Par Kiné Fatim Diop, chargée de campagne pour l’Afrique de l’ouest à Amnesty International
Kiné Fatim Diop, qui a passé la majeure partie des trois dernières années au Burkina Faso, nous livre ses réflexions sur les perspectives d’amélioration de la situation des droits humains dans le pays.
« Rien ne sera plus comme avant. » Cette phrase revenait sans cesse au Burkina Faso dans les mois qui ont suivi la destitution du président Blaise Compaoré.
Elle était dans toutes les bouches – dans les zones rurales et urbaines, chez les vieux comme chez les jeunes, hommes et femmes, riches et pauvres. Elle était plus qu’un slogan. Elle reflétait une certitude qui témoignait d’un regain d’optimisme dans un pays dont la population avait contribué à mettre fin aux 27 années du régime du président Compaoré, au terme d’une semaine grisante de protestation qui avait balayé toute la nation.
Les manifestations, qui avaient débuté en octobre 2014 et s’étaient soldées par la démission du président Compaoré, ouvraient un nouveau chapitre pour un pays dont l’histoire était émaillée de coups d’État et d’impunité pour les graves violations des droits humains commises. Les droits des femmes étaient apparues à l’ordre du jour et le Parlement devait voter sur l’abolition de la peine de mort : le Burkina Faso semblait prêt pour de grandes avancées en matière de droits humains. Même l’impunité bien ancrée dans le pays semblait vouloir être remise en cause, le gouvernement ayant promis d’enquêter sur les homicides de civils imputables à l’armée un an auparavant.
Puis, la semaine dernière, un nouveau coup d’État a eu lieu.
Le 16 septembre, des membres du Régiment de la sécurité présidentielle du Burkina Faso ont fait irruption lors d’un conseil des ministres, arrêté le président et le Premier ministre de transition, et déclaré qu’ils s’emparaient du pouvoir. Le gouvernement a été dissous, des foules sont descendues dans la rue, au moins 10 personnes ont été tuées et plus de 100 blessées dans les affrontements entre le Régiment de la sécurité présidentielle et les manifestants.
Ce coup d’État a été largement condamné, et l’Union africaine a suspendu le Burkina Faso. Cependant, les premières initiatives de médiation lancées par le bloc régional de l’Afrique de l’Ouest, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), envisageaient d’amnistier le général Diendéré et le Régiment de la sécurité présidentielle pour les crimes commis durant le coup d’État. Les organisations de la société civile s’y sont vivement opposées. L’idée d’accorder l’impunité aux auteurs de graves violations des droits humains aurait créé un fâcheux précédent pour la CEDEAO, qui devrait faire pression pour que tous les responsables de violations fassent l’objet d’enquêtes et soient jugés dans le cadre de procès équitables, sans recours à la peine capitale.
Puis, cette semaine, alors que l’armée marchait sur Ouagadougou et que le médiateur de la CEDEAO s’était rendu à Abuja, le général Diendéré s’est excusé pour avoir fomenté le coup d’État et a promis de rétablir le gouvernement civil. Mercredi 23 septembre, le président des autorités de transition Michel Kafando a été réinstallé au palais présidentiel et une vie « normale » a repris au Burkina Faso, qui a connu plus que sa part de bouleversements.
Le président Compaoré n’était pas tendre avec la dissidence et son régime a été marqué pendant des années par les arrestations et les détentions illégales et arbitraires de manifestants. Les investigations sur la torture et les homicides extrajudiciaires de l’ancien président Thomas Sankara et du journaliste Norbert Zongo n’ont jamais abouti. Finalement, ce fut la volonté du président Compaoré de modifier la Constitution afin de pouvoir briguer un nouveau mandat et de prolonger sa présidence qui a entraîné sa chute en 2014. Lors du soulèvement qui a conduit à sa destitution, au moins 10 manifestants ont été tués et des centaines blessés par l’armée et la garde présidentielle. Le rapport de la Commission de la réconciliation nationale et des réformes sur ces événements et sa recommandation concernant la dissolution du Régiment de sécurité présidentielle ont sans doute beaucoup compté dans le déclenchement du coup d’État de la semaine dernière.
Durant cette semaine, l’armée a réduit au silence la majorité des chaînes de télévision et de radio privées et pris le contrôle des chaînes publiques. Les forces de sécurité ont recouru à une force excessive contre des manifestants pacifiques, et des hôpitaux à Ouagadougou ont signalé avoir reçu des civils blessés par balles.
Je me suis rendue au Burkina Faso au mois de juillet, aux côtés de l’Association pour l’Avancement des femmes et des enfants, en vue de lancer une campagne appelant tous les candidats aux élections à signer le Manifeste pour les droits humains. Ce nouveau manifeste, coécrit par 30 organisations nationales et internationales et des organisations locales de la société civile, destiné à aider à défendre les droits des femmes et des filles en matière de sexualité et de procréation, avait suscité un réel engouement. Cette phrase revenait sans cesse : « Continuons d’avancer », témoignant de la volonté parmi les citoyens ordinaires de surmonter les obstacles quotidiens afin d’améliorer le respect des droits fondamentaux.
L’accueil de ce manifeste par les dirigeants fut fantastique. Quatre candidats à l’élection présidentielle se sont engagés, s’ils étaient élus, à accorder la priorité aux droits des femmes et des filles, et le président du Conseil national de transition, le ministre de la Justice et des Droits humains et le roi traditionnel, Moro Naaba, ont signé le manifeste. D’autres candidats l’ayant reçu ont promis de le signer. Dans un pays qui se place au 7e rang mondial en matière de mariages précoces, où seulement 17 % des femmes utilisent la contraception et plus de 2 000 femmes meurent en couches chaque année, ces engagements étaient plus que bienvenus.
Si les élections prévues le 11 octobre ont été reportées, la soif de liberté est loin d’être éteinte. En fait, les événements extraordinaires de cette semaine n’auront fait que rappeler la valeur et l’importance des droits fondamentaux des citoyens. Ils ont ravivé l’espoir que le Burkina Faso, dont le nom signifie « Terre des hommes intègres », élira les dirigeants intègres qu’il mérite tant.
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