Chili, pour un changement fondé sur la justice Par Pilar Sanmartín, chargée de recherches à Amnesty International sur la question des crises dans les Amériques

Chili - le parquet continue d'enquêter

Le parquet chilien continue d’enquêter, apparemment de façon maintenant très sérieuse, sur plusieurs fonctionnaires ou anciens fonctionnaires chiliens, comme l’ancien président Sebastián Piñera, l’ancien directeur général des carabineros (police nationale en uniforme) Mario Rozas, et l’actuel directeur général des carabineros dans le gouvernement du président Gabriel Boric, Ricardo Yáñez, pour des agissements ou omissions présumés concernant les violences policières commises lors des manifestations de masse de 2019.

Ces enquêtes concordent avec ce qu’Amnesty International a dénoncé dans son rapport Ojos sobre Chile : Violencia policial y responsabilidad de mando durante el estallido social. À l’époque, le Chili avait attiré l’attention sur lui au niveau mondial en devenant le pays détenant le record du nombre de personnes victimes d’un traumatisme oculaire provoqué par des fonctionnaires de police.

Les petits mouvements de protestation isolés à Santiago se sont transformés en quelques jours en manifestations de masse organisées dans tout le pays réclamant un enseignement et un système de santé publique de qualité, la sécurité sociale et un travail digne. Le mal-être ressenti dans la société qui couvait depuis plusieurs décennies a explosé de façon inattendue. Mais la réaction des carabineros du Chili a été encore plus surprenante.

Les carabineros et le gouvernement du président alors en poste, Sebastián Piñera, se sont efforcés de présenter les manifestations comme des actes de vandalisme justifiant le recours à la force en raison de « graves troubles à l’ordre public » et d’« atteintes à la propriété publique et privée » [1]. L’utilisation de cocktails Molotov et les jets de pierre contre la police, qui ont pourtant été des actes isolés, ont été le prétexte utilisé par les autorités pour justifier la répression qu’elles ont exercée. Les réseaux sociaux ont été inondés d’images de violences policières manifestement démesurées.

Ne serait-ce qu’entre le 18 octobre et le 30 novembre 2019, trois personnes au moins ont été tuées par des agents de l’État, et quelque 12 500 personnes ont dû recevoir des soins urgents selon le ministère de la Santé.

Ce que les carabineros et le gouvernement ont décidé de méconnaître, c’est que le droit international relatif aux droits humains et le droit interne chilien font passer la protection des personnes devant celle des biens meubles et immeubles, pour une raison très simple : la valeur de la vie face à la valeur des choses, et la possibilité de réparer les choses, mais pas la vie.

La méconnaissance de ce principe fondamental a conduit à une catastrophe, et le parquet et le pouvoir judiciaire vont peut-être considérer que le commandement des carabineros qui a permis cela doit en répondre pénalement.

L’utilisation par la police chilienne de fusils chargés avec des munitions très dangereuses et qualifiées dans les discours officiels de « balles en caoutchouc » figure au nombre des agissements les plus graves commis par la police chilienne. Il s’agissait de cartouches contenant 12 projectiles en caoutchouc et en métal qui transpercent la peau, qu’il est impossible de diriger et que les carabineros ont tirées de manière aveugle. Les balles en caoutchouc, qui sont utilisées de façon exceptionnelle, doivent toujours être dirigées contre une unique personne, et seulement si cette personne met en danger la vie ou l’intégrité d’un tiers.

Malgré les preuves et l’augmentation du nombre de blessures jour après jour, les autorités, notamment le commandement des carabineros, n’ont cessé d’affirmer que les balles utilisées étaient en caoutchouc, car c’est ce qu’indiquaient les informations relatives aux achats de munitions. Cela revient à affirmer qu’un tigre est un chat uniquement parce que c’est ce que le vendeur a dit.

L’une des plus grandes tragédies, c’est le nombre très élevé de personnes qui ont subi un traumatisme oculaire, dans la plupart des cas à cause de munitions tirées au moyen de fusils Hatsan Escort. En l’espace d’un mois et demi, près de 350 personnes, des jeunes pour la plupart, ont ainsi subi de façon injustifiée une invalidité permanente.

Alors que de nombreux mouvements populaires de mécontentement ont eu lieu sur ce continent au cours des cinq dernières années face à l’incurie des gouvernants et à cause de leurs politiques, de l’impunité et de la corruption, et du manque de possibilités alors que les richesses sont aux mains d’un petit nombre d’individus, le Chili pourrait devenir l’exemple dont les Amériques ont besoin, en montrant que cela vaut la peine d’exiger le respect des droits et que cela mérite le respect.

Aucune société ne peut avancer dans la bonne direction sans justice. Le changement ne peut pas se faire au prix des souffrances des victimes, car il serait alors très fragile. Il faut donc que les enquêtes progressent et à leur suite des procédures pénales devront être engagées contre tous les individus présumés responsables des séquelles et des souffrances endurées par ces si nombreuses personnes qui ont lutté pour que le Chili devienne un pays meilleur.

Dans son rapport Ojos sobre Chile, Amnesty International a demandé une enquête sur le commandement stratégique des carabineros, au moins sur les directeur général, sous-directeur général et directeur de l’ordre public et de la sécurité de l’époque. Le moment est venu pour le parquet de décider s’il prononce, sur la base de preuves suffisantes et admissibles, des inculpations, et il est grand temps que la justice progresse.

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