La poésie a changé ma vie, et j’ai ensuite choisi de vivre de ma plume.
Quand j’étais plus jeune, je n’avais pas d’exutoire, mais une fois à l’école, j’ai commencé à m’exprimer à travers la poésie. Aujourd’hui, j’ai 29 ans. Cela fait huit ans que je suis ce que l’on pourrait appeler un poète professionnel.
Les gens associent mon quartier aux homicides et aux divers trafics illégaux, mais la poésie est un moyen de contredire cette image. J’ai vécu dans cette réalité. Je me suis fait voler, j’ai vu des jeunes être harcelés et mes amis ont été pris dans l’engrenage du trafic illégal. C’est une vie à cent à l’heure qui mène soit à la morgue, soit à la prison.
J’ai choisi de vivre plus longtemps que cela. J’ai fait des stages rémunérés 250 réals par mois. Mes amis me demandaient pourquoi je travaillais pour si peu, mais je savais que cette voie me garantissait un avenir.
L’art et la poésie sont mes deux sauveurs. Aujourd’hui, je prouve que je peux enseigner la poésie et en vivre. Les trafics illégaux n’empêchent ni les habitants du quartier de vivre et de travailler ensemble, ni les groupes culturels d’être au cœur de notre vie locale.
En mai 2010, pour proposer une autre image de mon quartier et montrer les différentes mouvances sociales qui existent ici, quatre amis fous se sont associés pour créer un espace créatif : Sarau da Onça.
C’est un espace de liberté, de transformation et d’amour. C’est un espace où nous nous prenons dans les bras et où nous nous accueillons chaleureusement lorsque nous nous retrouvons. Nous pouvons être nous-mêmes, écrire nos propres histoires et les concrétiser par la poésie et le slam. Les scènes ouvertes sont un excellent outil de transformation dans la banlieue de Salvador et au-delà. Nous abordons des sujets comme la valorisation des femmes, les violences policières, le racisme, les préjugés, l’homophobie et le black feminism. On parle aussi d’amour.
Ensemble, nous diffusons notre message très largement. Des personnes qui habitent en dehors de Salvador entendent parler de notre travail, et nous sommes devenus une référence à l’échelle nationale. Quand nous avons commencé, nous n’imaginions pas que notre travail aurait de telles retombées. Nous entretenons de bonnes relations avec les écoles et notre objectif est de montrer que la poésie n’est pas juste un événement ponctuel ; elle est présente en permanence, et elle peut être pratiquée n’importe où.
Dans le cadre de mon travail militant, je suis intervenu dans un centre de détention pour femmes. Ma première rencontre avec ces femmes a été étrange, bizarre et délicate, mais je voulais rendre leur vie en prison moins douloureuse. Il a fallu sept jours pour les convaincre de participer à un atelier de poésie. Nombre d’entre elles avaient arrêté l’école tôt. Elles n’avaient pas l’habitude de lire ni d’écrire, donc mon travail était de surmonter ces obstacles et de leur montrer qu’il était possible d’écrire.
J’ai invité des dirigeantes locales de toute la ville de Salvador à venir travailler avec ces femmes. C’était un espace où l’on pouvait échanger des idées et envisager de nouvelles possibilités. La partie la plus gratifiante de cette expérience a été de voir ce lieu pourtant hostile se métamorphoser en un espace de réflexion.
Quand les femmes ont commencé à écrire des poèmes, elles ont pris l’habitude de m’interpeller par mon nom de famille. « Alves ! J’ai écrit un nouveau poème ! », « Alves ! Je viens de finir sept autres poèmes ! » Et je leur répondais : « Les filles, comment vous faites pour écrire sept poèmes en une matinée ? C’est dingue ! »
Les stylos étaient interdits dans le centre de détention, mais cela ne les a pas empêchées de trouver d’autres sources d’encre. Aujourd’hui, on peut y voir un peu partout des femmes en train de lire ou d’écrire. Pour préparer leur libération, certaines sont devenues surveillantes de classe pour les cours dispensés au sein de la prison.
L’éducation doit être une priorité au Brésil. Lorsque les gens sont privés d’éducation, leurs droits sont bafoués. Le Brésil veut construire plus de prisons, alors que l’État devrait investir davantage dans la construction de nouvelles écoles et dans l’entretien de celles qui existent déjà.
Avec la Quilombox, Amnesty International aide à veiller à ce que notre travail continue de permettre à d’autres personnes d’avoir accès à l’éducation. Il s’agit d’un ensemble d’outils d’aide à la mobilisation, qui sert aussi de projecteur. Ce support de transformation permet d’aborder les droits humains par le biais du slam, de la danse et du hip-hop. Ces outils ont été élaborés par plusieurs militants des droits humains à travers le pays. Ils sont simples et innovants, et parlent à beaucoup de personnes avec qui nous travaillons, comme les enfants, les adolescents et les autres jeunes.
Notre groupe va de succès en succès. Nous avons déjà publié plusieurs livres. Chaque sortie a été une aventure ; pour l’une d’entre elles, nous avons rencontré énormément de problèmes, mais lorsque l’événement a réellement commencé les gens achetaient 20, 50, 70 exemplaires d’un coup. C’était vraiment inattendu. Notre groupe a publié un autre livre intitulé La poésie donne des ailes. Quatre mois après sa sortie, nous étions invités à le présenter à l’un des plus grands salons du livre au monde.
Dans la mesure du possible, nous essayons de vendre nos livres de la main à la main, et nous les distribuons également à différentes écoles. L’écriture a vraiment un pouvoir de transformation. La poésie est une addiction, un outil puissant de changement. C’est le moment d’avancer. C’est le moment d’armer la jeune génération d’un raisonnement politique et de montrer que le changement dépend de nous. Ensemble, nous pouvons écrire notre propre avenir.
Cet article a initialement été publié dans le journal Positive News.