Le droit de manifester est menacé au Mexique Par Erika Guevara Rosas et Edith Olivares Ferreto

Escuela Normal Rural Mactumactzá

Une année est passée depuis que des policiers s’en sont pris à 93 personnes, pour la plupart des étudiantes de l’école normale rurale de Mactumactzá, qui étaient descendues dans la rue afin de revendiquer le droit à l’éducation.

Ces étudiant·e·s s’étaient réunis au péage de Chiapa de Corzo, dans le Chiapas, l’État présentant le taux de pauvreté le plus élevé du Mexique, afin de distribuer des tracts sur lesquels était inscrite une requête simple : que les examens d’entrée à l’École normale se déroulent en présentiel et non pas sur Internet, car un grand nombre des personnes souhaitant étudier sur place vivent dans des zones reculées, avec un accès limité, voire inexistant, à Internet ou à un ordinateur.

La réaction de la police face à leurs revendications a été répressive et disproportionnée. Selon plusieurs témoignages recueillis par Amnesty International, les étudiant·e·s manifestaient de manière non violente, sans gêner la circulation, sans causer de dégâts aux biens publics, ni porter préjudice à des tiers.

Une réponse totalement disproportionnée à une manifestation pacifique

D’après les plaintes déposées par plusieurs manifestant·e·s, des membres de la police de l’État leur ont tiré les cheveux, les ont attrapés par le cou, les ont frappés à la tête, sur le dos et à l’abdomen, et leur ont donné des coups de pied dans les côtes. Ils ont enlevé le masque de certaines personnes sans leur consentement et en recourant à une force injustifiée, et ont employé un langage raciste, misogyne et teinté d’un mépris de classe contre d’autres personnes encore. Ils les ont traitées de « chiennes », de « putes » et de « salopes » pour avoir osé manifester, leur disant qu’elles n’avaient pas le droit d’étudier et qu’ils espéraient qu’elles « retiendraient la leçon ». Quand un groupe d’étudiant·e·s s’est réfugié dans un autobus, des policiers ont brisé la porte et lancé des grenades lacrymogènes à l’intérieur, faisant une fois de plus un usage illégal et excessif de la force.

Ils ont arrêté 93 étudiant·e·s en tout : 19 hommes et 74 femmes ; ainsi que deux adolescent·e·s qui n’étaient pas étudiant·e·s. Plusieurs des femmes arrêtées ont déclaré que des policiers les ont harcelées, et menacées de les déshabiller de force et de les soumettre à d’autres formes de violences sexuelles. Une manifestante a dit qu’après qu’un policier l’a fait monter à bord d’un véhicule, il lui a ordonné de se mettre à plat ventre, lui a mis la main entre les jambes et lui a touché le vagin. D’autres femmes ont déclaré que des policières leur ont touché les fesses, les seins et la vulve.

Plusieurs manifestantes arrêtées ont par ailleurs subi des actes de torture psychologique. Des policiers ont fait des allusions à la tristement célèbre disparition forcée des 43 étudiant·e·s de l’école normale rurale d’Ayotzinapa, survenue en 2014, leur disant qu’il « n’y aura pas 43 » disparu·e·s « mais 95 ». Ces références à une des pires atrocités de l’histoire moderne du Mexique sont glaçantes.

« Nous tremblions de panique, car nous ne savions pas ce qui allait nous arriver. Nous nous donnions la main, et nous nous disions : "Je ne veux pas mourir, j’ai toute la vie devant moi"  », a déclaré une étudiante, qui a demandé à Amnesty International de ne pas révéler son identité, pour des raisons de sécurité.

La liberté de manifester mais aussi l’accès à l’éducation : deux droits gravement menacés au Mexique

L’accès à l’éducation est un droit fondamental. Pour les populations marginalisées et vivant dans des régions isolées, les établissements comme ceux de Mactumactzá et Ayotzinapa représentent un bastion pour la formation d’agent·e·s du changement. Il s’agit de sources essentielles de mobilité sociale et de subsistance dans des zones où les autres solutions incluent généralement la migration forcée, la délinquance organisée ou le travail dans des conditions précaires.

Les étudiant·e·s de Mactumatzá mènent régulièrement des actions en faveur de la création de places supplémentaires à l’école, ou pour obtenir des aides financières afin de pouvoir manger et couvrir leurs frais de transport et d’achat de fournitures scolaires. Le fait de demander que les examens d’entrée ne se déroulent pas exclusivement en ligne s’inscrit dans leur lutte de longue date pour accéder à des conditions d’études dignes.

Le droit de manifester pacifiquement fait l’objet d’attaques, tant au Mexique que dans le reste de l’Amérique latine et dans les Caraïbes. Les arrestations arbitraires, le recours excessif à la force, et notamment les homicides illégaux qui en ont résulté, sont quelques-unes des tactiques répressives auxquelles recourent les forces de sécurité dans divers pays de la région afin de sanctionner et dissuader celles et ceux qui osent exercer leurs droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique.

Dans le cas de Mactumactzá, la stigmatisation et la violence visant les étudiant·e·s illustrent une tendance observée par Amnesty International dans le cadre de la répression contre les femmes qui manifestent au Mexique, notamment le recours à la violence sexuelle comme forme d’oppression de la part des forces chargées du maintien de l’ordre public dans diverses zones du pays.

La criminalisation est une autre tactique fréquemment utilisée afin de décourager les manifestations. Si le parquet général de l’État du Chiapas a finalement décidé de ne pas ouvrir de poursuites pénales contre les 95 personnes arrêtées, celles-ci ont toujours peur de retourner manifester. Par ailleurs, les violations des droits humains commises par des policiers et des policières ce jour-là restent impunies un an plus tard.

Les autorités mexicaines, aux quatre coins du pays, doivent suspendre leurs pratiques répressives vis-à-vis des personnes exerçant leur droit de manifester. Elles doivent par ailleurs mener dans les meilleurs délais des enquêtes approfondies, indépendantes et impartiales sur les plaintes et signalements en relation avec les violences sexuelles infligées aux femmes ayant participé à la manifestation le 18 mai 2021, afin de garantir les droits des victimes à la justice, à la vérité et à des réparations intégrales.

Nous ne pouvons pas laisser la peur l’emporter sur notre droit légitime de manifester de manière pacifique.
Descendre dans la rue et défendre haut et fort les droits humains sera toujours un acte courageux, mais nous devrions tous et toutes pouvoir le faire sans crainte de représailles.

Erika Guevara Rosas est la directrice pour les Amériques à Amnesty International.
Edith Olivares Ferreto est la directrice exécutive d’Amnesty International Mexique.

Ce billet a initialement été publié dans El País [1].

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