique du marquage rouge [1] est devenue courante, et si vous croyez aux droits humains, vous êtes étiqueté comme une menace pour la société ou un terroriste national. Des jeunes ont été qualifiés de « rouges » en ligne et leurs coordonnées personnelles ont été divulguées sur Facebook. Des personnes manquent à l’appel parce que la police nationale les a enlevées. C’est la triste réalité du militantisme aux Philippines. C’est ancré dans notre culture.
J’ai grandi dans un monde hostile. En plus de la violence et des abus, j’ai connu la haine, des actes d’intimidation et la censure en raison de mon travail de plaidoyer auprès du public. L’année dernière, j’ai fait partie d’un mouvement social autour de la période électorale. Instagram a supprimé mes publications parce qu’elles « enfreignaient les règles de la communauté », mais je continue malgré les risques. Si vous défendez quelque chose, vous n’êtes pas une menace pour la sécurité nationale. Mais pour que cela change, nous devons modifier la façon dont le militantisme est perçu aux Philippines.
Soutenir d’autres jeunes militant·e·s
Bien que je sois en danger, je fais de mon mieux pour soutenir d’autres jeunes à travers mon action militante. Lors des élections de l’année dernière, j’ai fait partie du grand mouvement social, où j’ai rencontré énormément de jeunes – dont beaucoup n’avaient pas l’âge de voter – qui faisaient du bénévolat. Comme j’étais un peu plus âgée qu’eux, je suis devenue leur « mère ». Je leur donnais des conseils sur l’identité de genre. Ils connaissaient mon travail de plaidoyer public en ligne, en particulier en tant que femme transgenre. Ils posaient des questions sur les centres de santé et le traitement hormonal substitutif, et me remerciaient de les informer.
Aux Philippines, 90 % des jeunes sont en ligne, et il était donc bénéfique de rencontrer d’autres jeunes militant·e·s en personne. Bien que l’espace numérique soit accessible aux jeunes, il a un impact dangereux sur notre bien-être. Un grand nombre des principales plateformes permettent à la haine de prospérer, car elles en tirent des revenus. Il nous est plus difficile d’exister en ligne car nous n’avons pas accès à des protocoles de sécurité qui nous protègent et nous permettent d’exercer nos propres droits numériques.
J’ai récemment travaillé avec Amnesty International sur son nouveau projet dirigé par des jeunes, RIGHTS CLICK [2], qui permet aux enfants et aux jeunes de co-créer des plateformes en ligne et d’autres technologies numériques qui protègent leurs droits, ainsi que leur santé et leur bien-être. Dans le cadre de ce projet, nous prenons connaissance des expériences traversées par les jeunes, et apprenons à quelles difficultés ils sont confrontés, afin de pouvoir y apporter des solutions ensemble.
« On ne me réduira pas au silence, que ce soit en personne ou en ligne »
Il est triste que nous soyons obligés de donner de la voix et de porter le fardeau du militantisme – mais ce projet est en train de construire une communauté de militant·e·s qui travaillent de concert pour bâtir un monde numérique plus sûr.
Je veux m’exprimer. Si je ne le fais pas, comment les autres générations auront-elles connaissance de nos expériences et comment le système changera-t-il ? Il faut que cela vienne de nous. Il y a des lois faites pour les femmes trans, qui ont été créées par des personnes cisgenres – cela n’a pas de sens. Nous savons de quoi nous avons besoin. On ne me réduira pas au silence, que ce soit en personne ou en ligne. »