À l’heure où le monde attend le jugement de la Cour suprême sur la condamnation à mort injuste d’Aasia Bibi dans une affaire de blasphème, les extrémistes ont commencé à s’agiter sur Internet et ailleurs, en accentuant la pression exercée sur les autorités pour qu’elles confirment la peine prononcée.
Dans un tweet peu énigmatique, Rizvi Media, l’organe de presse du mouvement Tehreek-e-Labbaik (TLYR), a écrit : « Réfléchissez bien avant de prendre une décision. »
Le sort des personnes injustement accusées de blasphème dépend de cette affaire emblématique, qui a créé un climat de peur et d’hostilité parmi les Pakistanais, en particulier ceux qui ont une autre religion que l’islam sunnite.
Depuis l’assassinat de Salmaan Taseer, alors gouverneur du Pendjab, en 2011, je me suis entretenue avec des centaines de membres de minorités du Pakistan. L’impact du fait qu’il ait été tué pour avoir pris parti contre l’arrestation d’Aasia Bibi pour blasphème revenait souvent dans les conversations. Beaucoup de personnes ont affirmé que les minorités se sentaient en danger au Pakistan. Si un gouverneur n’a pas pu être protégé, alors qu’en est-il des minorités religieuses, qui sont exposées à un risque plus grand ?
Huit ans après, la situation semble empirer. Les poursuites pour blasphème se sont étendues à la sphère d’Internet et des gens ont été accusés pour de simples publications sur des réseaux sociaux.
En février dernier, une vidéo montrant un jeune homme blessé, Sajid Masih, a été largement relayée sur les réseaux sociaux. Sajid y affirmait avoir été torturé par un agent de la police judiciaire fédérale (FIA) qui lui avait ordonné d’avoir un rapport sexuel avec son cousin, nommé Patras. Ne pouvant supporter cette humiliation, Sajid aurait sauté du quatrième étage de l’immeuble de la FIA.
Patras Indreyas Masih, le cousin de Sajid, a été inculpé de blasphème et placé en détention par la police le 19 février après avoir été accusé d’avoir diffusé un message blasphématoire sur Facebook. La procédure, engagée par un sympathisant du TLYR, est passée en jugement le 30 avril.
L’avocat et la famille de Patras Masih soutiennent qu’il était mineur au moment des faits qui lui sont reprochés. Pourtant, les autorités l’ont poursuivi et jugé comme un adulte. Selon ses proches, bien que certaines allégations parues dans les médias précisent que sa carte nationale d’identité indique qu’il avait 21 ans, son âge y a été modifié pour qu’il puisse obtenir un emploi et subvenir aux besoins de sa famille qui a de faibles revenus.
L’avocat et la famille de Patras Masih soutiennent qu’il était mineur au moment des faits qui lui sont reprochés. Pourtant, les autorités l’ont poursuivi et jugé comme un adulte.
Son acte de naissance montre clairement qu’il est né en 2001, ce qui signifie qu’il avait 17 ans au moment de la publication incriminée. Le Pakistan est partie à la Convention relative aux droits de l’enfant, aux termes de laquelle tout enfant a droit à la liberté de religion et d’expression.
Les accusations et poursuites pour blasphème visant des mineurs ne sont pas un phénomène nouveau au Pakistan. Parmi les nombreux autres mineurs arrêtés pour blasphème figurent Salamat Masih (11 ans) à Gujranwala, Rimsha Masih (13 ans) à Islamabad, Nabil Chohan (16 ans) à Kasur, Ryan Stenton (16 ans) à Karachi et Aqib Saleem (15 ans), un ahmadi, à Gujranwala. Nabil Chohan est emprisonné depuis deux ans sans pouvoir consulter un avocat de son choix.
En plus des mineurs, la liste des citoyens pakistanais condamnés pour blasphème comprend également des femmes, des personnes âgées, des personnes atteintes de handicap mental, des enseignants, des lycéens et des étudiants.
En 2009, une procédure pour blasphème engagée contre une musulmane atteinte de schizophrénie, Zaibunnisa, a été annulée par la Haute cour de Lahore après qu’elle a passé neuf ans en prison et cinq dans un établissement psychiatrique.
La moindre suspicion d’allégation de blasphème suffit à mettre en danger la personne accusée et, dans le cas des minorités religieuses, tout sa communauté. En 2012, j’avais évoqué le cas d’un homme ahmadi acquitté dans une affaire de blasphème après avoir passé plusieurs années en prison aux côtés de militants extrémistes. Bien qu’il ait été innocenté, il a fini par vivre dans la clandestinité, sans pouvoir sortir de la ville où habitait sa famille. Finalement, il a dû fuir le Pakistan pour un endroit plus sûr pour lui et ses proches.
Des chrétiens et des ahmadis sont déplacés à l’intérieur du Pakistan et d’autres doivent quitter le pays ou solliciter l’asile ailleurs en raison du manque de protections et de la menace constante des lois relatives au blasphème qui pèse sur eux.
La moindre suspicion d’allégation de blasphème suffit à mettre en danger la personne accusée et, dans le cas des minorités religieuses, tout sa communauté.
L’impunité et la latitude dont bénéficient ceux qui utilisent les lois relatives au blasphème pour menacer et attaquer des minorités ne sont pas un mystère. Jusqu’à présent, aucune des personnes qui justifient et prônent la haine et la discrimination envers les populations les plus marginalisées de la société n’a été amenée à rendre des comptes.
Malgré la campagne menée depuis plusieurs décennies par des organisations de la société civile, des journalistes et des parlementaires pour que les lois relatives au blasphème soient modifiées afin de protéger le droit de tous les citoyens à la liberté de religion et d’expression, les autorités pakistanaises semblent réticentes à rendre la législation conforme au droit international et préfèrent rester dans le passé. Dans le même temps, la liste des victimes d’allégations de blasphème ne cesse de s’allonger.
Est-ce que le Pakistan naya [nouveau] prendra position contre la discrimination religieuse qui assaille les minorités depuis des décennies dans le Pakistan purana [ancien] ?
Aujourd’hui, les parents de Patras Masih sont déplacés loin de chez eux à cause des menaces qu’ils ont reçues depuis que leur fils a été accusé. Il est temps que l’appareil judiciaire fasse le nécessaire afin que les allégations de blasphème ne soient plus utilisées pour faire taire des citoyens pakistanais et violer leurs droits humains.