Comprendre la catastrophe humanitaire en cours à Idlib Par Benjamin Peltier, coordinateur Syrie à Amnesty International Belgique francophone

Syrie Idlib Alep guerre

Depuis 2015 et le début de l’intervention russe en Syrie, le régime syrien a pu, avec l’aide de ses alliés, progressivement reprendre les différentes zones tenues par l’opposition armée. On se souvient des reprises d’Alep et de Deraya en 2016, ou de la Ghouta orientale et de la région de Deraa en 2018.

Encercler, bombarder et déporter vers Idlib : la même méthode employée par le régime syrien et ses alliés.

À chaque fois ce fut la même méthode : le régime et ses alliés russes et iraniens soumettaient les zones à une situation de siège, empêchant tout ravitaillement pendant des mois ou des années. Avant de lancer l’assaut sur des enclaves détruites et exsangues. Et à chaque fois cela se terminait de la même façon : les populations, civiles et militaires, se voyaient déportées, parfois de force, vers la dernière grande zone tenue par l’opposition armée : la province d’Idlib.

Ainsi, celle-ci initialement peuplé d’un million et demi d’habitants, a au moins doublé de taille notamment avec l’arrivée massive de déplacés internes. On estime à 3 ou 4 millions la population dans l’enclave.

C’est maintenant à cette dernière zone que le régime et ses alliés s’attaquent. La présente offensive a commencé en décembre, et pas seulement via des moyens militaires, comme Amnesty le dénonçait alors. La Russie est parvenue à faire bloquer à l’ONU le renouvellement d’une résolution sur l’aide humanitaire à la région via la frontière turque, permettant de facto une situation de pénurie grave tant au niveau alimentaire que médical. Situation qui n’a été qu’en s’aggravant avec une campagne massive de bombardements aériens. Ainsi Amnesty décrivait : « depuis novembre 2019, le gouvernement syrien, soutenu par la Russie, a intensifié ses attaques sur des zones densément peuplées, en utilisant des armes à sous-munitions, des barils explosifs et des armes incendiaires. Ces attaques ont tué des centaines de civils et détruit et endommagé des infrastructures civiles telles que des hôpitaux et des écoles. Les frappes aériennes visent également les bâtiments résidentiels et les champs agricoles, détruisant les cultures vivrières.  »

Pris au piège à Idlib, sans structure médicale, touchés par le froid, les civils tentent malgré tout de survivre

Depuis le début de l’année 2019, l’OMS estime que ce sont 53 structures médicales qui ont dû fermer leur porte : soit parce que détruite ou endommagée, soit parce que le personnel avait été tué ou avait dû fuir.

Enfin, cela s’est accompagné d’une offensive au sol visant à récupérer les deux autoroutes passant par la province d’Idlib (la M4 et la M5) et conduisant le régime à reprendre près de la moitié de la zone dont plusieurs grandes villes (Saraqeb, Maaret al Nouman) maintenant vidées de leur population et en ruine.

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Ces populations ont donc dû partir en quelques heures de leur maison et fuir vers le nord, où se trouve la frontière turque. Celle-ci est maintenue fermée depuis 2015 par la Turquie qui a voulu arrêter le flux de réfugiés syriens vers son territoire (3,6 millions y étaient déjà installés). Résultat : la zone frontalière, déjà parsemée de camps de fortune a vu arriver un million de déplacés supplémentaires en quelques semaines. Une quantité impossible à absorber au vu de la faiblesse des moyens humanitaires disponibles sur la zone. Ainsi des dizaines de milliers de familles ont dû dormir dehors, sans même une tente au-dessus de la tête, le tout dans des températures négatives. Après les bombes, voilà que c’est le froid qui tue aussi.

Amnesty rappelle l’urgence de mettre en place des actions humanitaires et judiciaires en Syrie pour protéger les civils

Dans ce contexte, il apparaît que les violations des droits humains et des règles internationales sont massives. Il y aurait énormément de choses à réclamer ; voici quelques points qu’Amnesty désire mettre en avant :

  • Eviter les morts civils et les graves violations constatées précédemment dans d’autres régions de la Syrie comme la ville d’Alep et la Ghouta orientale. Toutes les parties au conflit doivent s’abstenir d’attaquer les civils et les infrastructures civiles. Elles ont l’obligation, en vertu du droit humanitaire international, de prendre toutes les mesures possibles pour protéger les civils ;
  • L’acheminement transfrontalier de l’aide humanitaire, dont dépendent quatre millions de personnes à Idlib, a offert une bouée de sauvetage aux civils du nord de la Syrie, qui souffrent depuis des années d’un accès très limité aux services essentiels tels que l’eau potable et les soins de santé vitaux. Les membres du Conseil de sécurité devraient assurer le renouvellement du mécanisme établi dans la résolution 2165 permettant la livraison transfrontalière de l’aide humanitaire des Nations unies à la Syrie.
  • Le gouvernement syrien a attaqué plusieurs hôpitaux à Idlib et Hama alors qu’il savait que c’était là que se trouvaient les installations médicales. Le gouvernement syrien doit immédiatement mettre fin aux attaques contre les hôpitaux et autres biens civils : https://www.amnesty.be/infos/actualites/article/syrie-attaques-illegales-des-forces-gouvernementales-contre-des-civils-et-des
  • Le gouvernement syrien doit mettre fin à l’utilisation de bombes à sous-munitions et de « bombes barils » non guidé, interdites au niveau international, sur les civils et les biens civils. Ces types d’armes causent des dommages terribles et des souffrances à long terme aux civils. Pour plus d’informations (septembre 2018) : https://www.amnesty.be/infos/actualites/article/syrie-les-attaques-illegales-s-intensifient-alors-que-se-profile-l-offensive

La population civile d’Idlib n’a pas besoin de compassion mais d’actions

Je ne peux que constater un désintérêt massif pour ce qui se passe en Syrie, alors même que ce conflit vit probablement une de ses pages les plus tragiques, si pas la plus tragique.

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Il y a quelques jours, Mark Cutts, le coordinateur régional de l’ONU pour la Syrie, affirmait : «  il y a environ un million de personnes déplacées qui vivent dans des camps et des abris de fortune dans cette région et si les bombardements et les frappes aériennes se poursuivent dans cette zone, nous allons assister à un bain de sang […] Nous allons assister à un massacre d’une ampleur jamais vue dans toute cette guerre. »

Face à cela, les maigres condamnations répétées du bout des lèvres par une communauté internationale démissionnaire, ne changeront rien. Comme l’expliquait Kristyan Benedict, responsable pour la Syrie à Amnesty International UK, «  les condamnations ne dissuadent pas Assad. Sa stratégie intransigeante et ses années d’accords rompus excluent d’espérer le restreindre via la diplomatie. Assad compte sur les États pour maintenir leur position tacite : que ces populations sont les mauvais types de civils à protéger. »

Et la conclusion de ce billet, je la laisserai à des Syriens, qui, sur un pan de mur restant d’un bâtiment bombardé, ont écrit : « Dear world, we don’t need sympathy, we need action. »

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