Je suis née en avril, il y a 44 ans. Je suis tombée enceinte en avril 2006. Je suis une femme d’avril - et j’ai acquis l’esprit de la maternité en avril, le mois de la naissance et de la croissance. Je ne pense pas que ces deux événements - ma naissance et le fait que j’ai donné la vie à deux êtres humains dans ce monde – soient le fruit du hasard, je ne pense pas que le fait que je sois une femme soit le fruit du hasard.
Je pense aussi à l’époque où j’étais une étudiante en physique à l’université. J’ai commencé mes activités civiles et politiques à l’université et ni les arrestations ni les interrogatoires du ministère des Renseignements et des services de sécurité de l’université ne m’ont arrêtée. Il était totalement en mon pouvoir maintenant de choisir qui je voulais « devenir ». Je voulais m’opposer à la « définition » déraisonnable de la liberté et de la justice dans la société, même si mes parents ont parfois montré leur désaccord par crainte de la douleur et la gêne que mes activités risquent de leur causer. Avais-je le « droit » de « choisir » ma vie et de « devenir », quelqu’un contre la volonté de ma famille, surtout de mon père et de ma mère ?
Au cours de mes activités, j’ai fait la connaissance de Taghi. Je l’ai « choisi » comme mari. Taghi a été libéré après 11 ans d’emprisonnement et avait immédiatement commencé ses activités socio-politiques, et j’ai choisi de « devenir » l’épouse d’un homme qui, j’en étais sûre, devrait subir de lourdes conséquences et difficultés en raison de son engagement. Et j’ai vécu sa première arrestation alors que j’étais une jeune mariée. Je « suis devenue » enceinte et j’ai donné naissance à un enfant. J’ai choisi de « devenir » une mère.
Je ne pouvais pas me contenter de ma fausse liberté et être avec mes enfants pendant que la société devenait un désert, je ne pouvais pas réduire le sens de la liberté à celui d’être uniquement une mère avec ses enfants, car ce type de liberté est en fait une captivité sans limite.
Pouvais-je choisir à la fois de « devenir mère » et de « devenir une militante des droits humains » ou devais-je renoncer à l’un de ces deux choix, compte tenu de la réalité ?
Quand je suis née, je n’ai pas choisi de venir dans ce monde. Je suis née femme et cela n’a pas été mon choix non plus (même si je ne considère pas cela comme le fruit du hasard), mais quand j’ai grandi, j’ai choisi de « devenir une militante des droits humains », de « devenir l’épouse d’un militant politique », de « devenir mère » avec pleine conscience et de ma propre volonté.
J’ai lié la lutte, la féminité et la maternité et, au cours de la vie, j’ai été écartelée entre les désirs humains et les « définitions » fausses des « êtres humains dans la société », de la « femme dans la famille » et du fait d’« être mère ». J’ai choisi un chemin plein d’obstacles et de difficultés, mais je l’ai choisi de façon responsable. J’aime ma mère, mais cela n’a pas arrêté mes activités parce que ne pas prendre ce chemin était la recherche de la facilité, justifiée par le devoir éthique envers mon père et ma mère, alors qu’en prenant ce chemin, j’ai reconnu ma responsabilité, et j’ai préféré la responsabilité au confort et à la commodité.
Un jour, je suis devenue mère, et j’ai été confrontée au même dilemme, mais sous une forme différente. Je me suis demandé si je devais cesser de me sentir responsable et maîtriser la passion de mon esprit et de mon âme et rester à la maison pour assumer la responsabilité de la maternité définie il y a des siècles, juste parce que le paradis est promis aux mères qui agissent d’une certaine manière qui a été dictée par certaines individus.
J’étais en même temps assaillie d’autres questions telles que : Doit-on cesser de critiquer une société sombre et étroite qui fait preuve d’injustice sous forme de peine de mort, d’emprisonnement, de placement à l’isolement, de torture, de pauvreté, de corruption, de prostitution, de mensonge, de chômage, de choix politiques menant à la dépression de la jeunesse et de discrimination à l’encontre les femmes dans le seul but d’être autorisée à atteindre ce paradis utopique promis à une mère ?
Quelle est cette vertu de la maternité qui, lorsqu’elle est atteinte, vous conduit à la croisée des chemins et vous font surgir de nombreuses questions et des doutes sur la vie personnelle, familiale et sociale ? Une mère est-elle juste une machine à reproduction pour élever des êtres humains et qui se modernise grâce à la technologie moderne ? Ou bien la maternité est-ce l’incarnation d’un être humain dans l’utérus d’une femme, ou même le fait d’insuffler une âme à un être humain dans le sein d’une femme, qui révèle l’amour et la compassion dans le processus de création et de naissance ?
L’amour maternel n’est pas seulement l’amour pour l’enfant formé dans son propre sein, mais l’amour pour toute l’humanité et la société. Dans le cas contraire, cet amour ne peut pas nous réunir tous ensemble pour bâtir une paix durable dans le monde. Si l’amour d’une mère se limite à ses enfants et ignore les conditions de la vie humaine et les conditions de la société et le monde auquel nous appartenons, il conduit à l’égoïsme, à la division et même à la guerre. Par conséquent, la maternité doit faire preuve d’un plus grand esprit critique et les mères doivent se rappeler que la responsabilité envers leurs enfants est la responsabilité à l’égard de la prochaine génération.
J’adore mon cher Ali et ma chère Kiana, mais je ne pouvais pas et ne voulais pas fermer les yeux pour ne pas voir les enfants qui travaillent et qui sont plus petits que la hauteur du pare-chocs des voitures dans la ville, ne pas voir les visages des femmes brûlés à l’acide par des fanatiques et des agresseurs ignorants dont pas un seul n’a été traduit en justice. Je ne pouvais pas ne pas voir mes concitoyens kurdes, privés d’un procès équitable et condamnés à mort par pendaison. Je ne pouvais pas me contenter de ma fausse liberté et être avec mes enfants pendant que la société devenait un désert, je ne pouvais pas réduire le sens de la liberté à celui d’être uniquement une mère avec ses enfants, car ce type de liberté est en fait une captivité sans limite.
Et aujourd’hui, c’est mon anniversaire et le jour de mon procès. Un procès où on me reproche de défendre les droits humains, de mener des activités féministes et de lutter contre la peine de mort, d’avoir rencontré Mme Catherine Ashton, d’avoir milité pour que les prisonniers politiques soient remis en liberté et qu’il soit mis fin à la résidence surveillée des dirigeants du mouvement vert et d’avoir milité pour l’accomplissement de la société civile. Et cette coïncidence, à l’âge de 44 ans, c’est pour moi un message qui me révèle ma raison d’être, le processus de mon « devenir », mon « devenir une épouse, une mère, une militante des droits humains, et maintenant une détenue ».
Je suis ravie et exaltée par ce processus agréable de devenir moi-même malgré la douleur et les souffrances. Et ceci est le point culminant de la puissance d’une femme, d’une épouse et d’une militante des droits humains dans un pays appelé l’Iran. Je veux rester une militante des droits humains avec mon amour maternel et tous mes traits féminins. Même si unir ces trois composantes de mon être me cause des affres de douleur dans le cœur et me remplit les yeux de larmes comme pleurent les nuages de printemps.
Ceci est la raison de ma venue au monde, un matin il y a 44 ans. Je suis une mère qui souffre à cause de ma séparation d’avec mes deux enfants bien-aimés, l’épouse fidèle de mon mari et une fille aimante pour ma mère. Je crois fermement aux droits humains et je ne renoncerai jamais à tenter de m’accomplir dans mon pays, même si chaque anniversaire de ma vie est comme le jour de mon procès, le procès pour être née, être une femme, être une mère et être une militante des droits humains.