COP 27 en Egypte : pas de justice climatique sans respect des droits humains

Egypte - Pas de justice climatique sans respect des droits humains

Du 6 au 18 novembre, l’Egypte accueillera la COP 27. Cette dernière a beau être présentée comme une « COP africaine » et donc une opportunité de prioriser les préoccupations de régions les plus touchées par les changements climatiques, elle se déroulera dans un contexte de crise profonde des droits humains en Egypte

Suite à la prise de pouvoir par Abdelfattah al-Sissi en 2013, la répression croissante de toutes les voix pacifiques dissidentes a peu à peu plongé le pays dans une crise des droits humains. Les personnes emprisonnées, arrêtées ou harcelées simplement pour avoir exercé leurs droits se comptent aujourd’hui par milliers [1]. Les violations des droits humains ont lieu la plupart du temps sous prétexte de lutter contre le terrorisme. Et l’Union européenne et ses Etats membres ferment les yeux au nom du rôle que l’Egypte est censée jouer pour la stabilité régionale, la lutte contre le terrorisme, le contrôle migratoire, et désormais, la diversification des sources d’énergie européennes.

Les restrictions draconiennes par les autorités égyptiennes aux droits et libertés s’étendent même aux experts climatiques [2]et aux militants environnementaux [3]. Et si le gouvernement égyptien semble avoir adopté une politique légèrement plus inclusive à l’approche de la COP 27, elle ne s’applique qu’aux organisations de la société civile qui abondent dans son sens. Ainsi, lorsque les autorités ont récemment fait arracher plus de 390 000 m² d’espaces verts [4]dans des zones urbaines sans consultation des riverains, ces derniers n’avaient pas de recours efficaces à leur disposition.

Le rôle de la société civile dans la lutte contre la crise climatique [5], y compris à travers sa participation aux conférences sur le climat, est primordial pour définir des politiques climatiques inclusives et ambitieuses. Cette COP devrait ainsi laisser une place centrale aux organisations de la société civile africaine et du Sud. Or la répression et la crise des droits humains en Egypte viennent s’ajouter aux obstacles administratifs et financiers [6] pour empêcher une participation large, effective et sûre de ces organisations et activistes, alertaient des experts onusiens [7] début octobre.

Poudre aux yeux

Le gouvernement égyptien affirme que ses efforts annoncés depuis 2021 en matière de droits humains reflètent un changement d’approche. Néanmoins, il semble évident qu’à l’instar de la Stratégie nationale pour les droits humains, ces faibles efforts ne sont ni authentiques ni durables . Sensibles à la critique internationale [8], les autorités égyptiennes ont surtout entrepris des mesures visant à redorer leur blason en matière de droits humains, notamment à la veille de la COP 27.

En effet, le nombre de prisonniers libérés ou graciés depuis avril 2022, estimé à 676, est bien inférieur au nombre de personnes dont la détention arbitraire a été renouvelée ou nouvellement ordonnée [9]. Il représente en outre une fraction extrêmement minime du total des prisonniers détenus arbitrairement, dont des milliers croupissent toujours derrière les barreaux en Egypte dans des conditions cruelles et inhumaines, exposés à de multiples violations des droits humains, à la torture et à d’autres formes de mauvais traitement, y compris pour les détenues et prisonnières femmes [10].

Un devoir de changement

L’Egypte doit mener un véritable changement de politique. Les condamnations au terme de procès injustes doivent être annulées. Toutes les personnes détenues arbitrairement pour avoir simplement exercé leurs droits à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association doivent être libérées immédiatement et sans condition. Et l’éminent militant et blogueur égypto-britannique Alaa Abdelfattah, en grève de la faim [11] depuis 200 jours et en danger de mort, doit en faire partie.

Dans l’intérêt de tous…

L’Egypte doit par ailleurs engager des changements législatifs, notamment de la loi de 2019 sur le fonctionnement des organisations de la société civile. Les pratiques doivent elles aussi changer pour garantir et protéger l’espace nécessaire pour que la société civile indépendante, y compris les militants des droits humains, puisse s’exprimer, se réunir et travailler sans crainte.

A l’approche de la COP 27, il est aussi urgent d’en permettre la couverture médiatique, en levant le contrôle sévère des autorités sur les médias. « La quasi-totalité des organes de presse sont désormais aux ordres du pouvoir », a estimé Reporters Sans Frontières [12], ajoutant que l’Egypte reste « championne de la répression contre les journalistes » en 2022. L’Egypte doit cesser de bloquer l’accès à plus de 550 sites Internet [13], et libérer tous les journalistes ou blogueurs derrière les barreaux pour avoir exercé leur liberté d’expression. Une vingtaine de journalistes sont actuellement derrière les barreaux en Egypte.

Il n’y aura pas de justice climatique sans espace civique et sans droits humains [14]. La Belgique et tous les partenaires internationaux de l’Egypte doivent agir au plus vite, avant, pendant et après la COP 27, en engageant tous les leviers disponibles pour l’amélioration de la situation des droits humains en Egypte. Ils doivent en effet veiller à ce que les mesures prises ne soient pas annulées après la COP 27 étant donné le réel risque de représailles qui pèse sur la société civile égyptienne une fois que les projecteurs ne seront plus braqués sur l’Egypte. L’espace de la société civile indépendante en Égypte doit être garanti à long terme, il en va de l’intérêt du pays mais aussi de la lutte qui doit être menée globalement contre les changements climatiques.

*Signataires : Alexis Deswaef, vice-président de la Fédération International pour les Droits Humains ; Arnaud Zacharie, secrétaire général du CNCD-11.11.11 ; Bahey el din Hassan, directeur du Cairo Institute for Human Rights Studies ; Danny Jacobs, directeur général du Bond Beter Leefmilieu ; François Graas, coordinateur des campagnes d’Amnesty International Belgique Francophone ; Ludo De Brabander, porte-parole de Vrede vzw ; Mathias Van Hove, coordinateur de Palestina Solidariteit ; Nicolas Van Nuffel, président de la Coalition climat ; Pierre Galand, président de l’Association Belgo-palestinienne ; Rasmus Alenius Boserup, directeur exécutif de Euromed Droits ; Simone Susskind, fondatrice de Actions in the Mediterranean ; Thérèse Snoy, présidente des Grands-Parents pour le Climat ; Véronique Wemaere, directrice de Solsoc.

Cette carte blanche [15] été publiée sur le site du Soir ce mercredi 26 octobre 2022.

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