Peut-être connaissez-vous Yu Wensheng, cet avocat chinois spécialiste des droits humains emprisonné à tort. Pour moi, il est le mari qui a toujours insisté pour parler à son futur bébé lorsque j’étais enceinte de notre fils.
« Bébé, je suis ton père. Je t’aime. » La même phrase à chaque fois et, bien sûr, pas de réponse.
Puis, un matin, au bout de quelques mois, il a répété : « Bébé, je suis ton père. Papa t’aime… Tu m’entends ? Si oui, donne un coup de pied. »
J’ai soudain senti mon ventre exploser sous les mouvements de mon bébé. Yu était tellement surpris qu’il est tombé du lit ! Depuis ce moment-là, il était persuadé que le bébé pouvait l’entendre. Il a poursuivi ces conversations avec notre futur fils, jusqu’à sa naissance.
Notre enfant a aujourd’hui 15 ans et il n’a pas vu son père depuis deux ans et demi. Pas plus que moi.
Mon époux a été interpellé le 19 janvier 2018, peu après avoir écrit une lettre ouverte critiquant le pouvoir en République populaire de Chine et appelant à une réforme constitutionnelle. Les autorités ont déclaré qu’il était soupçonné d’« incitation à la subversion de l’État » et d’« entrave à agent dans l’exercice de ses fonctions ».
Le mois dernier, il a été condamné à quatre ans de prison et privé de ses droits politiques pendant trois années supplémentaires. Je suis restée calme lorsque j’ai reçu l’appel de deux minutes me l’annonçant. Puis j’ai fondu en larmes.
Yu avait représenté plusieurs personnes arrêtées et inculpées dans le cadre de la répression « du 9 juillet », qui a débuté il y a cinq ans, lorsque les autorités chinoises ont interpellé plus de 200 avocat·e·s et militant·e·s. Il se trouvait en première ligne du combat pour les droits des personnes touchées par la répression – jusqu’à ce qu’il perde lui-même sa liberté.
Yu Wensheng a toujours travaillé dur pour sensibiliser aux droits humains. C’est un avocat courageux et altruiste qui défend les droits et qui est pris pour cible uniquement parce qu’il a exercé sa liberté d’expression et ses fonctions.
Lorsqu’il a été placé en détention, j’ai moi aussi commencé à subir des actes d’intimidation. La police a menacé de m’arrêter si je continuais à défendre les droits fondamentaux, accorder des interviews aux médias ou communiquer avec des personnes en dehors du pays. Parfois, ils arrivaient et frappaient à ma porte la nuit. Je fais toujours l’objet d’une surveillance étroite – les policiers me suivent souvent lorsque je sors.
Mais je suis têtue. Je refuse de baisser les bras et mets tout en œuvre pour défendre les droits de mon époux.
J’ai demandé au gouvernement chinois de l’acquitter. Je me suis rendue dans les bureaux du gouvernement à Xuzhou, Jiangsu et Pékin, pour tenter de découvrir ce qui s’est passé dans l’affaire de Yu et réclamer sa libération. J’y suis allée plus de 60 fois. J’ai écrit quelque 300 lettres aux autorités, et n’ai reçu aucune réponse. Chaque étape fut très difficile, mais quelle satisfaction d’être portée par le soutien et le respect de tant de personnes.
J’ai toutefois payé le prix fort pour avoir défendu les droits de mon mari. Ma santé en a souffert, tout comme les finances de notre famille. Je ne le regrette absolument pas, car je sais que Yu Wensheng est innocent.
J’avais l’espoir que la justice chinoise agirait dans la légalité. Hélas, l’équité, la justice et l’état de droit n’étaient pas au rendez-vous, et mon époux est encore derrière les barreaux.
Je n’ai toujours pas été avertie officiellement des charges pesant sur Yu, ni de la possibilité de faire appel. Je ne sais pas dans quelle prison il est incarcéré, j’ignore s’il est en bonne santé et s’ils me laisseront le voir, ainsi que notre fils.
Nous avons pu lui parler en appel vidéo deux mois environ après son arrestation. Depuis, plus rien. Les lettres que nous lui avons écrites sont revenues. Le système judiciaire chinois prive complétement Yu Wensheng de ses droits légaux.
Je dois continuer. J’espère qu’il sera enfin acquitté et qu’il pourra conserver sa licence d’avocat.
Je ressens une immense gratitude à l’égard de celles et ceux qui nous soutiennent et je vous demande de continuer de suivre son cas. Yu ne pourra sans doute pas nous répondre tout de suite mais, tout comme avec notre petit garçon, je sais que d’une manière ou d’une autre, nos messages lui donnent de la force.