Colombie. « Ici, tout n’est pas rose » Par Erika Guevara-Rosas, directrice du programme Amériques à Amnesty International

La signature, il y a deux ans, de l’Accord de paix entre la guérilla des FARC-EP et l’État colombien a suscité un sentiment d’espoir parmi les populations les plus affectées par l’un des pires conflits armés de la région. Les chants de louange des femmes de Bojayá, dans le Chocó, une des zones les plus touchées par la violence, ont fait partie des manifestations de soutien à ce processus.

Ces femmes « alabaoras » représentent un symbole de résistance pacifique et leur présence lors de la signature historique de ce compromis constituait un message fort en faveur de la réconciliation. Leurs chants de louange, où la douleur côtoyait l’espoir, appelaient notamment à ce que les violences commises dans leur région ne se reproduisent jamais. Elles ont fait entendre leurs voix pour demander que les victimes du conflit armé ne soient pas oubliées.

Mais on entend également résonner les paroles d’une courageuse défenseure des droits humains du Chocó, qui dénonce la lenteur de la mise en œuvre de l’Accord et qui dit bien que « ici, tout n’est pas rose ». Cette « paix totale », que les victimes du conflit armé ont soutenue et construite peu à peu, reste lointaine.

Historiquement, les zones rurales ont été les plus touchées par le conflit armé en Colombie. Elles continuent de connaître de multiples formes de violence, sans que le gouvernement actuel ne prenne réellement de mesure pour mettre fin à cette situation, ce qui ne fait qu’accroître le désespoir de la population. Les autorités persistent dans une attitude qui consiste à ignorer les victimes. Deux ans après la signature de l’Accord, les progrès paraissent bien lents et les obstacles auxquels se heurtent les victimes pour obtenir gain de cause sont chaque fois plus importants.

D’une part, le président de la République, Iván Duque, affirme vouloir poursuivre la mise en œuvre de l’Accord, sous réserve de la révision de certaines de ses dispositions. Cette position se traduit automatiquement par un manque d’empressement de la part des autorités nationales et locales à appliquer ledit Accord. Le Congrès est de son côté noyauté par des hommes et des femmes politiques aux ordres des intérêts privés de ceux qui continuent de défendre le statu quo et qui prétendent exonérer les chefs de la hiérarchie militaire de leurs responsabilités dans les graves violations des droits humains commises.

Il semble que les autorités colombiennes préfèrent se perdre en débats stériles plutôt que de consacrer tous leurs moyens à protéger la vie des personnes et des populations.

Une telle protection exige non seulement que la sécurité individuelle des personnes menacées soit assurée, mais également que les pouvoirs publics se fixent pour priorité de garantir les droits fondamentaux à la santé, à l’éducation et à un travail décent, ainsi que toutes les conditions permettant aux citoyens et aux citoyennes de vivre dignement et dans le respect de la justice sociale, comme le prévoit la Constitution de 1991 et le confirme le texte de l’Accord de paix. 

Le bilan est négatif. Ceux et celles qui défendent les droits humains dans leurs villes ou leurs campagnes continuent d’être la cible de tueurs. De même, de nombreuses personnes continuent d’être victimes de déplacements forcés, comme c’est le cas de plus d’un millier d’hommes, de femmes et d’enfants contraints d’abandonner leurs terres dans le Catatumbo en raison de combats entre l’Armée de libération nationale (ELN) et l’Armée populaire de libération (EPL) et de l’absence de réaction réelle de la part de l’État. Les groupes paramilitaires continuent quant à eux de sévir en toute impunité, comme si de rien n’était. Les chiffres ne parviennent à traduire les conséquences désastreuses de cette situation pour le tissu social de la Colombie.

Il est aujourd’hui urgent de lancer un appel à ne pas baisser la garde. Les mouvements sociaux doivent continuer de se mobiliser pour la justice. Les étudiants doivent maintenir la pression. Les peuples indigènes du Chocó, qui ont organisé un minga (large rassemblement de peuples indigènes destiné à s’exprimer sur un thème collectif) consacré à la vie, ne doivent pas faiblir, et les « alabaoras » doivent rester pour nous une source d’inspiration dans la lutte en faveur de la justice et de réparations intégrales pour les victimes.

L’Accord de paix n’était que le symbole du début d’un processus destiné à ramener la paix en Colombie. Il nous reste un long chemin à parcourir. Le respect des droits des victimes est et restera notre phare.

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