« Abdelhamid Youssef, est un syrien de 28 ans habitant de Khan Cheikhoun, petite bourgade au nord de la ville de Hama. Le 4 avril 2017 une bombe s’y écrase en pleine rue, libérant son gaz sarin, provoquant ainsi la mort rapide de plusieurs dizaines de civils. Youssef y perdra sa femme et ses deux enfants, ainsi que 19 autres de ses proches. Les images de ce père en pleurs serrant contre lui les corps sans vie de ses deux jumeaux de 9 mois ont ému la planète entière. A une caméra présente, Youssef a alors déclaré "tout ce que j’espère c’est que mes enfants soient les dernières victimes" de la guerre.
Depuis, la Commission d’enquête des Nations unies sur la situation des droits de l’homme en Syrie a conclu à la responsabilité du régime syrien dans cette attaque [1] . Ceci en dépit de l’accord passé avec celui-ci sur la destruction de l’entièreté de son arsenal chimique et sa promesse de ne plus y avoir recours ni à chercher à s’en procurer.
Comment le régime syrien a-t-il pu continuer à posséder une capacité de frappe chimique malgré les accords et garde-fous prévus ?
Selon un article du New York Times datant du 27 février 2018, un rapport non-publié des Nations unies révélerait l’existence d’un programme de coopération entre la Corée du Nord et la Syrie prévoyant l’envoi de composants/produits pour la fabrication d’armes chimiques.. La directrice des recherches pour le Moyen-Orient à Amnesty International, Lynn Maalouf, n’y allait pas quatre chemins : "Fournir à un État les moyens de produire ces terribles armes est absolument déplorable. Mais aider le gouvernement syrien, qui a fait usage à plusieurs reprises d’armes chimiques contre des civils, à se réapprovisionner serait une trahison de l’humanité particulièrement monstrueuse" [2] .
Du business en dépit des vies humaines ?
Nous savons maintenant que des entreprises belges (notamment) ont livré certaines substances chimiques, dites à "double usage" [3] , malgré l’interdiction européenne frappant l’exportation sans licence de ces produits vers la Syrie. Est particulièrement visé l’isopropanol, substance entrant dans la composition du gaz sarin. Les inspecteurs de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) avaient d’ailleurs conclu à la présence d’isopropanol dans la composition du sarin utilisé dans l’attaque chimique de Khan Sheikoun en avril 2017 qui a causé la mort de plus de 80 personnes.
D’après l’enquête réalisée par The Syrian Archive, un partenaire d’Amnesty International dans ses enquêtes utilisant les données open-source, c’est un minimum de 96 tonnes d’isopropanol (et un maximum de 168) qui ont été envoyées de Belgique vers la Syrie. L’OIAC en avait fait détruire 133 tonnes à l’occasion de la mise en oeuvre du désarmement chimique du régime syrien. L’effet de cette destruction aurait donc été rendu caduc par les envois belges.
En dehors des deux hub régionaux que sont le Liban et les Emirats arabes unis (EAU), qui servent principalement pour le transit, la Belgique est le second état [4] qui à livré le plus d’isopropanol à la Syrie derrière la Corée-du-Nord, celle-ci n’appliquant de toute façon pas le régime de sanctions sur ces substances.
Une réaction politique nécessaire
À la justice belge maintenant de travailler : un procès initié par l’administration des douanes vient de commencer contre les entreprises belges qui ont exporté ces produits chimiques. Charles Michel et les autres ministres compétents doivent tout mettre en oeuvre afin de garantir que cela ne se reproduise pas. La Belgique étant le seul pays de l’Union européenne à avoir violé cette réglementation, elle a maintenant la responsabilité d’agir pour réparer ce laxisme coupable.
D’autant qu’il est possible que d’autres attaques chimiques aient lieu. Celle du 7 avril 2018 dans la Ghouta orientale est encore dans toutes les mémoires. L’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) enquête maintenant sur cette attaque. D’après la Syrian American Medical Association, il s’agirait du septième bombardement à l’arme chimique de ce type en 2018 et de la 197e depuis le début du conflit en 2011, tuant des centaines de personnes et infligeant de terribles blessures à d’autres personnes.
La Convention sur l’interdiction des armes chimiques de 1992 interdit l’élaboration, la production, le stockage, le transfert et l’utilisation d’armes chimiques et oblige les États parties à détruire leurs stocks. Les armes chimiques sont par nature non discriminantes et leur emploi constitue un crime de guerre aux termes du droit international coutumier.
Amnesty International appelle au respect total de l’interdiction par le droit international de l’usage d’armes chimiques et biologiques. De telles armes ne doivent pas être utilisées, et tout stock doit également être détruit. »