Au Liban, les femmes issues de populations réfugiées et migrantes sont confrontées à des conditions de vie déplorables, à la violence, au racisme et à des conditions de travail tenant de l’exploitation. Les représentant·e·s des populations migrantes dénoncent ensemble les mauvais traitements et l’exploitation, formant ainsi chaque jour de nouveaux mondes avec leurs poings.
Amnesty International s’est associée avec Fearless Collective (Collectif courageux), une organisation spécialisée dans la narration, pour créer une fresque au cœur de Beyrouth afin de rendre hommage à leur travail de plaidoyer.
Les deux organisations se sont inspirées du pouvoir du poing, en explorant son rôle prépondérant dans notre combat pour la justice. Notre avenir est écrit dans nos poings. Les poings sont levés, contestataires, et les mains sont tendues, solidaires. Les poings serrent des plans vers de nouveaux départs, soulèvent des montagnes et créent de nouveaux mondes.
Le quartier de Mar Mikhael est le cœur de la vie nocturne de Beyrouth. Pour certains, il apparaît comme un lieu d’affluence où il est très facile de faire de nouvelles rencontres ; mais pour les travailleurs migrants, il est parfois synonyme de forte isolation, d’exploitation et d’invisibilité. Dans une rue où s’alignent les cafés et les bars branchés, un graffiti dit : « Femmes de ménage, pas esclaves ! ». Il appelle à la fin de la kafala au Liban, un système de parrainage pour l’obtention d’un visa de travail qui s’apparente à de l’exploitation et qui, en substance, lie les travailleurs migrants à leur employeur. Avec la kafala, les employeurs jouent le rôle de « parrains » officiels (appelés « kafils ») des travailleurs migrants dès que ces derniers entrent sur le territoire libanais.
Un groupe de défenseur·e·s des droits humains qui travaillent pour différents mouvements de justice sociale libanais s’est rassemblé à la limite du quartier de Mar Mikhael pour participer à un atelier organisé par le collectif Fearless. Ce jour-là, le thème était « Desserrons les poings ».
Les membres du groupe se sont présentés dans quatre langues différentes. Il y avait une mère et sa fille qui venaient de Syrie et militaient pour les droits des femmes et des enfants, ainsi que des employées de maison d’Éthiopie et du Sri Lanka qui luttaient contre les conditions de travail s’apparentant à de l’exploitation. Il y avait également des Libanaises qui se battaient pour que la législation paternaliste du Liban en matière de garde des enfants soit modifiée, et des journalistes en campagne contre la censure et les violations des droits humains.
Fearless utilise le rituel comme outil de catharsis et de narration. Au cours de ce rituel, les militant·e·s ont donné corps à leurs émotions et ont exploré les différentes manifestations du courage. Assis sous une tente, à la lumière des bougies, le groupe s’est servi de ses poings pour créer de nouveaux rythmes en imitant des rituels de contestation universels. Lorsque les militant·e·s donnaient un coup de poing dans leur main et levaient le poing, Fearless leur demandait : « Qu’est-ce qui n’a pas réussi à vous briser ? ».
Le poing levé, toutes les personnes ont parlé des systèmes, des personnes et des violences qui ont tenté de les anéantir, sans succès. Chaque histoire comportait la source de leur résilience.
Dans la seconde partie du rituel, les participant·e·s ont desserré leur poing et tourné leurs paumes vers le haut pour répondre à la question : « Que réserve l’avenir ? ». Il y a eu des réponses comme :
« Je veux voir une femme au pouvoir, et des femmes indépendantes [partout dans le monde]. »
« Si Dieu le veut, notre pays sera meilleur [et sera redevenu le nôtre]. »
« Une vie paisible, j’espère, pour moi et pour tous les autres, dans tous les pays. »
Après l’accomplissement du rituel, les participant·e·s ont parlé de leur représentation sur la fresque. Chaque personne a utilisé son corps pour créer des images de pouvoir, en réfléchissant aux poses qu’elle prenait ; il y avait des militant·e·s avec le poing levé, des balais et des faucilles à la main, et des défenseur·e·s des droits humains qui tendaient la main vers le soleil.
Cependant, après avoir réfléchi plus longuement à leurs aspirations, un autre type de représentation est apparu : une image de tranquillité. Dans le futur que nous souhaitons, nous ne voulons plus nous battre.
Appuyées dos à dos, entourées par des herbes apaisantes, trois personnes prennent le thé, détendues dans un jardin. Que nous réserve l’avenir ? Le droit universel au repos.
Le travail de Fearless est un mélange d’arts visuels et de spectacle vivant. Pendant que les membres du groupe imitent la fresque telle qu’ils se la représentent, ils sont pris en photo. Ensuite, Fearless projette les images sur des murs, dans les rues de Mar Mikhael. Ces visages (désormais) familiers sur les murs symbolisent les environnements sûrs et sacrés dans lesquels les membres du groupe veulent vivre.
Des musiques arabes s’échappent des bars, et un groupe de travailleuses migrantes que l’on ne verrait normalement qu’en train de servir, nettoyer ou cuisiner commence à peindre des autoportraits.
Tout au long de la semaine, des membres de ces populations ont desserré les poings, plongé leur pinceau dans de la peinture bleu lavande et vert cendré, et inscrit leurs espoirs et leurs rêves sur leurs paumes ouvertes. Des participant·e·s à l’atelier, qui pour la plupart sont souvent sous-représenté·e·s dans l’espace et les politiques publics, ont posé avec des descriptions de leur futur inscrites sur leurs paumes. Ils et elles ont également réalisé les portraits exposés dans les rues branchées de Mar Mikhael, le cœur de la vie nocturne beyrouthine.
Pour ces personnes qui sont trop souvent invisibles dans la société, ces portraits sont un moyen de se réapproprier leur identité de migrant·e·s, de réfugié·e·s et de défenseur·e·s des droits humains.
Tsigerada est travailleuse migrante et elle gère les réseaux sociaux d’EngnaLenga, une initiative pour les droits des personnes migrantes menée en Éthiopie. Elle a été témoin d’expériences très dures lorsqu’elle était employée de maison au Liban.
« Notre travail nous confronte à beaucoup d’épreuves. Des employées de maison meurent chaque jour. Cela me brise le cœur, mais cela ne me brisera pas, moi. Nous devons nous rassembler et construire des réseaux avec des dirigeant·e·s qui partageront les informations. Je suis forte. Je suis en train d’accomplir des choses dont certaines personnes me pensaient incapable. »
« Avec ce qu’il s’est passé, avec la guerre... nous avons perdu nos droits. Mais je suis plus forte que tout cela, parce que je suis certaine que notre avenir sera meilleur, après la guerre, l’injustice, la destruction et les bombes... Nous sommes plus fortes que tout cela. » - Raghad, 17 ans, militante libanaise pour les droits des enfants et des réfugiés syriens.
Tout au long de la semaine, les participant·e·s à l’atelier ont grimpé sur des échafaudages, pinceaux à la main, pour écrire un poème sur le mur de leurs avenirs communs.
Tandis que les dernières touches étaient apportées à la fresque, ce nouveau réseau s’est rassemblé pour célébrer son œuvre. Une travailleuse du Sri Lanka a revêtu de magnifiques habits traditionnels, pendant qu’un groupe d’hommes syro-palestiniens donnait un cours de dabkeh, une danse traditionnelle. Les yeux sur la fresque, tout le monde a mangé des spécialités sri-lankaises et palestiniennes faites maison. Le texte en cingalais de la fresque a retenu l’attention de l’agent de sécurité du bâtiment voisin et lui a rappelé son pays d’origine. Il a inscrit : « Cette fresque est notre avenir » sur le mur.
Toutes les personnes ayant participé à l’élaboration de la fresque, qu’il s’agisse des peintres, des participant·e·s à l’atelier, des passants qui ont pris une tasse de thé ou des militants et militantes qui se sont joints à la fête pour l’achèvement de la fresque, ont noté au pied de la fresque leurs réponses à la question : « Que nous réserve l’avenir ? ». Elles ont écrit « tolérance », « équité », « on veut rester ici », « notre existence est un acte de résistance ».
Sur un mur d’une rue secondaire de Mar Mikhael, cette fresque est un monument radical dédié au repos. Une employée de maison d’origine éthiopienne, assise à côté d’une Sri-Lankaise plongée dans une conversation autour d’une tasse de thé avec une personne non binaire, affirme : « Mon existence est un acte de résistance », tandis que des poèmes en quatre langues émanent de ses mains.