Le 1er juin promet d’être un jour historique pour les droits sexuels et reproductifs au Burkina Faso. En effet, l’État s’est engagé à fournir, à compter de cette date, des services de planning familial gratuits, notamment des contraceptifs et des consultations médicales. Il s’agit d’une décision longtemps attendue mais extrêmement positive qu’Amnesty International appelle de ses vœux depuis un certain temps. Néanmoins, pour qu’elle porte ses fruits et contribue véritablement à accroître la protection des droits des femmes et des filles, il faudra qu’elle soit soutenue par une campagne de sensibilisation nationale, associée à un développement des établissements de santé.
En 2016, Amnesty International a publié un rapport sur l’accès à la contraception et les mariages précoces et forcés au Burkina Faso. Les femmes et les filles interrogées dans le cadre de l’élaboration de ce rapport, en particulier celles qui vivaient en zone rurale, ont mis en évidence un certain nombre de facteurs qui les empêchaient d’accéder aux soins et services de santé sexuelle et reproductive.
Les freins à la contraception : coût, mariages précoces, rumeurs, stigmatisation,…
Elles ont notamment cité le coût, les actes d’intimidation et la stigmatisation, l’impossibilité de prendre les décisions les concernant, qui incombent souvent à des membres de leur famille, le manque d’information et l’absence d’éducation sexuelle complète, ainsi que l’insuffisance du nombre de structures accessibles qui fournissent des informations, des services et des produits. Plus de 375 femmes et filles ont fait part de leur expérience à nos chercheurs et chercheuses et presque toutes ont déclaré être fréquemment victimes de violence verbale ou physique lorsqu’elles évoquaient la question de la contraception avec leur partenaire. Beaucoup ont expliqué qu’elles étaient contraintes à aborder le sujet puisqu’elles devaient demander de l’argent à leur partenaire pour acheter des produits contraceptifs, étant donné qu’elles n’avaient pas la maîtrise de leurs ressources financières.
Le taux de mariages précoces et forcés au Burkina Faso est l’un des plus élevés au monde. Une fois marié, un couple est censé avoir des enfants le plus rapidement possible. Par ailleurs, le pays enregistre l’un des plus faibles taux d’utilisation de la contraception-19 % en 2014-et l’un des taux de mortalité maternelle les plus élevés au monde. Au niveau mondial, les décès en couches sont la deuxième cause de mortalité des filles de 15 à 19 ans. En outre, les filles de 19 ans et moins ont davantage de risques de subir des blessures qui les mettent en danger et changent le cours de leur vie, comme les fistules obstétriques-déchirures allant du vagin au rectum.
Le coût de la contraception a été souvent signalé comme un obstacle par les femmes que nous avons interrogées. Il influence en général le choix de la méthode. Ainsi, les femmes et les filles n’optent pas nécessairement pour le moyen de contraception qu’elles préfèrent mais pour le plus économique, celui disponible au centre de santé le plus proche ou celui qui peut être obtenu le plus discrètement. Faute de ressources financières suffisantes, elles ont recours à la contraception de manière sporadique, ce qui augmente la probabilité de grossesses non désirées, voire à haut risque.
Dans ce contexte, la promesse faite par l’État de fournir des services de planning familial gratuits pourrait être une planche de salut pour de nombreuses femmes et filles. Cependant, aussi bienvenue et importante que soit cette décision, il faut que les pouvoirs publics aillent beaucoup plus loin pour rendre les services de planning familial véritablement accessibles et protéger les droits des femmes et des filles.
Nécessité d’une campagne de sensibilisation sur la contraception
L’accès à la contraception doit aller de pair avec une campagne d’information et de sensibilisation du public de grande ampleur. Nombre de femmes et de filles nous ont dit qu’elles n’avaient jamais entendu parler de contraception avant d’avoir donné naissance à un enfant. Beaucoup d’entre elles, en particulier celles vivant en zone rurale, ont indiqué ne pas avoir été scolarisées, ou seulement pendant de courtes périodes, et n’avoir reçu ni informations par la voie associative ni éducation à la santé sexuelle et reproductive. Le manque d’éléments fiables et scientifiques peut engendrer des idées reçues, une désinformation et des rumeurs qui limitent l’utilisation de la contraception.
Ainsi, un certain nombre d’hommes interrogés par Amnesty International avançaient des idées reçues pour s’opposer à la contraception, notamment la croyance qu’elle rendrait leur épouse infidèle, pourrait être à l’origine d’une naissance gémellaire ou serait susceptible de provoquer la stérilité. Voici le témoignage de Binta (le nom a été modifié) : « J’ai eu mon premier enfant à 16 ans. J’ignorais tout de la contraception jusqu’à la naissance de mon quatrième enfant. Mes enfants ont moins d’un an d’écart. Au début, mon mari refusait que j’utilise une contraception, il disait qu’il ne serait pas responsable si ça me rendait malade. Si j’avais connu la contraception avant, j’aurais espacé les naissances parce que j’ai du mal à prendre soin de tous mes enfants. Mon mari disait qu’il me rejetterait si je prenais une contraception. Mais quand il s’est rendu compte qu’on avait beaucoup d’enfants et pas les moyens de nous en occuper, il a accepté. »
Outre une campagne de sensibilisation, l’État doit veiller à ce que toutes les femmes, qu’elles vivent en milieu urbain ou en zone rurale, puissent bénéficier de la gratuité des produits contraceptifs et des consultations médicales. Les femmes et les filles sont souvent obligées de parcourir de longues distances, parfois 15 kilomètres, pour se rendre dans un établissement de santé où sont fournis des informations, des services et des produits de santé sexuelle et reproductive. Ces établissements sont rares en zone rurale et les transports sont généralement onéreux et peu fiables. Ce problème est particulièrement exacerbé pour les femmes et les filles qui n’ont pas de ressources financières personnelles et dépendent de leur mari ou de leur famille. Bien que les autorités aient augmenté le nombre d’établissements de santé dans le pays ces dernières années, d’immenses disparités demeurent entre les villes et les campagnes.
L’État burkinabé a pris des mesures notables pour faire respecter les droits sexuels et reproductifs des femmes et des filles, comme le droit international l’y oblige. Alors que le 1er juin se rapproche, nous espérons qu’il tienne sa promesse de fournir des services de planning familial gratuits et aille beaucoup plus loin afin de garantir que ces services soient véritablement accessibles, et ce de façon équitable, à toutes les femmes et les filles, peu importe où elles vivent, et que les autres obstacles qui entravent l’accès à la contraception, comme le manque d’information, soient éliminés grâce à une campagne globale de sensibilisation au niveau national.